Déclaration de la Commission Sociale de
l'Episcopat
"Réhabiliter la politique"
(1999)
Introduction
1 - La Commission Sociale des évêques de France
désire porter sur la politique un regard renouvelé
et susciter, dans ce domaine, dautres comportements.
Elle veut aider à y discerner de nouvelles urgences.
En effet, larrivée de lEuro et la construction
de lEurope, le déferlement de la mondialisation
économique, financière et médiatique,
lampleur des innovations technologiques et des bouleversements
quelles entraînent, interpellent la conscience
universelle, les responsables politiques et chaque citoyen.
2 - Solidaires du genre humain, les chrétiens et
les chrétiennes ne peuvent se détourner des
réalités de ce monde engagé dans une
mutation rapide et sans précédent en tous
domaines. Ils participent, avec tous, à la construction
continue de lavenir de leur cité, de leur région,
de leur nation, de lEurope, de la communauté
des nations et de lhumanité entière.
En France, nous vivons dans une société laïque.
Cette situation nimplique nullement que la dimension
religieuse et la dimension éthique soient écartées
de lespace public. Les catholiques participent comme
tous les citoyens aux débats politiques. Il est légitime
quils prennent la parole pour défendre leurs
propres convictions chrétiennes dans le respect de
celles des autres.
3 - La politique est une oeuvre collective, permanente,
une grande aventure humaine. Elle a des dimensions sans
cesse nouvelles et élargies. Elle concerne à
la fois la vie quotidienne et le destin de lhumanité
à tous les niveaux. Limage quelle a dans
notre société a besoin dêtre revalorisée.
Elle est une activité noble et difficile. Les hommes
et les femmes qui sy engagent, ainsi que tous ceux
et celles qui veulent contribuer au " vivre ensemble
", méritent notre encouragement.
Chapitre 1 - Un regard lucide sur la réalité
politique
I - La politique dévaluée
4 - Le sens du politique tend à sémousser
et à se dégrader ; relevons quelques symptômes
de ce mal.
Une impression dimpuissance
Lopinion publique a le sentiment que les gouvernants
successifs sont impuissants à résoudre les
grands problèmes actuels et à dessiner un
avenir : on multiplie les mesures et les aides publiques,
mais le chômage ne recule guère et les pauvretés
saggravent. La criminalité et la délinquance
saccroissent dans les quartiers sensibles de nombreuses
cités. Elles engendrent de nouvelles peurs. Les inégalités
sociales se durcissent en éclatements territoriaux.
Le lien social et la cohésion sociale sont ainsi
mis en danger.
En outre, des hommes et des femmes engagés en politique
se montrent souvent incapables dopérer des
réformes profondes et nécessaires, danticiper
sur le futur. Leurs décisions sont prises pour le
court terme, trop souvent dans une perspective électoraliste.
Pour leur part, nombre de personnes se plaignent de la
surabondance de lois et de règles. Mais dès
que survient un incident ou un imprévu, ils réclament
que lon légifère et cherchent à
désigner des coupables. Probablement attendent-ils
trop de laction politique et nen perçoivent-ils
pas suffisamment les limites. La gestion des affaires de
la cité est une tâche de plus en plus malaisée
du fait de la complexité croissante des problèmes,
de leur interdépendance et de la rapidité
des changements techniques rendant plus difficiles le recul
et la réflexion nécessaires.
Un éloignement des centres de décision
5 - Les centres de décision paraissent séloigner
et se perdre dans lanonymat, les marges dinitiative
se réduire. Les responsables politiques et socioprofessionnels
sont affrontés à la complexité des
problèmes, à lurgence de linstant,
à la logique impitoyable des marchés. Ils
sont souvent tentés de sen remettre aux experts,
de céder à la pression des lobbies ou de la
rue.
Une classe dirigeante qui serait coupée des préoccupations
quotidiennes de la population, ne pourrait pas tenir ses
promesses. Le fossé sélargit entre loffre
des institutions et la demande des citoyens. Nombre de ces
derniers renoncent à comprendre ce qui se vit, à
prendre part à la destinée collective. De
là, une forte diminution de la militance, une participation
électorale irrégulière, un absentéisme
croissant, une diminution des inscrits sur les listes électorales,
surtout parmi les jeunes générations.
Les "affaires" ...
6 - De nombreuses "affaires" touchant
personnalités et partis ont provoqué accusations,
soupçons, amalgames et généralisations.
