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L’Eglise catholique dans la France d’aujourd’hui.
D’un siècle à l’autre :
relations avec l’Etat, présence dans la société

Contribution du Professeur René Rémond
5 novembre 2003




 
 

 

Vérité et respect pour vivre ensemble
A ce trop bref rappel de quelques données circonstancielles on mesure à quel point l’image d’un texte de pacification est éloignée de la réalité historique ; à méconnaître la violence des passions, à oublier le déchirement des consciences, on manquerait au devoir de vérité et au respect des convictions des uns et des autres.


Et pourtant la réputation qui lui est faite aujourd’hui, d’avoir concouru à sa façon et avec le temps à l’apaisement des passions, n’est pas totalement fausse et la suite montrera que le texte ne justifiait pas une lecture aussi sévère. Mais il a fallu du temps pour s’en aviser et pour que certaines dispositions développent des effets inattendus. La majorité qui adopta la loi ne rêvait pas toute de la disparition du catholicisme, ni ne souhaitait même son effacement. Beaucoup entendaient, en tranchant le nœud des relations Église/État, mettre un point final au contentieux qui résultait de l’application du Concordat en espérant une réelle liberté religieuse et pas seulement la liberté des consciences individuelles. L’article premier de la loi ne stipulait-il pas que la République garantissait le libre exercice des cultes ? Formule grosse de sens qui reconnaissait le fait religieux dans sa dimension sociale et son expression collective. Plusieurs dispositions assuraient la réalisation de cette garantie par l’instauration d’aumôneries dans toutes les communautés fermées. De surcroît au cours des débats, il avait été fait mention à propos des associations cultuelles de leur « conformité aux règles d’organisation générale du culte dont elles se proposent d’assurer l’exercice ». Allusion discrète, mais de grande importance : la République renonçait à imposer aux religions un cadre uniforme. Concession au principe de réalité dont on verra la portée et qui permet de dire aujourd’hui avec pertinence et sans solliciter les textes que l’évolution ultérieure des relations entre les Églises et l’État, pour différente qu’elle ait été de ce qu’imaginaient ses auteurs et de ce que pouvaient redouter les catholiques, n’a pas contrevenu au texte de 1905.

Intelligence et sagesse des acteurs
A l’évolution de la pratique et de l’interprétation, les considérations proprement idéologiques ont eu beaucoup moins de part que la reconnaissance des réalités, la nécessité de conformer la pratique à des besoins reconnus, à des contraintes historiques et politiques. Il a été le fruit de l’intelligence et de la sagesse des acteurs.

D’entrée de jeu la mise en vigueur de la loi de Séparation a buté sur un obstacle inattendu : le refus des catholiques de s’y conformer. Faute qu’aient été engagés des pourparlers avec le Saint-Siège, la mise en place du nouveau régime était suspendue au jugement de Rome, comme pour la Constitution civile. Il y eut moins longtemps à attendre qu’en 1791, mais la décision intervint dans le même sens pour les raisons qui viennent d’être rappelées, la crainte d’un schisme : Pie X défendit de former les cultuelles. A la différence de ce qui s’était passé en 1791 où clergé et fidèles s’étaient trouvés écartelés entre leur fidélité à Rome et leur loyauté de citoyens et bien que, sur le moment, la majorité de l’épiscopat ainsi que de nombreux fidèles eussent été tentés de faire l’expérience, il n’y eut pas la moindre velléité de passer outre à l’interdiction de Rome ni la moindre ébauche de schisme. Ainsi la conjonction de l’intransigeance romaine et de la discipline de l’Église de France mit-elle les pouvoirs publics devant une situation imprévue. Instruit peut-être par le précédent révolutionnaire, le gouvernement se garda bien de susciter une division dans les rangs des catholiques. En l’absence de partenaires auxquels transférer les biens et avec lesquels régler l’application de la loi, il fallut improviser et adopter des dispositions qui instituèrent d’emblée un régime assez différent de celui prévu par la loi. Les pouvoirs publics ne tardèrent pas à se convaincre qu’il n’y avait pas d’autre voie pour prévenir tout trouble à l’ordre public que de prendre acte de la situation de fait et de mettre à la disposition du clergé et des fidèles les édifices affectés au culte. Si à refuser de constituer les cultuelles l’Église perdit son patrimoine, il est possible, un siècle plus tard, de mesurer l’inappréciable avantage que représente pour la communauté catholique l’entretien par l’État et les communes des milliers d’églises. Dans toute évaluation raisonnée de la situation juridique et financière procédant de la loi de 1905 on ne doit pas omettre de prendre en compte l’aide indirecte constituée par cette prise en charge qui a d’emblée infléchi la pratique de la séparation : le souci de la plupart des élus de s’acquitter consciencieusement de cette charge a contribué à fonder une pratique apaisée de la laïcité.

