JUBILE du IIIe AGE
Compte rendu du colloque et de la Journée Jubilaire
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ROME, Samedi 16, Dimanche 17 septembre 2000

"N’y a-t-il pas le risque, dans l’Eglise comme dans la société, d’avoir recours aux personnes, âgées ou jeunes, pour des services ou des postes à pourvoir, sans suffisamment se préoccuper de leur propre édification dans la sainteté, de «fortifier l’homme intérieur » ...

- Mgr de Berranger -

L'aventure humaine, même soumise au temps, est située par le Christ dans la perspective de l'immortalité. Il " s'est fait homme parmi les hommes, afin de rattacher la fin au commencement,
c'est-à-dire l'homme à Dieu ”.

- Jean Paul II -

 

Homélie de Jean Paul II
Place St Pierre.

 

in Zenit.org

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Mgr Olivier de Berranger,
évêque de Saint-Denis-en-France,
présente la pastorale des personnes âgées
au colloque du Jubilé à Rome

in cef.fr

 

Extraits de l'Homélie de Jean Paul II, lors de la Journée Jubilaire du IIIème Age

"L'Eglise a besoin de vous, disait le pape. Mais la société civile a également besoin de vous! C'est ce que j'ai dit il y a un mois aux jeunes et je vous le dit aussi aujourd'hui à vous les "anciens", à nous les anciens : l'Eglise a besoin de vous!"

La mission du 3e âge

"Dans un monde comme le monde actuel, dans lequel la force et la puissance deviennent souvent mythiques, vous avez la mission de témoigner des valeurs qui comptent vraiment, au-delà des apparences, et qui demeurent à jamais parce qu'elles sont inscrites dans le coeur de tout être humain et garanties par la Parole de Dieu".

"Je désire saluer chacun de vous une fois encore, dit Jean-Paul II à ceux de sa génération, et avec vous rendre grâce à Dieu qui nous a permis d'arriver à l'An 2000 et de célébrer le Grand Jubilé ... voir dans le troisième âge un appel à coopérer généreusement au dessein d'amour de Dieu".

Aux pèlerins francophones, le pape disait: "J'adresse un salut cordial aux fidèles de langue française, spécialement aux participants du Jubilé du Troisième âge. Puissent les Apôtres Pierre et Paul, que vous êtes venus honorer et prier, vous aider à transmettre toujours avec enthousiasme votre foi et votre expérience aux jeunes générations ..."

 

Mgr Olivier de Berranger, évêque de Saint-Denis-en-France
présente la pastorale des personnes âgées au colloque du jubilé à Rome

 

