1. Parmi les tâches confiées aux Académies
qui ont été fondées par les Pontifes
romains au cours des siècles, la première
place revient à la recherche en philosophie et
en théologie.
Dans ma récente Lettre encyclique Fides et ratio
(DC 1998, n. 2191, p. 901-942. NDLR), j'ai attribué
une grande importance au dialogue entre la théologie
et la philosophie, et j'ai dit clairement combien j'apprécie
la pensée de saint Thomas d'Aquin, reconnaissant
sa perpétuelle nouveauté (cf. n. 43-44).
A juste titre, saint Thomas peut être appelé
" Apôtre de la vérité "
(n. 44). En effet, l'intuition du Docteur angélique
consiste en la certitude qu'il existe une harmonie fondamentale
entre la foi et la raison (cf. n. 43): " Il est
donc nécessaire que la raison du croyant ait
une connaissance naturelle, vraie et cohérente,
des choses créées du monde et de l'homme,
qui sont aussi l'objet de la révélation
divine; plus encore, la raison doit être en mesure
d'articuler cette connaissance de manière conceptuelle
et sous forme d'argumentation " (n. 66).
2. A l'aube du troisième millénaire,
bien des conditions culturelles ont changé. On
perçoit des approfondissements très importants
dans le domaine de l'anthropologie, mais surtout des
changements substantiels dans la manière même
de comprendre la condition de l'homme devant Dieu, devant
les autres hommes et la création tout entière.
Le défi le plus grand de notre époque
vient avant tout d'une séparation croissante
entre la foi et la raison, entre l'Evangile et la culture.
Les études consacrées à cet immense
domaine se multiplient chaque jour dans le contexte
de la nouvelle évangélisation. En effet,
l'annonce du salut rencontre de nombreux obstacles qui
découlent de concepts erronés et d'un
grave manque de formation adéquate.
3. Un siècle après la promulgation de
la Lettre encyclique Aeterni Patris de mon prédécesseur
Léon XIII, qui marqua le début d'un nouveau
développement dans le renouveau des études
philosophiques et théologiques, ainsi que dans
les rapports entre la foi et la raison, j'entends donner
une nouvelle impulsion aux Académies pontificales
qui travaillent dans ce domaine, en tenant compte de
la pensée et des orientations actuelles, ainsi
que des besoins pastoraux de l'Eglise.
Aussi, reconnaissant l'oeuvre accomplie depuis des siècles
par les membres de l'Académie théologique
romaine et de l'Académie pontificale Saint Thomas
d'Aquin et de Religion catholique, j'ai décidé
de renouveler les statuts - joints à cette Lettre
apostolique - de ces Académies pontificales,
afin qu'elles puissent exercer leur action dans les
domaines philosophique et théologique avec une
plus grande efficacité, pour venir en aide à
la mission pastorale du Successeur de Pierre et de l'Eglise
universelle.
4. L'Académie pontificale Saint Thomas d'Aquin.
" Doctor Humanitatis " [Docteur de l'Humanité]
est le nom que l'on donne à saint Thomas d'Aquin
parce qu'il fut toujours prêt à accueillir
les valeurs de toutes les cultures (Allocution aux participants
au VIIIe Congrès thomiste international, 13 septembre
1980 : Insegnamenti, III, 2 [1980] 609). Dans les conditions
culturelles de notre temps, il semble vraiment opportun
de développer toujours davantage cette partie
de la doctrine thomiste qui traite de l'humanité,
car ses affirmations sur la dignité de la personne
humaine et l'usage de sa raison, en parfaite harmonie
avec la foi, font de saint Thomas un maître pour
notre temps. Les hommes, surtout dans le monde d'aujourd'hui,
sont préoccupés par cette question : qu'est-ce
que l'homme ? En employant cette appellation de "
Doctor Humanitatis ", je me tiens dans le sillage
du Concile Vatican Il, qui a traité de l'usage
de la doctrine de l'Aquinate dans la formation philosophique
et théologique des prêtres (Décret
Optatam totius, 16), comme aussi de l'approfondissement,
dans les Universités, de l'harmonie et de la
concorde entre la foi et la raison (Déclaration
Gravissimum educationis, 10).
Dans ma récente Lettre encyclique Fides et ratio,
j'ai voulu rappeler l'enthousiasme de mon Prédécesseur
Léon XIII quand il promulgua son Encyclique qui
commençait par ces mots : " Aeterni Patris
" (4 août 1879 : ASS 11 [1878-1879] 97-115)
: " Ce grand Pontife a repris et développé
l'enseignement du Concile Vatican I sur les rapports
entre la foi et la raison, montrant que la pensée
philosophique est une contribution fondamentale pour
la foi et la science théologique. À plus
d'un siècle de distance, de nombreux éléments
contenus dans ce texte n'ont rien perdu de leur intérêt
du point de vue tant pratique que pédagogique
; le premier entre tous est relatif à l'incomparable
valeur de la philosophie de saint Thomas. Proposer à
nouveau la pensée du Docteur Angélique
apparaissait au Pape Léon XIII comme la meilleure
voie pour retrouver un usage de la philosophie conforme
aux exigences de la foi " (Fides et ratio, 57).
Cette Lettre vraiment mémorable avait pour titre
: " Epistula encyclica de Philosophia christiana
ad mentem sancti Thomae Aquinatis Doctoris Angelici
in scholis catholicis instauranda ".
