Chers diocésains,
Parmi les multiples événements, proches ou
lointains, dont l'écho vous atteint chaque jour, vous
êtes particulièrement interpellés par
les actes de violence, surtout quand ils sont commis dans
vos quartiers, vos villages par des adolescents ou même
par de jeunes enfants. Ils contribuent à créer
ce climat d'insécurité dont on nous parle tant
en ces jours d'élection présidentielle. Vous
devez vous interroger sur les causes profondes de cette insécurité,
en prenant vos distances par rapport au discours dominant.
Car l'insécurité que vous ressentez et dénoncez
à cause de débordements et comportements intolérables
ne cache-t-elle pas une autre insécurité?
Si certains jeunes en arrivent à des violences redoutables
même pour la police, n'est-ce pas parce qu'ils ont connu
un parcours ponctué par des échecs successifs?
Déracinés, sans avenir, non intégrés
dans le système scolaire, arrivant à la majorité
sans aucune qualification, donc sans espoir de travail, comment
ne seraient-ils pas entraînés dans la spirale
du désuvrement, de l'agressivité et, dans
le pire des cas, de la délinquance et des trafics de
toutes sortes ? Ce n'est pas les excuser que de constater
combien ils manquent de ces points de repère qui permettent
de structurer une vie et d'une éducation à la
vraie liberté trop souvent confondue avec les conduites
instinctives, le mépris de toute contrainte et le refus
de la loi. Plus généralement, le climat moral
de notre époque, où domine une permissivité
qui s'étale à la télévision, influe
pernicieusement sur les comportements, et pas seulement sur
la jeunesse. Mais, à déplorer cet état
de fait, on est vite traité de réactionnaire
partisan d'un ordre moral qui porte atteinte à la liberté.
Pourtant, personne ne peut nier sérieusement la nécessité
de la loi et de la règle pour construire la personne
et maintenir la cohésion de la société.
Alors, quel langage devons-nous tenir devant une telle situation?
Certainement pas une déclaration qui risquerait de
susciter la violence ou la haine, mais un message par lequel
nous désirons témoigner sereinement de l'espérance
qui nous habite lorsque nous cherchons à bâtir
l'avenir avec d'autres en étant attentifs à
la vie et à la destinée spirituelle de toute
personne humaine. Voici ce que je vous invite à proclamer
avec conviction :
- Nous voulons que soient abordées les questions sociales
et économiques avec un sens profond de l'homme et de
la communauté humaine tout entière au sein de
laquelle l'aggravation des inégalités constitue
un des problèmes majeurs du troisième millénaire.
Et si les idéologies de l'avenir radieux ne font plus
recette, ne laissons pas se développer une autre idéologie
qui risque de replier notre nation sur elle même sous
le masque trompeur de la défense de la morale, des
intérêts nationaux et de la sécurité.
- Nous avons conscience que l'avenir de notre société
doit se bâtir tout en regardant au-delà de nos
frontières et de nos seuls intérêts nationaux
comme l'a déclaré le Concile Vatican II: "Que
les citoyens cultivent avec magnanimité et loyauté
l'amour de la patrie, mais sans étroitesse d'esprit,
c'est-à-dire de telle façon qu'en même
temps ils prennent toujours en considération le bien
de toute la famille humaine qui rassemble races, peuples et
nations unis par toutes sortes de liens" (Gaudium
et spes, n° 75,4). Il nous faut donc uvrer à
la construction d'une Europe qui ne se repliera pas sur ses
richesses, mais qui ouvrira des perspectives d'un réel
développement aux pays les plus pauvres où vit
la majorité de la population mondiale.
- Nous cherchons, malgré nos faiblesses, à être
les témoins de ce qui nous habite profondément
en Jésus-Christ : l'amour de Dieu et l'amour des autres.
Ils se fécondent mutuellement par le don de l'Esprit.
- Nous sommes heureux de proclamer la Parole vivante de Dieu
qui libère intérieurement, nourrit notre action
au service de nos frères, nous aide à promouvoir
une politique respectueuse de la dignité de toute personne
humaine afin de bâtir l'avenir sur le roc et non pas
sur le sable.
Pierre Joatton
évêque de Saint-Étienne
|
|