Au cours de cette Assemblée,
nous avons voulu nous mettre à l’écoute
des "joies et des espoirs, des tristesses et des
angoisses des hommes de ce temps" (Vatican II, L’Eglise
dans le monde de ce temps, n° 1). Les questions de beaucoup
de nos contemporains, de jeunes en particulier, ont été
présentes à notre esprit : "Pourquoi vivre
? Pourquoi préférer la vie, même quand
elle est dure ? Qu’est-ce qu’aimer ? Un amour
durable est-il possible ? Comment être heureux ? Comment
discerner le bien du mal ? Qu’est-ce qu’une société
juste ?" Quand nous avons réfléchi sur
la catéchèse, le mariage, la place de l’Eglise
dans notre société, c’est bien cette recherche
du sens de la vie que nous avons voulu prendre en compte.
Le Christ, lumière et force pour tout homme
Eclairés par la foi, nous savons que l’Evangile
du Christ vient répondre à cette quête
profonde de l’homme. Nous sommes habités par
cette conviction exprimée par le Concile Vatican II
: "L’Eglise, quant à elle, croit que
le Christ, mort et ressuscité pour tous, offre à
l’homme, par son Esprit, lumière et force pour
lui permettre de répondre à sa très haute
vocation" (L’Eglise dans le monde de ce
temps, n° 10). C’est cette espérance
que nous souhaitons offrir à tout homme comme une bonne
nouvelle. Refusant de nous enfermer dans nos discours internes,
nous proposons ouvertement notre foi dans son originalité.
Renonçant à toute forme d’égocentrisme
ecclésial, refusant de diaboliser notre environnement
social tout autant que de le canoniser naïvement, nous
voulons présenter à tous la lumière et
le levain de l’Evangile. A chacun nous disons : laisse-toi
saisir par le Christ, aimer par le Père, habiter par
l’Esprit. Laisse-toi aimer et entre à ton tour
dans cet amour qui est don et offrande de soi à l’autre.
Au cours de ses travaux, notre Assemblée s’est
efforcée de délivrer un message finalement simple
: l’homme ne peut être heureux que s’il
se donne lui-même. Le don de soi conduit ainsi au cœur
même de l’homme. C’est Dieu qui donne la
vie. C’est le Christ qui dévoile le secret de
cette vie, quand il déclare, avant de se livrer entièrement
à un sacrifice librement consenti : "Il n’y
a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on
aime" (Jn 15, 13). Certes, les chemins du bonheur
peuvent s’avérer ardus ; nous en savons les exigences.
Mais ils existent. Nous voulons en témoigner.
La catéchèse au cœur des préoccupations
de toute communauté chrétienne
Cet Evangile dont nous sommes les serviteurs n’est
pas seulement une parole humaine. Il est puissance de Dieu
dans l’existence de ceux qui le reçoivent. Dans
nos diocèses, quand nous rencontrons pour l’appel
décisif les adultes qui se préparent au baptême,
ces catéchumènes nous partagent souvent ce que
cette rencontre avec le Christ et cette découverte
de l’Evangile ont changé progressivement dans
leur vie. Leurs yeux se sont ouverts, leurs relations ont
été vécues autrement, leur existence
quotidienne s’est transformée. Ils ont découvert
une présence qui rayonne et éclaire leur route.
Cette expérience est fondatrice. C’est bien elle
que nous souhaitons proposer à tous, enfants, jeunes
et adultes, dans le cadre de la catéchèse. Le
12 octobre dernier, lors d’un récent congrés
catéchétique, le pape Jean-Paul II disait aux
participants : "Au cours de ces intenses journées
de travail, vous avez cherché à mettre en œuvre
ce que j’ai écrit dans la Lettre Apostolique
Novo Millennio ineunte : ouvrir le cœur à l’onde
de la grâce et permettre à la parole du Christ
de passer à travers nous avec toute sa puissance
: duc in altum (n°38)".
Lors de notre Assemblée, nos journées de travail
sur la catéchèse ont été, elles
aussi, intenses. Sans doute notre entreprise s’est-elle
révélée plus ardue et moins rapide que
nous l’avions pensé au départ. Mais le
défi est essentiel. Il s’agit au cœur de
notre société de permettre à "l’onde
de la grâce" de surgir dans des cœurs
qui ne sont pas toujours préparés à la
recevoir, à cause de l’influence de leur environnement
ou de celle de la culture contemporaine.