Préoccupé de sortir de la situation de non droit créée par la non constitution des cultuelles, le gouvernement de la République, dans un climat politique modifié par l’épreuve de la grande guerre et l’Union sacrée, répara l’erreur de ses prédécesseurs qui avaient cru pouvoir légiférer sur le statut de l’Église catholique en dehors de toute négociation avec le Saint-Siège. Se référant à l’article précité qui prend en considération les règles propres à l’organisation des différents cultes, il consentait à reconnaître le caractère hiérarchique de l’Église catholique : aux cultuelles sont substituées les associations diocésaines qui préservent l’autorité de la hiérarchie. On ne saurait trop souligner la portée, symbolique autant qu’effective, du modus vivendi instauré par l’accord de 1923 : la République reconnaissait que l’Église catholique reposait sur un principe différent de celui dont elle-même tirait sa propre légitimité et qu’elle s’appliquait à étendre à toute la société civile, celui de la souveraineté démocratique qui fonde toute autorité sur l’élection. C’en était fini du projet révolutionnaire de réorganiser l’Église sur le modèle politique démocratique. Depuis, l’Église catholique en France vit plus sous le régime de cet accord que sous l’empire du texte de 1905. Cet accord n’a jamais été remis en question : tous les gouvernements en ont respecté la lettre et l’esprit. Le Conseil d’État a été le gardien de son observation scrupuleuse et a édifié depuis trois quarts de siècle une jurisprudence qui garantit la liberté et la paix religieuses. La chose est relativement peu connue. Sans doute en partie parce que l’accord passé entre la République et le Saint-Siège n’a pas fait l’objet d’un débat et d’une ratification parlementaires, les gouvernements ayant probablement redouté de réveiller des passions mal éteintes. C’est pour les mêmes motifs qu’aujourd’hui les politiques s’accordent à écarter l’idée d’une révision de la loi de Séparation. Souci qui doit s’étendre aux différents textes adoptés plus tard et en première ligne à l’accord de 1923.

Une étude qui se voudrait complète du régime de séparation tel qu’il est effectivement pratiqué devrait inclure tous les accords particuliers, les règlements sectoriels qui se sont attachés à répondre à des problèmes concrets : statut des aumôneries, diocèse aux Armées, régime de la Sécurité sociale pour les ministres des cultes, règlement de la question scolaire avec la reconnaissance de son caractère propre et de sa participation au service public, statut des émissions religieuses sur les chaînes publiques de radio et de télévision. Autant de dispositions qui dessinent un régime original que le terme de séparation définit mal et qui s’inspire d’une conception de la laïcité assurément différente de l’idée que s’en faisaient les auteurs de la loi de 1905, mais qui n’est cependant pas fondamentalement contraire à sa lettre et à une partie de son esprit.

Plutôt que d’énumérer ces textes dont certains – la loi Debré par exemple – sont bien connus et décrire la situation qu’ils ont instituée, il est peut-être plus utile, parce que moins rebattu, plus essentiel et plus éclairant pour une réflexion sur la signification de cette évolution de la notion et de la pratique de la laïcité, de s’attacher à l’analyse des changements qui en un siècle ont affecté la philosophie de la société qui l’enrobait. Car aucun concept, et celui de la laïcité peut-être plus que d’autres, ne se suffisant à soi-même, il s’inscrit dans une configuration d’autres notions, qui concourent à lui donner sa légitimité et sa tonalité propre. Pour les acteurs de la politique de laïcisation de la société française, l’idée de laïcité faisait corps avec un système de postulats dont la permanence dans notre culture politique explique les résistances persistantes aux tentatives d’adaptation aux données nouvelles et entretient l’idée de ce qu’on appelle parfois une exception française.