Elles ont rejailli sur le monde politique en son ensemble,
même si elles ne concernent que quelques-uns et que
probablement elles étaient aussi fréquentes
dans le passé. Toutes ces dérives sapent la
confiance des citoyens.
La politique se réduirait-elle à nêtre
que la gestion de dossiers complexes, la solution de conflits
dintérêts, la régulation dégoïsmes
corporatistes ou locaux, la soumission à la logique
dappareil au sein des partis ? Un tel affadissement
ouvre le champ à la renaissance didéologies
extrémistes qui jouent sur les peurs et développent
des thèmes démagogiques poussant aux exclusions
et à la haine.
II- La finalité de la politique
7 - Devant ce questionnement, nous affirmons que la politique
est essentielle : une société qui la mésestime
se met en péril. Il est urgent de la réhabiliter
et de repenser en tous domaines (éducation, famille,
économie, écologie, culture, santé,
protection sociale, justice...) un rapport actif entre la
politique et la vie quotidienne des citoyens.
Réaliser le vivre ensemble
8 - La politique a en effet comme ambition de réaliser
le " vivre ensemble " de personnes et de groupes
qui, sans elle, resteraient étrangers les uns aux
autres. " Ceux qui soupçonnent la politique
dinfamie sen font souvent une idée courte...
Laction politique a un fantastique enjeu : tendre
vers une société dans laquelle chaque être
humain reconnaîtrait en nimporte quel autre
être humain son frère et le traiterait comme
tel ".
Poursuivre le bien commun
9 - Lorganisation politique existe par et pour le
bien commun, lequel est plus que la somme des intérêts
particuliers, individuels ou collectifs, souvent contradictoires
entre eux. Il " comprend lensemble des conditions
de vie sociale qui permettent aux hommes, aux familles et
aux groupements de saccomplir plus complètement
et plus facilement. ". Aussi doit-il être lobjet
dune recherche inlassable de ce qui sert au plus grand
nombre, de ce qui permet daméliorer la condition
des plus démunis et des plus faibles. Il se doit
de prendre en compte non seulement lintérêt
des générations actuelles, mais également,
dans la perspective dun développement durable,
celui des générations futures.
Maîtriser la violence
10 - La violence est au cur de la condition humaine.
Lun des buts de la politique est de la maîtriser
partout où elle est présente : délinquances,
criminalité, prises dotages, terrorisme, injustices
flagrantes, conflits dintérêts, guerres
renaissantes, menaces pour la paix intérieure ou
extérieure... Afin de sortir de lanimalité
de la violence brute, elle réserve à lEtat
le monopole de la contrainte physique légitime et
contrôlée. Elle cherche à substituer
à cette violence le droit et la parole. Elle met
en place des institutions et des procédures de médiation
qui préservent lhomme lui-même de ses
propres dérives, en particulier en cherchant un juste
équilibre entre pouvoir judiciaire et pouvoir politique,
pour assurer la liberté de chaque citoyen.
Ainsi pourront vivre ensemble et se reconnaître comme
êtres égaux et différents, dans la sécurité
assurée, des citoyens et des citoyennes que distinguent,
et souvent opposent, le sexe, lâge, la classe
sociale, lorigine, la culture, les croyances ...
Le politique est en quelque sorte " lenglobant
majeur " des différents secteurs de la vie en
société : économie, vie familiale,
culture, environnement. Elle est en tout, mais nest
pas tout. On tomberait vite dans un totalitarisme si lEtat
prétendait assumer la charge directe de lensemble
des activités quotidiennes.
Valoriser la tâche politique
11 - La noblesse de lengagement politique
est indéniable. Les abus qui existent ne doivent
pas être larbre qui cache la forêt de
tous ceux qui, animés par le souci de la justice
et de la solidarité, se dépensent pour le
bien commun et conçoivent leur activité comme
un service et non comme un moyen de satisfaire leur ambition
personnelle. Dénoncer la corruption, ce nest
pas condamner la politique dans son ensemble, ni justifier
le scepticisme et labsentéisme à légard
de laction politique.
III - La lumière de la foi chrétienne
12 - La foi chrétienne est l une des composantes
majeures de lhistoire et de la culture européennes.
Pour participer à la grande et belle tâche
du " vivre ensemble ", notre foi chrétienne
ne nous donne ni instruments originaux danalyse et
de stratégie, ni modèles institutionnels à
appliquer : mais elle nous incite à contribuer à
la recherche commune, avec tous les hommes de bonne volonté.
Elle nous offre certains repères éthiques
et spirituels que nous pouvons partager avec nombre de nos
contemporains qui nont pas notre foi.