Ce défi, nous ne pourrons le relever qu’en invitant
les communautés chrétiennes à prendre
toujours davantage conscience du mystère de la foi
qui les réunit : "La catéchèse
naît de la profession de foi de l’Eglise et mène
à la profession de foi du catéchumène
et du catéchisé"(Directoire général
catéchétique, n° 82). Les communautés
chrétiennes sont appelées à être
ces lieux où des enfants, des jeunes et des adultes
sont accueillis, invités à entrer dans l’expérience
chrétienne et engendrés dans la foi grâce
à l’action de l’Esprit. Cela implique que
ces communautés vivent en profondeur du mystère
du Christ, qu’elles aillent au cœur de la foi.
Comment ne pas inviter chaque catholique, chaque communauté
à vivre pleinement cette expérience ? Comment
ici ne pas appeler les paroisses, les mouvements, les aumôneries
à prendre au sérieux l’appel qui leur
est lancé à réfléchir à
leurs responsabilités catéchétiques ?
Catéchèse, catéchuménat, aumônerie
de jeunes, accueil d’adultes qui se remettent en route
sur le plan de la foi ont pu paraître à beaucoup
comme des activités adjacentes, particularisées,
sectorisées dans la vie des communautés chrétiennes.
Aujourd’hui, ces activités doivent être
au centre même des préoccupations de ces communautés.
Fidèles à leur mission, elles pourront dire
alors à nos contemporains qui cherchent, plus ou moins
secrètement sans doute, les voies du bonheur : "Si
tu savais le don de Dieu" (Jn 4, 10). Je remercie
la Commission épiscopale de la catéchèse
et du catéchuménat de leur fournir dans les
meilleurs délais les moyens de cette réflexion
et de cette recherche.
Par ailleurs, orientations et directives devront être
données prochainement, pour que la proposition de la
catéchèse soit actualisée en tenant compte
des conditions dans lesquelles beaucoup vivent aujourd’hui
et accèdent à la foi. Nous avons commencé
toute une réflexion. Celle-ci doit encore se poursuivre.
Je remercie par avance les membres des communautés
chrétiennes, les catéchistes et les équipes
diocésaines de catéchèse pour leur participation
à cette élaboration. Puissions-nous proposer
à tous ceux qui veulent rencontrer le Christ, quel
que soit leur âge, leur formation humaine ou chrétienne,
de se laisser conduire par Lui dans l’Esprit vers le
Père !
Le mariage : un acte d’espérance
Notre Assemblée a conclu le travail engagé
l’an dernier sur la préparation et la célébration
du mariage. Il serait plus exact de dire que nous avons conclu
une étape du travail. Le mariage, en effet, est une
expérience tellement constitutive de l’aventure
humaine que nous sommes régulièrement appelés
à y réfléchir et à ajuster nos
orientations pastorales aux évolutions des situations
de ceux à qui nous nous adressons.
Nous avons regardé la famille d’aujourd’hui,
en crise certainement, mais demeurant une grande espérance
pour tous, et nous proposons des initiatives pour la soutenir.
Il ne s’agit pas d’imposer un modèle mais
de libérer des dynamismes présents en tous et
de proposer le don de l’Evangile qui permet de dépasser
les fragilités et les blessures. Notre parole se veut
d’encouragement et d’espérance. Nous voulons
dire à tous que le mariage est une chance pour les
hommes et les femmes de ce temps, ainsi que pour notre société.
Comme nous l’affirmons dans notre Message : "Nous
sommes témoins des joies que l’amour authentique
peut susciter chez un homme et une femme. Nous osons dire
aussi que l’engagement libre et définitif constitue
la meilleure voie pour approfondir cette rencontre et éduquer
les enfants dans la stabilité."
Aux jeunes, aux futurs époux, nous souhaitons dire
: l’engagement pour la vie est possible. Il est chemin
de bonheur. Il passe par le décentrement vis-à-vis
de soi et le don fait à l’autre. Sur votre route,
vous n’êtes pas seuls. Dieu est avec vous. Le
Christ sera votre compagnon de route. Si vous êtes attentifs
à sa présence, il vous apprendra et vous aidera
à aimer comme lui et ainsi à grandir dans l’amour
véritable.
Cela nous appelle à soigner particulièrement
l’accueil de ces couples nombreux qui viennent demander
à l’Eglise de célébrer leur mariage.
Cet accueil ne saurait se réduire à une simple
préparation de célébration. Il doit être
écoute, réflexion avec eux sur leur projet de
vie et l’engagement qui va être le leur. Il sera
aussi un lieu de proposition de la foi et de découverte
du dessein de Dieu, en particulier pour des couples qui n’ont
pas eu de contact avec l’Eglise ni d’initiation
préalable à la foi chrétienne.