Pour que les exhortations de cette Encyclique soient
mises en pratique, le même Léon XIII créa
l'Académie romaine Saint Thomas d'Aquin (Lettre
apostolique Iampridem ad. Em.mum Card. Antoninum De
Luca, 15 octobre 1879). L'année suivante, se
réjouissant du début des travaux, il écrivit
aux cardinaux chargés de la nouvelle Académie
(Lettre apostolique du 21 novembre 1880). Quinze ans
plus tard, il approuva ses statuts et établit
des normes supplémentaires (Bref apostolique
Quod iam inde, 11 mai 1895). Par la Lettre apostolique
In praecipuis laudibus, du 23 janvier 1904, saint Pie
X confirma les privilèges et le règlement
de l'Académie. Les statuts furent amendés
et complétés par les approbations des
Pontifes romains Benoît XV (11 février
1916) et Pie XI qui, le 10 janvier 1934, incorpora à
cette Académie l'Académie pontificale
de Religion catholique qui, dans des circonstances alors
bien différentes, avait été fondée
en 1801 par le Très Révérend Giovanni
Fortunato Zamboni. Il m'est agréable de rappeler
ici les noms d'Achille Ratti (1882) et de Jean-Baptiste
Montini (1922) qui, alors étaient jeunes prêtres,
conquirent en cette Académie pontificale Saint
Thomas le grade de docteur en philosophie thomiste,
et qui furent ensuite appelés au souverain pontificat,
prenant respectivement les noms de Pie XI et de Paul
VI.
Pour que se réalisent de fait les souhaits formulés
dans ma Lettre encyclique, il m'a semblé qu'il
était opportun de renouveler les statuts de l'Académie
pontificale Saint Thomas, pour en faire un instrument
efficace pour l'Eglise et pour toute l'humanité.
Dans les circonstances culturelles actuelles, décrites
ci-dessus, il semble souhaitable, et même nécessaire,
que cette Académie soit comme un " forum
" central et international pour mieux étudier,
et avec plus de soin, la doctrine de saint Thomas, de
sorte que le réalisme métaphysique de
l'" actus essendi ", qui imprègne toute
la philosophie et la théologie du Docteur Angélique,
puisse entrer en dialogue avec les multiples impulsions
de la recherche actuelle et de la doctrine.
Aussi, en pleine connaissance de cause et après
mûre délibération, dans la plénitude
de mon pouvoir apostolique, en vertu de cette Lettre,
j'approuve in perpetuum les statuts de l'Académie
pontificale Saint Thomas d'Aquin, légitimement
élaborés et une nouvelle fois révisés,
et je leur confère la force de l'approbation
apostolique.
5. L'Académie pontificale de Théologie.
Maîtresse de vérité, l'Eglise a
toujours cultivé l'étude de la théologie
et a fait en sorte que les clercs et les fidèles,
spécialement ceux qui sont appelés au
service de la théologie, soient vraiment instruits.
Au début du XVIIIe siècle, sous les auspices
de mon Prédécesseur Clément XI,
l'Académie théologique fut fondée
dans la ville de Rome, pour qu'elle soit le siège
des disciplines sacrées et nourrisse les nobles
esprits, et que, comme une source, elle produise des
fruits abondants pour la cause catholique. Par Lettre
du 23 avril 1718, Clément XI institua donc canoniquement
un lieu d'études et le combla de privilèges.
Un autre de mes Prédécesseurs, Benoît
XIII, qui, alors qu'il était cardinal, "
summa cum animi ... iucunditate " [avec une immense
joie] (cf. Lettre apostolique du 6 mai 1726), fréquentait
les réunions et les exercices de cette Académie,
s'interrogea sur " la splendeur et la dignité
que cette Académie apporterait non seulement
à la Ville Mère de Rome mais au monde
chrétien tout entier, si on la dotait de forces
nouvelles et encore plus valables, dont le travail serait
davantage encouragé, de sorte qu'elle puisse
continuellement progresser " (cf. ibid.). Aussi,
non seulement approuva-t-il l'Académie que Clément
XI avait fondée, mais il la combla de sa bienveillance
et de ses largesses. Reconnaissant, donc, les fruits
satisfaisants et très abondants, produits par
l'Académie théologique, Clément
XIV continua à veiller sur elle avec autant de
largesses et de bienveillance. Mon Prédécesseur
Grégoire XVI, lui aussi, fit sien cet engagement
et l'améliora, et, le 26 octobre 1838, il approuva
de son autorité apostolique les statuts sagement
élaborés. Il m'a semblé qu'il était
maintenant nécessaire de réviser ces lois,
de sorte qu'elles soient plus adaptées à
ce qu'exige notre époque. La mission principale
de la théologie consiste aujourd'hui à
promouvoir le dialogue entre la Révélation
et la doctrine de la foi, et à en fournir une
compréhension toujours plus profonde. Accueillant
favorablement les souhaits qui m'ont été
adressés pour que j'approuve ces nouvelles lois
et les partageant, je veux que cet illustre lieu d'études
croisse en qualité et, pour cela, j'approuve,
en vertu de cette Lettre, et cela in perpetuum, les
statuts de l'Académie pontificale de Théologie,
légitimement élaborés et une nouvelle
fois révisés, et je leur confère
la force de l'approbation apostolique.
6. J'ordonne que tout ce que j'ai décrété
dans cette Lettre, donnée motu proprio [de notre
propre initiative], ait une valeur stable et durable,
nonobstant toutes choses contraires.
Donné à Rome, auprès de Saint
Pierre, le 28 janvier, mémoire de saint Thomas
d'Aquin, de l'an 1999, XXIe année de mon pontificat.
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