La foi chrétienne donne ... un sens
13 - Notre foi chrétienne nous propose un sens,
capable dorienter toute lexistence personnelle
et collective. Lhomme, créé libre et
responsable à limage de Dieu, est appelé
à continuer luvre du Créateur
dont lhorizon ultime est le rassemblement de toute
lhumanité dans le Corps du Christ ressuscité.
En Lui, nous serons tous un, nous serons une communauté
où chacun sera pleinement reconnu comme enfant de
Dieu. En travaillant à réaliser le "
vivre ensemble " de tous, à rendre la terre
habitable pour tous, nous anticipons dès maintenant
au cur du monde - " sur la terre comme au ciel
" - cette communion des personnes, tâche à
poursuivre sans cesse malgré sa réalisation
toujours imparfaite.
... des repères
14 - Notre foi chrétienne nous donne également
des repères qui éclairent notre réflexion
et inspirent notre action.
§ 1 - le primat de la dignité de la personne
humaine. Toute institution, toute société
est au service de la promotion de lhomme, appelé
à prendre la parole et à participer. "
Le sabbat est pour lhomme et non lhomme pour
le sabbat " (Evangile de Marc 2,27).
§ 2 - lattention toute particulière
donnée au pauvre, au faible, à lopprimé,
vivantes images du Christ incarné : " ce que
vous faites à lun de ces plus petits qui sont
mes frères, cest à moi que vous le faites
" (Evangile de Matthieu 25, 40). Cest la grandeur
de la politique de reconnaître, dintégrer
et de promouvoir les plus démunis, les exclus et
déradiquer les conditions dexistence
déshumanisantes.
§ 3 - le pouvoir conçu comme un service
, non comme une domination : " Que celui qui gouverne
parmi vous se comporte comme celui qui sert " (Evangile
de Luc 22, 26)
§ 4 - le respect de ladversaire : il a, lui
aussi, sa part de vérité. LEvangile
nous invite même à aller au-delà : "
Aimez vos ennemis, priez pour vos persécuteurs ;
ainsi vous serez fils de votre Père qui est aux cieux,
car il fait lever son soleil sur les méchants et
sur les bons " (Evangile de Matthieu 5, 44-45).
§ 5 - louverture à luniversalisme,
notamment par le dépassement de tout nationalisme
et de tout racisme. " Dieu ne fait pas de différence
entre les hommes ; mais quelle que soit leur race, il accueille
les hommes qui ladorent et font ce qui est juste "
(Livre des Actes des Apôtres 10, 34-35).
§ 6 - Le partage et la destination universelle des
biens. " Si quelquun, jouissant des richesses
du monde, voit son frère dans la nécessité
et lui ferme ses entrailles, comment lamour de Dieu
demeurerait-il en lui " (Première lettre de
Jean 3, 17) ? Dieu na-t-il pas " destiné
la terre et tout ce quelle renferme à lusage
de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que
les biens de la création doivent équitablement
affluer entre les mains de tous, selon les règles
de la justice, inséparable de la charité "
?
... une espérance
15 - Enfin, la foi chrétienne nous enracine dans
lespérance du don de Dieu qui nous appelle
à communier pleinement à sa vie pour toujours.
Cette espérance, fondée sur la résurrection
du Christ, donne tout leur poids à nos tâches
terrestres par lesquelles nous nous efforçons dhumaniser
notre monde. Elle est une certitude fondée en Dieu
que rien ne se perdra de ce que nous faisons par amour,
même pas loffrande dun simple verre deau
fraîche (Evangile de Matthieu 11, 42). " Ces
valeurs de dignité, de communion fraternelle et de
liberté que nous aurons propagées sur cette
terre, nous les retrouverons plus tard, mais purifiées
de toute souillure ... Mystérieusement, le Royaume
est déjà présent sur cette terre, il
atteindra sa perfection quand le Seigneur reviendra ".
Chapitre II - Vivre ensemble en démocratie
16 - Au long des âges et dans la diversité
des civilisations, les sociétés humaines ont
expérimenté maints types dorganisation
politique. Le " vivre ensemble ", nous tentons
aujourdhui de le réaliser dans le cadre de
la démocratie. Celle-ci ne comble pas pleinement
lattente des hommes mais, en son type occidental,
fondée sur léquilibre des pouvoirs et
la souveraineté d'un peuple de citoyens égaux
en droit, elle apparaît comme le modèle le
plus humanisant, même sil faut constamment le
régénérer.
