Discours de clôture
Par Mgr Jean-Pierre RICARD,
Président de la Conférence des évêques
de France
le 10 novembre 2001
Au moment où s'achève notre Assemblée,
notre pensée se porte spontanément vers celui
qui l'a ouverte, notre frère le Cardinal Louis-Marie
Billé. Nous lui exprimons une fois encore notre profonde
reconnaissance pour le service qui a été le
sien au sein de notre Conférence. Nous lui redisons
notre amitié. Nous l'assurons de notre prière
fraternelle et nous lui exprimons nos vux fervents de
guérison et de santé.
Garder le cap de l'annonce de l'Evangile
En nous quittant, il nous invitait à " garder
le cap de l'annonce de l'Evangile ". En effet, c'est
bien ce cap que notre Assemblée a voulu réaffirmer
avec force ces dernières années. La Lettre aux
catholiques de France : Proposer la foi dans la société
actuelle de 1996, le chantier " Des temps nouveaux pour
l'Evangile ", la dynamique même des Journées
mondiales de la Jeunesse de Paris et de Rome en sont une expression
particulièrement éloquente. De fait, cette annonce
de l'Evangile est au cur même du ministère
apostolique que nous avons reçu. Il est au cur
de la mission de l'Eglise. " Malheur à moi, dit
Paul, si je n'annonce pas l'Evangile " (1 Co 9, 16).
Nous n'oublions pas que le jour de notre ordination épiscopale,
le livre des Evangiles a été ouvert sur nous,
qu'il a été posé sur notre tête
et nos épaules. Le dernier Synode des évêques
à Rome a d'ailleurs rappelé avec force que l'évêque
était d'abord " ce serviteur de l'Evangile de
Jésus Christ pour l'espérance du monde ".
Oui, cet Evangile, nous avons à le recevoir et à
en témoigner comme une Bonne Nouvelle adressée
à l'homme. A la suite du Christ, avec l'Esprit que
celui-ci envoie d'auprès du Père, l'Eglise vient
dire à chacun : " Tu es aimé. Qui que tu
sois, tu es aimé gratuitement. Tu es le fils bien-aimé,
la fille bien-aimée du Père. Laisse-toi aimer.
Accueille cet amour en toi. Qu'il habite ta vie. Et tu verras
combien cet amour est puissance de renouvellement, de guérison
intérieure, de lumière spirituelle. Cet amour
ancrera en toi l'espérance, t'établira dans
la confiance. Il te fera goûter la puissance du pardon,
il te libèrera de tes peurs, de tout ce qui emprisonne
ta liberté. Il établira ton cur dans la
paix et dans la joie. "
Dans l'annonce de la Parole, la célébration
sacramentelle, la rencontre des frères, et tout particulièrement
des pauvres, notre ministère est au service de la révélation
de cette présence du Christ qui veut devenir pour tout
homme un compagnon de route et qui lui offre la puissance
de cet amour : " Voici que je suis à la porte
et je frappe, dit Jésus. Chez celui qui entend ma voix
et qui ouvre la porte, j'entrerai et nous mangerons en tête
à tête, lui avec moi et moi avec lui " (Ap
3, 20). La mission de l'Eglise est bien d'aider à cette
rencontre avec le Seigneur, de la révéler, d'y
convier, d'y introduire dans une patiente initiation. J'ai
senti cette préoccupation, cette passion, présente
dans notre Assemblée tout au long de nos travaux.
Ouvrir des chemins nouveaux à l'Evangile
Notre réflexion ne s'est pas voulue intemporelle.
En abordant les différentes questions que nous portions,
nous n'avons pas cherché à nous masquer les
difficultés. Etaient présents à nos esprits
les menaces qui pèsent sur la situation internationale,
la difficulté de faire comprendre l'importance du respect
de la confidentialité à une partie de l'opinion
publique, l'évolution des modes de vie qui touchent
la famille et l'éducation, l'apparition de nouveaux
modèles de nuptialité, le doute sur la solidité
possible du lien matrimonial, la faible intégration
ecclésiale de beaucoup de familles, l'absence chez
un certain nombre de fiancés de tout contact préalable
avec l'Eglise et avec le cur du message chrétien.
Devant ces multiples défis, nous n'avons pas voulu
baisser les bras mais faire ensemble un acte de discernement
pastoral : comment ouvrir aujourd'hui à l'Evangile,
à la nouveauté même de l'Evangile, des
chemins nouveaux ? Avec la confiance que nous donne la foi,
nous avons cherché à frayer des chemins d'espérance,
à tracer des routes ou tout au moins des sentiers,
pour conduire à la source d'eau vive.