Cet accueil demande aux paroisses, mouvements et communautés
une grande mobilisation. Comment ne pas dire, dans le cadre
de cette Assemblée, un grand merci à tous ceux,
prêtres, diacres, laïcs et couples chrétiens
qui s’investissent dans ce travail d’accompagnement
des couples, de préparation de leur mariage et de leur
soutien à travers les différents moments de
leur histoire ?
Notre message d’espérance sur le mariage ne
veut pourtant pas ignorer ceux pour qui le mariage et la vie
familiale sont malheureusement une expérience de souffrance,
voire de rupture. Nous encourageons toutes les paroisses et
tous les mouvements à accueillir ceux qui sont ainsi
marqués par un échec de l’amour. Certains
chrétiens, engagés dans une seconde union civile,
vivent un sentiment d’exclusion. Nous souhaitons leur
dire à nouveau qu’ils ont leur place et leur
mission dans l’Eglise. Nous savons que la miséricorde
de Dieu s’adresse à chacune et à chacun
d’entre eux. Le Christ offre toujours à ceux
qui veulent le suivre un chemin de vie et de progrès
spirituel.
Une Eglise présente à la société
Nous avons commencé une réflexion sur la présence
et la responsabilité de l’Eglise dans notre société.
Nous avons évalué la place tenue par les catholiques
dans le pays, aujourd’hui. Parce que celle-ci a changé,
il arrive qu’on pronostique son déclin ou sa
disparition. Une observation plus fine repère un levain
qui travaille toujours la pâte. Nous ne cherchons pas
une visibilité rassurante mais nous voulons une reconnaissance
sociale qui permette un service de tous sans exclusive. D’ailleurs,
notre ministère épiscopal nous donne de multiples
occasions de pouvoir vérifier l’ampleur de la
part que l’Eglise catholique, par ses membres et ses
institutions, prend dans la vie de notre société.
Elle participe aux réflexions, aux choix, aux débats
de société, de multiples manières et
spécialement grâce aux divers moyens de communication.
Elle s’investit dans l’éducation des enfants
et des jeunes. Elle se fait proche de tous ceux qui sont éprouvés
dans leur santé, leur intelligence, leurs conditions
de vie.
Les églises de nos villages, de nos quartiers, de
nos villes ne sont pas seulement des édifices, témoins
d’un passé qui serait révolu. Elles sont
des lieux où se célèbre la foi, où
se laisse pressentir, à travers leur beauté
même, la présence de Dieu qui se révèle
à l’homme.
Le partage entre nous, évêques, sur la place
de l’Eglise catholique dans la société
française d’aujourd’hui nous a ramenés
à l’essentiel de notre mission : vivre comme
des croyants, accompagner la recherche spirituelle de nos
contemporains, nous engager dans le service de l’homme,
œuvrer pour un monde plus juste et fraternel en osant
risquer de nouveaux chemins pour la proposition de l’Evangile.
Nous n’oublions pas que pour les disciples du Christ
les pauvres ont une place privilégiée dans l’annonce
de l’Evangile. Un des signes que le salut est là
n’est-il pas que la Bonne Nouvelle leur est annoncée
(cf. Lc 4, 18) ? Nous pensons à tous ceux qui, dans
notre société, vivent dans la pauvreté,
la marginalité sociale ou l’exclusion. Ces dernières
semaines, différents organismes ou associations ont
exprimé leurs inquiétudes à propos des
propositions de lois sur la sécurité intérieure.
Ils ont fait part de leurs réserves, craignant des
dérives possibles dans l’application de ces dispositions
législatives. Nous entendons leurs inquiétudes
et leurs questions. Nous appelons à la vigilance. Si
l’exploitation mafieuse de la prostitution, de la misère,
des migrations et des squatts doit être sanctionnée,
il est important que nous n’en arrivions pas à
criminaliser la misère et à suspecter systématiquement
des catégories entières de population en situation
précaire (gens du voyage, migrants, personnes sans
domicile fixe, jeunes des banlieues, etc.). Il en va du respect
de la dignité de tout homme, créé à
l’image de Dieu.
Participer à la construction de l’Europe
Lors de notre Assemblée, l’avenir de l’Union
européenne a été particulièrement
présent à notre réflexion. L’horizon
de l’année 2004 a retenu notre attention. Cette
année-là, dix nations vont vraisemblablement
entrer dans l’Union européenne.
Nous avons entendu le Président de la Conférence
épiscopale de Hongrie, Mgr Seregely, nous dire le souhait
ardent des pays d’Europe centrale de rejoindre l’Union.