Une démocratie menacée danémie
17 - Depuis un demi siècle, le souffle démocratique
gagne toujours plus dEtats et de domaines au détriment
des régimes totalitaires. La démocratie triomphe
dans les esprits et nest plus guère contestée,
sinon par des idéologies passéistes ou réactionnaires
qui nacceptent pas vraiment légalité
des hommes entre eux ni leur vocation à la liberté
et à la fraternité sociale.
Cependant, la démocratie engendre trop souvent le
désenchantement et la morosité de ceux qui
en héritent. Elle semble frappée de vieillissement
et danémie ; elle révèle certaines
de ses limites et de ses fragilités. Trop de citoyens
deviennent des consommateurs réclamant toujours plus
de droits garantis, acceptant toujours moins de devoirs
partagés.
Cest que la démocratie nest pas une
donnée de nature ni un acquis définitif, mais
le résultat des combats des générations
successives, que chaque génération est appelée
à reprendre et à poursuivre à son compte.
18 - La cause principale de la fragilité de nos
démocraties réside dans cette invasion de
lindividualisme extrême, du " chacun pour
soi ", fruit dun libéralisme qui rejette
toute contrainte et de la permissivité généralisée
qui laisse chacun faire ce qui lui plaît. Vivant dans
un imaginaire social où dominent la peur de lavenir
et labsence de projet global, des Français,
prisonniers de linstant et de lémotion,
se crispent sur leurs avantages, demandent à lEtat-providence
de les rassurer, de leur apporter des résultats immédiats.
Une autre cause est à rechercher dans lexacerbation
des différences, dans ces réflexes identitaires
ou ethniques de groupes qui, se sentant menacés ou
ignorés, recourent à la violence, veulent
étouffer et exclure les autres. Pour éviter
ces enfermements, une politique douverture et danimation
transformera ces diversités en modes dintégration
sociale et de brassage culturel.
Les exigences de la démocratie
19 - La démocratie a besoin de vertu, pour
les dirigeants comme pour les citoyens eux-mêmes.
Elle a besoin dune éthique qui repose
sur un système de valeurs essentielles : la liberté,
la justice, légale dignité des personnes
- ce que nous appelons le respect des droits de lhomme.
Une vigilance simpose devant certains types de fonctionnement
démocratique qui semblent saper progressivement ces
vertus mêmes dont la démocratie a besoin :
cest particulièrement le cas lorsque lon
estime quune décision est valable du seul fait
quelle est le fruit dun vote majoritaire .
Il est également urgent de comprendre que les droits
de chacun constituent les devoirs de tous. La notion de
citoyenneté, dont il est tant question aujourdhui,
ne se réduit pas au seul contrôle, à
intervalles réguliers, des responsables politiques
choisis au rythme délections successives. Chacun
est porteur dune fécondité sociale à
valoriser. Passer du stade de citoyen -consommateur à
celui de citoyen-acteur est un objectif majeur. La politique
est luvre de tous. Il est vain dattendre
de la classe politique, des chefs dentreprises, des
policiers, des magistrats et des détenteurs de pouvoir
... un civisme qui ne serait pas celui de lensemble
de la population.
Des comportements et des institutions démocratiques
20 - Pas de démocratie véritable sans comportements
démocratiques : apprendre à connaître
et à reconnaître lautre ; privilégier
le débat plutôt que le combat ; développer
le dialogue et le sens du compromis ; faire prévaloir
la raison sur la passion ; bannir lusage de la violence
et du mensonge.
La démocratie suppose, avant les choix, la réflexion
et le débat, linformation et lanalyse,
des règles du jeu contrôlées. Cest
le rôle indispensable des partis politiques de nourrir
le débat public. Cest aussi le rôle des
syndicats, des associations diverses et dune presse
libre dy contribuer. Il est souhaitable que les Eglises
elles-mêmes prennent la parole dans cette agora.
La démocratie de représentation a grand besoin
dêtre renouvelée, notamment par un plus
grand accès des femmes aux fonctions publiques et
par une clarification des niveaux de décision territoriale.
Elle appelle à une démocratie de participation.
Le champ est considérable de la participation des
citoyens aux décisions qui leur sont les plus proches,
en réponse à leurs besoins : lécole,
le logement, la santé, les transports, lurbanisme,
laménagement du cadre de vie, la lutte contre
la délinquance, linsertion, la formation permanente,
les initiatives créatrices demploi, danimation
sociale et culturelle.