Nous savons que tracer de tels chemins demande des bouleversements
profonds dans nos façons de voir, dans nos habitudes,
dans nos fonctionnements coutumiers, mais aussi des déplacements
par rapport à nos positions antérieures. L'eau
tranquille du port est si sécurisante ! Il nous faut
pourtant aller au large, avancer en eau profonde (cf. Lc 5,
4). Nous le faisons avec confiance, nous appuyant sur la parole
même du Seigneur.
Etre témoins de paix et d'espérance devant
une montée de la violence et de la peur
Notre Assemblée vient de se tenir dans un contexte
international marqué par les tragiques événements
de septembre dernier. Dans la déclaration que nous
avons faite sur " De nouveaux défis pour la paix
du monde ", nous avons tenu à exprimer notre solidarité
avec " les tristesses et les angoisses ", mais aussi
" les espérances des hommes de ce temps ".
L'onde de choc des attentats qui ont frappé l'Amérique
continue à se faire sentir dans le monde entier et
dans tous les domaines de la vie de nos sociétés.
Rien ne peut justifier le terrorisme, surtout pas l'invocation
de Dieu. En Jésus Christ, Dieu nous a révélé
son amour pour tous les hommes.
Nous avons tenu à dire notre inquiétude devant
la poursuite des bombardements intensifs en Afghanistan. Malgré
les intentions exprimées, ils frappent toute une population
et continuent à détruire un pays qui a déjà
tellement souffert.
Nous redisons aussi avec force qu'on ne peut espérer
réduire les fractures et sortir des tensions qui déchirent
notre monde sans un engagement solidaire pour la justice et
le développement. Les récents événements
nous ont d'ailleurs fait prendre conscience de l'interaction
entre les peuples. Nul n'est une île. Nul ne peut tirer
son épingle du jeu et ne penser qu'à la seule
logique de ses intérêts personnels. Vouloir l'ignorer
aujourd'hui, c'est se préparer à de graves déconvenues
demain. Plus que jamais, il nous faut appeler, comme le pape
Jean-Paul II, à une " mondialisation de la solidarité
".
Disciples de celui " qui est notre paix " (Ep
2, 14), nous ne pouvons être que des " artisans
de paix " (Mt 4, 9), de réconciliation et de justice.
Devant des phénomènes de peur qui peuvent engendrer
des réactions incontrôlées dans nos sociétés,
nous avons à appeler au recul de l'analyse et à
la nécessité du dialogue.
Promouvoir une écologie des rapports humains qui
rende la confidentialité possible
Voici un an, notre Assemblée adoptait une déclaration
concernant les abus sexuels à l'égard des enfants
et des jeunes. Depuis, nous ne sommes pas restés inactifs.
Nous avons pris des dispositions pour ne pas agir seulement
dans l'urgence, mais encore pour réaliser, dans la
durée, une uvre utile pour l'Eglise elle-même
et pour la société.
Un Comité consultatif en matière d'abus sexuels
sur mineurs est créé. Il répondra aux
questions des évêques et des supérieurs
majeurs. Egalement, il émettra des suggestions, formulera
des recommandations ou attirera l'attention sur des questions
qui méritent d'être prises en considération.
De plus, dans les prochains mois, une brochure destinée
aux éducateurs chrétiens sera publiée.
Elle aura pour objectif d'informer ceux-ci. Elle situera les
abus sexuels sur mineurs par rapport à une relation
éducative saine et par rapport à ce que nécessite
une telle éducation. Nous souhaitons que cette brochure
rejoigne un large public et soit une contribution à
tout ce qui se recherche et se met en uvre de multiples
manières en France pour le bien des enfants.
Comme le rappelait le Cardinal Billé dans son discours
d'ouverture, depuis un an nous avons été très
souvent confrontés dans notre action à la question
du secret. Il me semble nécessaire d'y revenir.
Nos sociétés connaissent actuellement une remise
en cause générale du secret. Celui-ci est dénoncé
comme un allié de la corruption aux multiples visages
; pourquoi ne pas reconnaître qu'il y a eu, en effet,
des abus.
Mais la démocratie peut-elle exister sans secret ?
Celui-ci constitue une protection de l'intimité de
la personne ; il garantit la confiance et l'échange.
Les régimes totalitaires l'ont toujours suspecté,
sinon banni. La transparence absolue est une illusion ; si
le respect du secret devait disparaître, la personne
ne trouverait plus de lieu où " se reposer "
; la vie privée ne serait plus protégée.
Il est des professions qui reposent sur la confiance. C'est
le cas des médecins, des avocats, des journalistes.
C'est aussi celui des ministres du culte.
Le secret n'excuse rien. Recevoir une confidence n'est jamais
facile. C'est un devoir de conscience pour celui qui en devient
dépositaire, non pas de dénoncer la personne
qui lui fait une confidence, mais de la renvoyer à
sa propre responsabilité et de l'aider à porter
le poids de ses actes.
