Editorial : "Eucharistie Sacrement de l'unité ?"
Ce numéro était sous presse lorsque le monde a été saisi par l’annonce du décès du pape Jean-Paul II. Nous prions pour lui avec reconnaissance. Alors que le mouvement œcuménique cherche un nouveau visage, nous nous souvenons qu’il aimait nous rappeler l’objectif de l’unité des Eglises, dont le signe serait qu’elles célèbrent ensemble l’eucharistie (UUS n°77-78).
Pour l’heure, le sacrement de l’unité reste le sacrement de la division aux yeux de beaucoup de militants de l’oecuménisme, qui vivent douloureusement l’impossibilité de vivre dans les célébrations la fraternité qu’ils expérimentent sur le terrain. Nos Eglises ont, nous le savons, des disciplines différentes sur la question de l’hospitalité eucharistique, et ces dissymétries ne sont pas sans engendrer des tensions. Dans cette revue, plusieurs grands témoins ont appelés à une ouverture plus large de la table eucharistique. Elle correspondrait incontestablement à la sensibilité de beaucoup de nos contemporains témoignant d’un primat de l’expérience personnelle sur les raisons des Eglises, à une montée de manifestations interconfessionnelles privilégiant l’individuel par rapport à l’ecclésial. En exposant la position orthodoxe, B. Gahaller nous rappelle le lien intime entre la conception de l’eucharistie et celle de l’Eglise, exprimé d’une autre manière par le cardinal W. Kasper dans un ouvrage récent, dont nous citons quelques extraits. De fait, la focalisation sur l’hospitalité eucharistique pour faire droit aux besoins spirituels personnels ne risquerait-elle pas de nous faire oublier l’objectif essentiel du mouvement oecuménique : l’unité des Eglises manifestée par la concélébration de leurs ministres dans une eucharistie commune ?
Dans le passé, l’eucharistie fut aussi le sacrement de la division à cause des compréhensions différentes de ce sacrement par les Eglise, à la suite notamment d’une autre focalisation : sur le moment précis de la transformation du pain et du vin, à partir du Moyen-Age. Faut-il rappeler ici les polémiques entre catholiques et orthodoxes sur l’utilisation du pain azyme et surtout sur l’épiclèse ? Ou de même, celles opposant catholiques et protestants sur le mode de présence du Christ ou la nature sacrificielle de l’eucharistie, pour ne prendre que quelques exemples ? La contribution de F. Lienhard en rappelle certains aspects au sein même de la diversité protestante, tout en nous invitant à les dépasser. Dieu merci ! les dialogues théologiques, B. Sesboüé le montre bien, nous ont fait progresser sur ces questions. Même si bien des divergences demeurent, comme l’atteste un point de vue évangélique, celui d’A. Kuen.
Mais la réflexion sur l’eucharistie a fait d’autres progrès sur lesquels notre dossier voudrait aussi attirer votre attention. L’article de R. Taft, sur la reconnaissance de la validité d’une très ancienne prière eucharistique, sans récit de l’institution, en vigueur chez des chrétiens d’Orient, nous montre l’impact des fructueuses recherches sur la genèse de ces prières. Il suggère les implications que cette reconnaissance pourrait avoir sur la théologie catholique de l’eucharistie.
En ces mois où l’Eglise catholique vit précisément une "année de l’eucharistie", le dialogue oecuménique a sans aucun doute une contribution à apporter à une telle démarche. Par cette présentation de quelques aspects d’un dossier complexe, notre revue voudrait en rappeler les grands enjeux pour tous ceux que le Seigneur veut rassembler à sa table.
Fr. M. Mallèvre
|