Lapprentissage de la démocratie
21 - La démocratie sapprend par la
pratique tout au long de la vie. Une société
dassistance peut mener à lirresponsabilité
ainsi quà la dégradation, voire à
la mort de la démocratie.
Cette éducation permanente concerne la compréhension
des grands mouvements de nos sociétés et des
institutions qui semploient à les conduire,
la formation à la conscience critique et surtout
la prise de responsabilités.
§ 1 - La vie familiale est le lieu premier
de la socialisation de lenfant, de lapprentissage
des règles de la vie en société, de
léveil de la conscience morale, de léducation
au sens du bien et du mal.
§ 2 - De son côté, lécole
joue un rôle primordial, en particulier par la reconnaissance
et le respect de lautre et des autres, louverture
sur un monde à construire, lapprentissage du
travail en équipe et la diffusion dune culture
de la responsabilité.
§ 3 - Le temps de la jeunesse pourrait être
privilégié pour la prise de conscience de
limportance de la tâche politique ouverte à
léchelle de lhumanité. Les jeunes
sont très majoritairement favorables aux droits de
lhomme, soucieux des progrès de la paix et
de la solidarité, mais trop peu parmi eux comprennent
limportance de la politique qui est pourtant la forme
principale dincarnation de ces valeurs. " Je
vous demande, jeunes de lan 2000, disait le pape Jean-Paul
II, le 8 mai 1995, dêtre vigilants face à
la culture de la haine et de la mort qui se manifeste. Rejetez
les idéologies bornées et violentes, rejetez
toute forme de nationalisme exacerbé et dintolérance
: cest là que sinsinue insensiblement
la tentation de la violence et de la guerre. La mission
vous est confiée douvrir des voies nouvelles
pour la fraternité entre les peuples, pour bâtir
une famille humaine unique ".
§ 4 - Une attention particulière est à
porter aux multiples réseaux de la vie associative,
aux initiatives de développement local et solidaire,
aux instances de concertation et de programmation où
hommes et femmes expriment leurs aspirations, définissent
leurs priorités. A ces échelons de proximité,
des acteurs prennent des responsabilités précises.
Les nouveaux moyens de communications (ex. Internet) et
déchanges (stages, voyages) créent des
liens directs entre groupes : les expériences se
partagent, qui concilient lenracinement dans un engagement
précis et louverture progressive à luniversel.
§ 5 - On sait limmense influence exercée
par les médias (spécialement laudiovisuel),
qui modèlent comportements et valeurs. Ils permettent
dinformer rapidement et de découvrir ce qui
se passe en tout point du globe. Mais simplifier les choses,
jouer à la " politique spectacle ", accorder
le primat à lémotion sur la raison et
parfois jeter le soupçon sur les acteurs politiques
sont des tentations auxquelles il leur est parfois difficile
de résister.
Les médias ne pourraient-ils pas avoir un regard
critique sur leurs propres pratiques, exercer une autorégulation
et respecter un code de déontologie qui limiterait
les risques de dérive ? Il est également souhaitable
que chacun apprenne à mieux se servir de ces puissants
moyens de communication.
Lenseignement de lEglise sur la démocratie
22 - La Bible ne pouvait traiter du régime démocratique.
Il y a cependant une réelle convergence entre les
valeurs de la démocratie et les sources dinspiration
de la foi chrétienne. Trois points essentiels, qui
sont force de renouvellement dune véritable
démocratie, se dégagent de lenseignement
constant de lEglise.
§ 1 - Elle souligne limportance des corps
intermédiaires (partis, syndicats , associations,
collectivités, Eglises ...) qui aident à la
responsabilité de tous et sont un frein au risque
dabus du pouvoir den haut.
§ 2 - Depuis longtemps, elle met laccent sur
le principe de subsidiarité. Celui-ci demande,
dune part, de laisser à léchelon
dorganisation le plus proche ce qui peut y être
traité. Il invite, dautre part, à faire
remonter à léchelon immédiatement
supérieur - et ainsi de proche en proche -, dans
une démarche ascendante, ce que des institutions
trop légères ne peuvent assumer.
§ 3 - Enfin, elle fonde la reconnaissance du pluralisme.
Celui-ci nest ni neutralité ni indifférentisme,
mais il témoigne de la relativité des pensées
et des programmes politiques, lesquels ne peuvent jamais
prétendre incarner toute la vérité.