L'Eglise a vocation d'être mère. A ce titre,
elle connaît les blessures de toutes sortes, même
les plus secrètes. Elle écoute, elle réconforte,
elle conseille, elle encourage par la foi et la prière.
Elle finit par renvoyer chacun à sa responsabilité
personnelle. Quand elle défend des lieux de confidentialité,
l'Eglise a conscience de défendre bien autre chose
que le simple fonctionnement de ses institutions. Dans ce
combat, elle perçoit un combat pour l'homme, un combat
pour une société humaine et respirable. Nous
sommes là devant une écologie des rapports humains
qui est à préserver. Il y va de la mission de
l'Eglise. Il y va de la santé de notre vie démocratique.
Des temps nouveaux pour l'Evangile
Nous avons fait le point du chantier que nous avions ouvert
l'an dernier : " Des temps nouveaux pour l'Evangile ".
Il n'est pas inutile de rappeler à ce propos que celui-ci
s'inscrivait dans le droit fil de la Lettre aux catholiques
de France. Dans ce texte, nous avions exprimé notre
volonté de proposer la foi dans la société
actuelle. Il nous fallait vérifier maintenant comment
cela se traduit dans la vie de nos Eglises locales, à
quelles initiatives cela nous a conduit, et à quelle
nouvelle perception des enjeux de l'évangélisation
nous avons été amenés.
Le chantier reste ouvert. La réflexion doit encore
se poursuivre. Sur ce point, comment ne pas reconnaître
que les deux dossiers que nous avons abordés pendant
cette Assemblée - la catéchèse et le
mariage - se sont inscrits très exactement dans le
sillon de cette recherche pastorale ? Ce sont bien l'annonce
de l'Evangile et la proposition de l'expérience croyante
qui ont été au cur de notre questionnement.
Nous avons ouvert cette année ces deux dossiers. Nous
nous sommes donnés deux assemblées pour arriver
à des conclusions et des orientations. Où en
sommes-nous aujourd'hui ?
Relever le défi de proposer la foi aux générations
qui viennent
En ouvrant nos travaux, le Cardinal Billé, à
propos de la catéchèse, nous demandait de relever
les défis de l'évangélisation, de l'initiation,
de l'intelligence de la foi et de l'incorporation dans l'Eglise.
Dans la Lettre aux catholiques de France, nous nous engagions
à retrouver " le geste initial de l'évangélisation,
celui de la proposition simple et résolue de l'Evangile
du Christ ".
Nos débats sur la catéchèse nous ont
confortés dans cette orientation. Nous voulons permettre
à chacun de s'approcher du Christ et de s'entendre
murmurer : " Donne-moi à boire. "
Les chemins vers la source du Christ ne peuvent plus être
uniformes pour tous. Ils ne peuvent plus être limités
au seul temps de l'enfance et de la scolarité. Ils
doivent s'ouvrir à chaque étape de la vie, de
la petite enfance à l'âge adulte. Il est important
aussi, comme le soulignait le Cardinal José Policarpo,
de donner une " priorité absolue à la dimension
communautaire de la foi ". La communauté chrétienne
doit résolument s'engager à ouvrir ces chemins
à tous ceux qui ont soif de Dieu. Elle doit pour cela
puiser sa force dans l'Eucharistie.
Certainement, nous aurons encore beaucoup de travail à
faire pour élaborer un projet commun l'année
prochaine. Mais notre travail de discernement a déjà
commencé. Nos échanges ont été
très riches. Nous repartons avec un questionnement
qui s'est précisé. Notre réflexion va
encore se poursuivre. Sans doute aurons-nous besoin de la
collaboration des responsables de la catéchèse
de nos diocèses, pour évaluer des expériences,
vérifier les contenus, établir les méthodes,
faire le point sur nos ressources
Mais nous savons que
la recherche des ressources n'est rien quand on sait où
se trouve la source d'eau vive.
Annoncer la Bonne Nouvelle de l'Evangile au cur
de la préparation et de la célébration
du mariage
Notre Assemblée a souhaité réfléchir
cette année sur la préparation et la célébration
du mariage des couples qui demandent à l'Eglise de
bénir leur union. Sans ignorer les difficultés
et les problèmes qui peuvent se poser à cette
occasion, nous avons voulu nous remettre résolument
dans la dynamique d'une proposition de la foi. Quelle Bonne
Nouvelle avons-nous à annoncer à ceux qui viennent
pour célébrer leur mariage ?
Cela nous a amenés à réfléchir
à nouveaux frais sur la sacramentalité du mariage.