Soumis pendant près de cinquante ans à un athéisme
imposé, ces nations d’Europe centrale se réjouissent
de pouvoir bénéficier de nouveau d’une
réelle liberté religieuse. Les évêques
de ces pays connaissent les risques du sécularisme
et du relativisme religieux qui marquent les pays d’Europe
occidentale. Mais ils font confiance à leurs fidèles
et à ceux de nos pays pour relever les défis
de la proposition de la foi aux nouvelles générations
d’Européens. Ils aspirent à voir s’améliorer
leur niveau de vie tout en restant lucides sur les efforts
qui leur seront demandés et les défis à
relever pour sauvegarder la richesse de leur culture et de
leurs traditions nationales.
Nous avons tous à être attentifs aux vrais enjeux
de la construction européenne. Sans les sous-estimer,
nous voulons rappeler que l’Union européenne
ne se réduit pas à ses seuls aspects économiques
et financiers. Depuis son origine, cette Union repose sur
une volonté de réconciliation et de pardon entre
nations trop longtemps ennemies et ainsi sur un désir
de servir la paix dans le monde.
Nos diverses instances ecclésiales ont apporté
leurs contributions à la préparation de la Convention
européenne. Celles-ci stipulent dans les textes envoyés
que le droit des différentes confessions religieuses
doit rester de la compétence des divers Etats membres.
Cela est de nature à sauvegarder l’originalité
des traditions culturelles qui font la richesse de l’Europe.
Avec le pape Jean-Paul II et beaucoup de conférences
épiscopales d’Europe, nous souhaitons la reconnaissance
positive, non seulement de l’héritage religieux
de notre continent, mais aussi de la contribution qu’apportent
à la vitalité de la culture et au renforcement
du lien social les diverses traditions religieuses. Ce n’est
pas défendre des intérêts catégoriels
que de nous mobiliser pour ce qui engage l’avenir de
l’homme, sa dignité et sa destinée.
Nous invitons donc les catholiques, les mouvements et les
services de nos diocèses à s’intéresser
au devenir de l’Europe et nous encourageons toutes les
initiatives qui peuvent contribuer à renforcer ces
liens de solidarité et d’amitié entre
pays européens (jumelages, colloques spécialisées,
initiatives des universités, des congrégations
religieuses, des paroisses, Semaine sociale européenne
de Lille en septembre 2004…).
Renforcer nos liens de communion
Notre Assemblée a été vraiment un temps
de rencontre fraternelle, de prière, de réflexion
commune, de discernement pastoral. Ensemble, nous avons cherché
à servir l’annonce de la Bonne Nouvelle dont
l’Eglise est porteuse. Nous devons encore améliorer
nos méthodes de travail. Il nous faut poursuivre notre
réflexion sur la réforme des structures de notre
Conférence. Celles-ci seront appelées à
être revues pour permettre un meilleur dynamisme apostolique
et une plus grande adéquation à nos capacités
d’investissement en personnes et en finances. Nous continuerons
à travailler cette question en provinces et en Assemblée.
Des propositions vous seront faites dans les mois qui viennent
pour avancer dans ce travail. Puissent ces réformes
de structures nous aider surtout à vivre l’expérience
d’une plus grande collégialité ! Les enjeux
de notre mission commune impliquent le renforcement de nos
liens de communion.
* * *
Nous allons rentrer maintenant dans nos diocèses.
La mission qui nous attend, les défis à relever,
les initiatives à prendre peuvent nous paraître
écrasants. Sans doute avons-nous aujourd’hui
une conscience plus vive de nos limites, de la pauvreté
de nos moyens et de nos capacités. N’est-ce pas
là un appel à nous en remettre plus radicalement
encore à l’Esprit Saint et à sa puissance
? N’avons-nous pas à accueillir comme une invitation
à la confiance cette parole du Christ à Paul
: "Ma grâce te suffit ; ma puissance donne
toute sa mesure dans la faiblesse" ? Et l’apôtre
d’ajouter : "Car lorsque je suis faible, c’est
alors que je suis fort" (2 Co 12, 9.10). Si Dieu
est à l’œuvre, pourquoi avoir peur ? C’est
lui qui agira. Ce qu’il attend de nous, c’est
la foi, la confiance, la disponibilité à le
servir. La fécondité de notre action, c’est
Lui qui la donnera.
Lourdes, samedi 9 novembre 2002
Jean-Pierre RICARD
Archevêque de Bordeaux
Président de la Conférence des Evêques
de France
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