Chapitre III - LEurope et la mondialisation :
De nouvelles dimensions
23 - La démocratie ne peut se cantonner aux problèmes
locaux, régionaux, nationaux. LEurope se construit,
le monde sunifie, appelant de nouvelles régulations
à hauteur des défis à relever. Ces
dimensions nouvelles, trop souvent envisagées comme
une fatalité, méritent dêtre considérées
comme autant doccasion de créer des projets
mobilisateurs.
1° - LEurope, une aventure à poursuivre
Déjà, une belle réussite
Depuis presque cinquante ans, grâce à la ténacité
dhommes politiques, lEurope sest construite,
par les peuples et par les institutions quelle a mises
sur pied. Elle sest donné comme objet de réaliser
la paix, la réconciliation et la solidarité,
entre les pays qui sétaient durement affrontés
au cours de deux guerres mondiales. Les avancées
économiques, sociales et culturelles sont considérables,
mais un long chemin reste à parcourir.
24 - Le Conseil de lEurope, dont nous fêtons
cette année le 50° anniversaire de la fondation,
regroupe aujourdhui, depuis la chute du mur de Berlin,
quarante Etats membres et quatre Etats associés.
On ne peut que se réjouir des objectifs atteints
dans le cadre du renforcement de la démocratie pluraliste
par la prééminence du droit, la promotion
de la cohésion sociale et culturelle et tous les
mécanismes mis en uvre pour la protection des
droits de lhomme et les droits sociaux. La Cour européenne
des Droits de lhomme, devenue récemment permanente,
ainsi que le mécanisme de contrôle des droits
garantis par la Charte sociale en sont des exemples convaincants.
25 - De son côté, lUnion Européenne,
créée il y a presque cinquante ans par le
Traité de Rome, est passée de six à
quinze Etats. Elle a pour objectif essentiel détablir
une union sans cesse plus étroite entre les peuples.
Elle est parvenue à créer une monnaie unique,
qui devrait être un facteur de stabilité monétaire.
Elle a ouvert des négociations en vue de son élargissement
à une dizaine de pays de lEurope du Centre
et de lEst.
Malgré ses lenteurs, ses lourdeurs, parfois ses
désenchantements, LUnion Européenne
est la prise en charge par une communauté dEtats
de leur avenir commun dans le respect de leurs diversités.
Elle est une invitation à changer déchelle
et à se libérer des visions trop étroitement
nationales et trop tributaires du passé.
Ny-a-t-il pas nécessité pour chacun
dapprofondir la connaissance de lEurope, de
ses institutions et de participer aux élections qui
engagent son avenir ? Nest-il pas du devoir des candidats
et des formations politiques de mettre à la disposition
de tous les informations nécessaires, de faire saisir
les enjeux pour se décider en connaissance de cause
?
Définir des objectifs pour demain
26 - Plus lUnion Européenne sagrandit,
plus elle a besoin dun projet commun, plus il lui
faut définir ses finalités. Elle nest
pas seulement un grand marché. Elle manifeste que
la politique ne peut se réduire à léconomie.
Elle appelle à avoir une dimension sociale, culturelle,
humaine et spirituelle.
LUnion Européenne incite à dépasser
les frontières, à réévaluer
le sens de la nation, le champ de compétence des
Etats, la vocation des régions, à équilibrer
clairement les pouvoirs. Elle provoque à rechercher
un bien commun plus vaste que celui des Etats nationaux.
Elle est une étape vers luniversalité.
Pour cela, elle doit surmonter la distance entre ses institutions
et les opinions publiques, faire émerger un pouvoir
politique de niveau européen, parvenir à un
accord sur ses finalités et susciter la participation
active de tous les citoyens, des jeunes en particulier et,
de ce fait, se donner une plus grande légitimité
démocratique. A elles seules les institutions ne
feront pas lEurope. Ce sont les hommes qui la construiront.
Bâtir la paix dans le monde
27 - Sans abandonner lexigence dune force dintervention
au service de la paix dans le monde, lEurope unie
marque aussi la volonté de renoncer pour toujours
à la guerre et détablir définitivement
la paix entre les nations qui ont déclenché
deux conflits mondiaux au cours de ce siècle. Elle
nous invite à tirer les leçons des formes
de messianismes absolutisant la race, la nation ou la classe
qui ont fait et font encore tant de mal. Les conflits récents
ou en cours manifestent lurgente nécessité
dune culture de la paix.
Vivre une certaine idée de lhomme
28 - LEurope unie, cest aussi une certaine
conception de la personne humaine, fruit à la fois
de la philosophie antique et du message chrétien.
