L'Union européenne prépare
actuellement une Charte des Droits fondamentaux. C'est un
texte important, qui peut engager l'avenir de tous les Européens,
et donc le nôtre. Il doit être adopté lors
du Sommet européen de Nice, au mois de décembre,
sous présidence française.
La version du projet en date du 14 septembre 2000, comportait
un préambule dont le 2e alinéa disait ceci :
"S'inspirant de son héritage culturel, humaniste
et religieux, l'Union se fonde sur les principes indivisibles
et universels de la dignité de la personne, de la liberté,
de l'égalité et de la solidarité : elle
repose sur les principes de démocratie et de l'État
de Droit".
Or, selon une dépêche de l'Agence Europe (du
22 septembre 2000) : « Le Premier Ministre français
Lionel Jospin a téléphoné à Roman
Herzog, en lui rappelant que la France est une "République
laïque" et que la référence à
l'héritage religieux de l'Union européenne est
"inacceptable" pour elle".
J'avoue ne pas bien comprendre les motifs de cette intervention
car je ne vois pas où se situe la contradiction entre
le fait que la République française soit laïque
et le fait de reconnaître que l'Europe bénéficie
d'un héritage religieux. La laïcité, que
je sache, n'est pas la négation du fait religieux.
On cite souvent la Loi de 1905, en son article 2 : "La
République ne reconnaît, ne salarie et ne subventionne
aucun culte", mais on oublie souvent l'article 1 : "La
République assure la liberté de conscience.
Elle garantit le libre exercice des cultes sous les restrictions
dues à l'ordre public". Et on oublie encore plus
souvent l'article 4 : "... Ces associations (appelées
à gérer les biens) devront se conformer aux
règles générales des cultes dont elles
se proposent d'assurer l'exercice...".
Autrement dit, on confond généralement la non-reconnaissance
juridique, qui signifie que l'État ne confère
plus de statut officiel à aucune religion, et la non-reconnaissance
"existentielle", si je puis dire, qui signifierait
que l'État ignore totalement les différentes
confessions religieuses.
L'expression : "l'héritage culturel, humaniste
et religieux" ne me paraît pas restrictive. Elle
permet aux agnostiques et aux croyants de se retrouver. Elle
fait droit aussi à toutes les traditions religieuses
: juive, chrétienne et musulmane, sans oublier nos
racines païennes, grecque, romaine, celte ou germanique.
Après tout, un héritage est un héritage.
Dans le cas de l'Europe, pour peu que l'on regarde son histoire,
il est difficile d'en nier la composante religieuse. On peut
évidemment l'accepter "sous bénéfice
d'inventaire", mais il me paraîtrait absurde d'en
nier l'existence.
À vouloir rayer d'un trait de plume toute la dimension
religieuse de notre héritage européen, on s'interdit
de penser, non seulement le passé, mais aussi le présent
et l'avenir de l'Europe. Ni la culture ni la religion, contrairement
à un slogan français, ne relèvent de
la seule sphère du privé. Entre le public et
le privé, il existe justement ce que les Allemands
appellent la BurgerGesellschaft, non pas la société
"bourgeoise", mais la "société
civile", le domaine de la libre adhésion et de
la libre initiative des personnes.
Je ne crois pas qu'il soit sain de nier ou de refouler l'héritage
religieux de l'Europe. J'espère qu'il est encore temps
pour en réintroduire la mention dans la Charte. Sinon,
à refouler ainsi le religieux, ne court-on pas le risque
de le voir revenir, un jour, sous des formes régressives,
intégristes et/ou nationalistes ?
Mgr Hippolyte Simon
évêque de Clermont
in "Nouvelles du diocèse de Clermont", n°17,
le 15 octobre 2000
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