Conseil Pontifical pour les Laïcs Colloque
16 septembre 2000

Nommé évêque du diocèse de Saint-Denis-en-France en octobre 1996, mon premier souci fut de visiter toutes les communautés catholiques de ce département populeux. Je fis donc le tour systématique des 40 villes de la Seine-Saint-Denis, au nord de Paris, et m’efforçai d’aller à la rencontre du plus grand nombre de baptisés possible dans les paroisses, sans négliger les groupes et mouvements de laïcs, ni, chaque fois que c’était possible, les associations et les autorités civiles. Lorsque l’occasion se présentait, j’étais reçu par les membres du MCR (mouvement chrétien des retraités), partageant avec eux d’intenses moments de prière et de réflexion commune. Souvent, je leur demandais de me raconter l’histoire de leur communauté, conscient que j’avais affaire en eux à des «témoins de la tradition de foi ». Une interrogation Dans l’une de ces visites, je fus frappé par la remarque d’une dame infirme, accompagnée de son mari, lequel veillait sur elle avec un amour délicat. Cette personne avait eu des responsabilités diocésaines, peut-être nationales, dans son mouvement de laïcs. Elle en avait gardé une vigueur de l’expression et on la sentait respectée des autres personnes présentes. Mais sa remarque révélait une grande détresse : « Que puis-je faire maintenant ? Je marche avec des béquilles et j’ai beaucoup de mal à me déplacer. Je me sens inutile ». J’avoue que je fus surpris par le ton. Fallait-il que «l’utilité » soit mesurée, pour la foi chrétienne, à l’aune de nos capacités physiques ou de nos aptitudes à l’action ? J’essayais de l’interroger sur la fécondité intérieure de son cheminement. Son mari semblait m’approuver, mais elle, elle ne paraissait pas comprendre ce que je lui disais. Il n’est pas question de juger quelqu’un qui souffre. Il peut nous arriver à tous de connaître ces passages à vide et l’impression qu’on ne «sert à rien », un peu comme le Serviteur dont parle le prophète Isaïe : « Je me disais : je me suis fatigué en vain, c’est pour rien que j’ai usé mes forces » (Is 49, 4). Cette remarque, je dois le dire, attira moins mon attention sur «la pastorale des personnes âgées » en tant que telle qu’en amont sur la pastorale des laïcs, et même la pastorale tout court. A quelles sources celle-ci se nourrit-elle ? N’y a-t-il pas le risque, dans l’Eglise comme dans la société, d’avoir recours aux personnes, âgées ou jeunes, pour des services ou des postes à pourvoir, sans suffisamment se préoccuper de leur propre édification dans la sainteté, de «fortifier l’homme intérieur », afin qu’en toutes circonstances «le Christ habite en (nos) cœurs par la foi, et que nous soyons enracinés, fondés dans l’amour » (Ep 3, 17) ? La grande question, pour les personnes âgées comme pour les autres, est de savoir, pour reprendre un titre célèbre de Dom Chautard, où se trouve «l’âme de tout apostolat ». Dans l’encyclique Redemptoris missio, alors qu’il convoquait tous les baptisés à participer activement à l’œuvre d’évangélisation, le Pape Jean-Paul II n’en a pas moins rappelé que cette «âme » n’est autre que l’union au Christ. Les enfants, les malades, les mamans très occupées, les travailleurs ruraux ou les étudiants absorbés par leurs études peuvent y participer. C’est une question de foi. Par la prière et l’attention à Dieu, nous sommes reliés au Corps mystique du Christ. D’une certaine manière, pour pouvoir se réaliser mystérieusement à l’heure de la souffrance et de la solitude, le mot de saint Paul en Col 1, 24 («Je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps… ») doit prendre racine dans la vie chrétienne dès sa phase initiale et se poursuivre même quand elle en est au feu de l’action. Sinon nous risquons bien de n’être qu’« airain qui sonne ou cymbale qui retentit » (1Co 13, 1). Une disponibilité offerte En occident, le départ à la retraite intervient de plus en plus à un âge où paraît s’ouvrir un grand champ de possibilités. Et de fait, il n’est pas rare d’y voir des hommes, et plus encore des femmes, de la soixantaine, se consacrer alors à des activités bénévoles, aussi bien sociales qu’ecclésiales. Ce temps de disponibilité offert au service des autres permet à ceux qui s’y livrent d’éviter le repli sur soi ou sur des petits dérivatifs dépourvus d’horizon, comme le chien et la télévision. Combien d’équipes liturgiques notamment trouvent dans ces personnes des ressources de talents et de fidélité pour l’animation des messes dominicales, la préparation des parents au baptême des petits, la communion à porter aux malades ? Liturgie, en christianisme, n’est pas synonyme de sanctuaire ou de sacristie. Même si beaucoup d’églises, dans les zones urbaines comme dans les zones rurales, bénéficient heureusement des soins de ces fidèles rendus plus libres par leur emploi du temps, cultivant qui l’art floral, qui le sens architectural, qui le goût d’espaces propres et accueillants, l’activité liturgique proprement dite s’étend à la schola cantorum, au