Cela entraîne limpérieuse obligation
pour lUnion Européenne et les nations qui la
composent de promouvoir, de proclamer sans faiblesse et
de pratiquer scrupuleusement les droits de lhomme
dans leur universalité et leur indivisibilité.
Se sentir responsable de ce message avec humilité
et sans volonté dhégémonie est
lune de ses tâches.
Garder louverture au monde
29 - LEurope unie ne peut se replier sur elle-même.
Elle est ouverte sur le monde, comme elle la manifesté
au cours de son histoire, par son élan missionnaire,
par ses liens avec tous les peuples de la planète.
Un dépassement des frontières et des conflits
peut être une référence pour les autres
continents et un facteur déquilibre pour un
monde désorienté. Il faudra apprendre à
partager avec dautres peuples du Sud et de lEst,
à donner plus dimportance au genre de vie quau
niveau de vie, à la qualité des relations
de réciprocité quà laccumulation
des biens. Avec lEurope, nous pouvons, si nous le
voulons, passer dune recherche échevelée
de la croissance, au souci dun développement
durable et solidaire.
2 ° - La Mondialisation, un défi pour la
démocratie
Une fatalité apparente
30 - Cest de plus en plus au niveau de la planète
que tout se joue aujourdhui : la monnaie, léconomie,
lenvironnement, la paix et la guerre, la lutte contre
la drogue, la sécurité collective et même
la justice. Dès 1967, le pape Paul VI, dans son encyclique
Populorum Progressio, déclarait : " la question
sociale est devenue mondiale " et " le développement
est le nouveau nom de la paix ".
Aujourdhui, la mondialisation fait peur. Elle apparaît
moins comme une dimension nouvelle des activités
humaines que comme une sorte de fatalité qui simposerait
à tous. En effet, la mondialisation économique,
financière et médiatique, qui balaie les frontières
et les cultures, se présente comme un terrible défi
pour la démocratie et pour lavenir de lhumanité.
Elle est une réalité évidente qui submerge
les échanges et les représentations. Pour
certains, elle est une étape obligée pour
parvenir au bien-être de lhumanité.
Le pape Jean-Paul II a déclaré récemment
dans son exhortation apostolique " Ecclesia in America
" à lintention des Eglises du continent
américain - ce message vaut pour tout le monde occidental
: " Si la mondialisation est régie par les seules
lois du marché appliquées selon lintérêt
des puissants, les conséquences ne peuvent être
que négatives. Tels sont par exemple, lattribution
dune valeur absolue à léconomie,
le chômage, la diminution et la détérioration
de certains services publics, la destruction de lenvironnement
et de la nature, laugmentation des différences
entre les riches et les pauvres, la concurrence injuste
qui place les nations pauvres dans une situation dinfériorité
toujours plus marquée. Bien que lEglise estime
les valeurs positives que comporte la mondialisation, elle
en considère avec inquiétude les aspects négatifs".
... qui appelle une maîtrise collective
31 - La mondialisation na ni la fatalité,
ni lomniprésence que certains lui attribuent
: elle sera ce quen feront les groupes humains et
leurs représentants. Au lieu de la diaboliser, mieux
vaut tenter de lhumaniser, en renforçant la
solidarité entre les peuples comme entre les groupes,
en moralisant le marché, en reconnaissant toute personne
humaine dans son inaliénable dignité.
" Par sa doctrine sociale, lEglise offre une
contribution valable à la problématique de
léconomie actuelle mondialisée. Sa position
morale en cette matière sappuie sur les trois
pierres angulaires fondamentales de la dignité humaine,
de la solidarité et de la subsidiarité . Léconomie
mondialisée doit être analysée à
la lumière des principes de la justice sociale, en
respectant loption préférentielle pour
les pauvres, qui doivent être mis en mesure de se
défendre dans une économie mondialisée,
et les exigences du bien commun international... "
Des défis à hauteur dhumanité
La mondialisation apparaît comme un immense défi
à relever pour la dignité de chaque personne
dans sa singularité, de chaque peuple dans sa particularité
historique et culturelle, de lhumanité dans
son unité et son universalité.
32 - Défi politique - La société a
besoin dune orientation éthique et politique
qui tende à subordonner léconomie à
la politique. Celle-ci, en effet, doit retrouver tous ses
droits, de sorte quà ce niveau lhumanité
prenne aussi en main son destin et que chaque être
humain se sente citoyen du monde.
Rappelons ce quécrivait Jean XXIII dans "
Pacem in Terris " : " De nos jours, le bien commun
universel pose des problèmes de dimensions mondiales.