En proposant la démarche sacramentelle du mariage,
l'Eglise, qui se réjouit d'accueillir un homme et une
femme avec leur amour, leur projet de vie, leurs joies et
leurs appréhensions, vient leur révéler
qu'ils ne sont pas seuls sur le chemin de leur vie, que le
Christ se présente comme leur compagnon de route, qu'il
leur propose son Alliance, qu'il leur offre son amour pour
soutenir leur propre amour. C'est sa fidélité
qui soutient leur propre fidélité.
S'ils acceptent la main qu'il leur tend, s'ils entrent dans
son amitié, s'ils s'offrent à lui, ils entendront
le Christ qui les appelle à venir à sa suite,
qui fait d'eux les membres de son Corps, qui en fait ses témoins.
Ils peuvent vraiment compter sur lui et sur la force de l'Esprit.
A son tour, le Christ compte sur eux pour être, dans
la fécondité de leur amour, les témoins
de son amour.
Comme nous le disait Mgr Ouellet : " Ce rite sacré
(du mariage) n'est pas seulement un point de départ
pour un itinéraire, c'est une consécration embrassant
toute la vie du couple et de la famille, et qui en fait une
offrande au Seigneur. Cette offrande est accueillie, bénie
et redonnée aux nouveaux époux comme une "
mission " reçue de lui et destinée à
glorifier Dieu dans sa chair. A partir de l'échange
sacramentel des dons dans la foi, cette mission consiste avant
tout à rayonner l'amour du Christ pour l'Eglise dans
le commerce charnel des époux, l'ouverture à
la vie, l'éducation des enfants et les multiples services
à la société. " Ce qui est proposé
ici au cur du sacrement de mariage est fondamentalement
la dynamique même de la vie baptismale. La dimension
sacramentelle du mariage ne peut être pleinement vécue
que si, au sein d'une vie ecclésiale, ce don du Christ
est ravivé sans cesse par la prière, le pardon
mutuel, la participation à l'eucharistie, le don de
soi à l'autre.
Voilà la source d'eau vive que nous avons à
proposer, la Bonne Nouvelle pour l'amour humain. N'avons-nous
pas aujourd'hui à reprendre, avec une conviction renouvelée,
l'initiative d'un appel au mariage chrétien ?
Certes, nous n'oublions pas que beaucoup de couples venant
pour " une simple bénédiction " de
leur amour sont loin de cette perception. Certains n'ont guère
de relation avec l'Eglise. D'autres n'ont eu aucun contact
avec la foi chrétienne. Nous ne pouvons pas nous contenter
simplement de préparer avec eux une cérémonie.
Le temps n'est-il pas venu d'imaginer des propositions pastorales
de type catéchuménal permettant à ces
couples une découverte de la foi et l'entrée
dans un cheminement spirituel ? Des suggestions ont été
émises. Il nous faudra poursuivre cette année
la réflexion.
Nous souhaitons, à l'occasion de cette recherche
pastorale, dire un grand merci à tous ceux, prêtres,
diacres et laïcs, qui consacrent beaucoup de temps et
de cur à ce ministère d'accueil, de préparation
et de célébration du mariage. Nous leur renouvelons
notre confiance et notre soutien.
Nous avons pris en compte aussi la difficulté que
rencontrent certains prêtres dans la célébration
de ces mariages. Nous nous sommes demandés comment
organiser cette célébration pour que la surcharge
de certains samedis d'été ne nuise pas à
la qualité de la célébration chrétienne
ni n'épuise leur célébrant. Plusieurs
suggestions ont été émises : étaler
davantage les mariages au long de l'année, inviter
à des célébrations le vendredi après-midi,
voire célébrer plusieurs mariages ensemble comme
c'est le cas dans de nombreux pays du monde
Plus que
jamais, nous sommes invités aujourd'hui à être
inventifs.
Nous aurons à reprendre tout cela lors de notre prochaine
Assemblée. Il nous faudra alors lier la gerbe. Des
propositions et des orientations sont maintenant attendues.
Vivre la communion dans l'audace d'une même mission
Notre Assemblée s'achève. Dans l'expérience
de la collégialité qui est la nôtre, nous
prenons toujours plus conscience de l'importance d'une communion
fraternelle entre nous et d'une solidarité dans la
même mission. Le travail en provinces que nous avons
décidé de promouvoir et la restructuration de
notre Conférence qu'il nous faut maintenant envisager
de façon urgente devraient y contribuer pour leur part.
Nous voici donc tous ensemble dans la barque. On a dit que
les temps étaient rudes pour l'Eglise. A certains jours,
la houle se fait forte et les vents contraires. La barque
semble prendre l'eau de toutes parts. Allons nous couler ?
Entendons alors le Christ nous dire : " Pourquoi avez-vous
peur, gens de peu de foi ? (Mt 8, 26).
Si le Christ est avec nous, n'ayons pas peur de prendre
la mer. Confiance, c'est lui qui nous conduira au large !
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