Ils ne peuvent être résolus que par une autorité
publique dont le pouvoir, la constitution et le moyen daction
prennent aussi des dimensions mondiales, et qui puisse exercer
son action sur toute létendue de la terre "
Les accords multilatéraux qui se concluent entre
Etats, entre les ensembles continentaux qui sorganisent
- telle lUnion Européenne - les interventions
laborieuses de lONU et des organismes qui sy
rattachent, marquent une première étape dans
cette direction.
Partout on relève la militance des Organisations
Non Gouvernementales qui éveillent à cette
dimension mondiale, manifestent les débuts dune
société civile internationale et deviennent
des interlocuteurs écoutés des Etats et des
instances internationales, notamment dans le domaine du
développement durable, de la paix, du respect des
droits de lhomme, de la justice.
33 - Défi culturel - Dans le domaine de la
culture, la mondialisation peut propager les progrès
de la science, de la santé, de léducation.
Elle doit favoriser les échanges, les rencontres,
élargir les possibilités de choix, prendre
en compte les cultures particulières pour y greffer
des innovations bénéfiques. On a parlé
parfois avec des accents catastrophistes de chocs des cultures
et de conflits de civilisation. Par quelle aberration, des
peuples sentredéchireraient-ils fatalement
au nom de leur culture ? Toute culture nest-elle pas
le fruit et la semence dun cheminement propre, qui
se nourrit du dialogue avec dautres cultures et de
sa tension vers luniversalité ?
34 - Défi moral - En ce lendemain du 50°
anniversaire de la Déclaration universelle des droits
de lhomme, comment ne pas reprendre et approfondir
la très belle expression qui figure à son
début : " La dignité inhérente
à tous les membres de la famille humaine ".
Par sa dimension universelle et par ses enracinements dans
la diversité des cultures, par son long compagnonnage
au cours de lhistoire, lEglise exerce un rôle
et peut adresser un message exceptionnel, pour que chaque
homme, chaque femme et tous ensemble puissent devenir les
acteurs de leur propre cheminement et les bâtisseurs
dun monde plus libre et plus humain.
A P P E L
35 - LEglise ne sort point de sa mission quand elle
prend la parole dans le champ politique : il y va de lhomme
et de lhumanité. Comment pourrait-elle ne pas
faire retentir sans cesse linterrogation lancée
dès les premières pages de la Bible : "Quas-tu
fait de ton frère ? " (Livre de la Genèse
4,9). Le domaine de la politique nest-il pas, selon
la célèbre phrase du Pape Pie XI, " le
champ de la plus vaste charité, la charité
politique " ?
Agissant pour le bien commun, au service de tous et sans
ambition de pouvoir, les chrétiens se sentent à
laise dans une société démocratique
et laïque. Ils lui apportent leur contribution, sans
accepter que leur foi soit reléguée dans la
" sphère du privé ". Cette foi
a une dimension humaine et sociale. La démocratie,
pour être vivante, fera droit à ses références
religieuses et philosophiques dans le débat public.
36 - Les chrétiens savent que le politique nest
pas le tout de la vie humaine puisque pour eux lhomme
ne se réalise pleinement quen Dieu. Mais ils
savent aussi quils participent au dessein de Dieu
sur lhumanité, en oeuvrant pour lunité
de la famille humaine et pour la dignité de chacun
de ses membres. Ils travaillent ainsi à linstauration
du Royaume de Dieu sur terre, même si ce Royaume natteindra
jamais sa plénitude en ce monde.
37 - LEglise na ni compétence technique
propre ni pouvoir institutionnel à finalité
politique, mais elle a vocation à stimuler les énergies
spirituelles, à rappeler le rôle fondateur
des valeurs de transcendance et de spiritualité pour
la construction dun monde plus digne de lhomme,
fils de Dieu. Elle invite les chrétiens à
chercher, dans leurs groupes et mouvements respectifs, à
discerner, à agir avec les autres croyants et avec
les hommes de bonne volonté.
Cest pourquoi, à la suite du document des
évêques de France sur " Pour une pratique
chrétienne de la politique " de 1972 et de leur
" Lettre aux Catholiques de France " de 1996,
nous renouvelons lappel à constituer des espaces
de rencontre, de partage et de confrontation entre personnes
diversement engagées dans la politique, afin de dégager
une cohérence toujours plus grande entre lengagement
personnel et lappel de lEvangile.
Le 17 février 1999
Les évêques de la Commission Sociale
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