catéchuménat des adultes, à la préparation des mariages ou des obsèques, avec l’accompagnement des familles en deuil. C’est là une participation variée au ministère de l’Eglise, dont les fruits pour les communautés et pour l’évangélisation sont inestimables. Je n’ai pas l’intention d’aborder tous les domaines où sont censés se déployer les activités des personnes âgées. Mais il en est un qui, à côté de la liturgie au sens large que je viens de dire, s’impose à l’attention. C’est celui de la visite des malades et des personnes isolées, celui de l’aumônerie des maisons de retraite et des hôpitaux, en un mot la pastorale de la santé. Combien ai-je rencontré de ces personnes dans mon propre ministère d’évêque ? D’ailleurs, comme les anciennes générations ont encore chez nous la chance de compter en leur sein beaucoup de prêtres et de religieuses, j’ai constaté l’harmonie qui existe entre statuts et charismes divers dans ce secteur privilégié du rayonnement évangélique. J’ai eu encore récemment l’occasion d’animer une journée de récollection pour les membres des équipes d’aumônerie de mon diocèse. Nous avons passé le plus clair de notre temps à méditer et à échanger sur l’évangile de la résurrection de Lazare. Les participants ont apprécié de n’avoir pas à écouter un exposé savant mais d’être plongés dans la Parole de Dieu. Il y a en effet entre le service des malades et le mystère de la foi et de l’espérance comme une symbiose spontanée qu’il faut savoir cultiver. On y découvre que la priorité est plus à la présence et à la gratuité de l’amour qu’à la parole ou à l’efficacité de l’action. Certes, parole et action gardent leur signification mais tamisée par la toute première grandeur de la vie, prémices de tous les autres dons du Créateur. Deux dimensions Sans pouvoir m’étendre sur d’autres secteurs de l’activité pastorale, je voudrais maintenant souligner deux dimensions de la mission des personnes âgées dans l’Eglise et dans le monde qui me semblent bien mises en lumière par le document du Conseil pontifical pour les Laïcs du 1er octobre 1998, mais dont on ne saisit pas toujours concrètement la portée dans nos sociétés modernes. La première dimension est de bien situer la responsabilité propre des ces personnes dans la famille et donc dans le réseau noué naturellement entre générations. Une «pastorale des personnes âgées », comme une «pastorale des jeunes », qui tendrait finalement à isoler ces catégories l’une de l’autre manquerait son but. L’Eglise ne saurait être composée de compartiments diversement spécialisés, placés plus ou moins en parallèle les uns par rapport aux autres. Ce qui fait la richesse du Corps mystique, c’est la participation de ses membres différents à la vie du même Seigneur en un seul Esprit. J’aime à penser que lorsque la Vierge Marie évoque «toutes les générations » qui la «diront bienheureuse », elle ne pense pas seulement aux générations l’une après l’autre ni l’une à côté de l’autre, mais à toutes les générations ensemble, dans la symphonie d’un même chœur. Les enfants et les jeunes, les adultes aussi, ont besoin des grands-parents pour réussir l’équilibre humain et spirituel de leur existence. Réciproquement, il n’y rien de plus délétère pour les grands-parents que de se voir repoussés aux marges de la vie commune. Cela doit être vrai aussi dans les activités de l’Eglise, qu’elles soient d’ordre liturgique ou caritatif par exemple. L’autre dimension, sous-jacente à la première, est celle qui tourne autour de l’idée impérative de transmission. J’y ai fait allusion en introduisant mon intervention, et le document que j’ai déjà cité l’exprime à merveille : « Pour sa part, la communauté ecclésiale est appelée à répondre aux attentes de participation des personnes âgées en mettant en valeur le ‘don’ qu’elles représentent en tant que témoins de la tradition de foi (cf. Ps 44, 2 ; Ex 12, 26-27), maîtres de vie (cf. Si 6, 34 ; 8, 11-12), agents de la charité ». J’ai souvent remarqué l’espèce de fascination étonnée de jeunes d’aujourd’hui pour la fidélité des personnes d’un grand âge à leur conjoint. Ceci se manifeste d’ailleurs plutôt à l’occasion de funérailles, lorsqu’une grand-mère par exemple fait ses adieux à son mari après parfois plus de soixante ans de mariage. Paradoxalement, cette séparation est une bonne nouvelle pour tous les participants de la liturgie d’à Dieu qui les rassemble, car alors ils réalisent un peu ce qu’est le poids de l’alliance conjugale, tandis qu’autour d’eux tout leur parle d’unions fugitives ou de mariages à l’essai. Ils réalisent aussi, puisqu’il s’agit d’obsèques religieuses, que l’alliance conjugale s’appuie sur la fidélité du Dieu auquel ces personnes ont cru, et c’est là un acte authentique de première évangélisation. Vous en conviendrez avec moi, il serait toutefois dommage d’attendre des funérailles pour que les jeunes aient l’occasion d’apprécier ce qui a fait le prix de telles vies exposées à la durée. Je me demande si le point capital de la pastorale des personnes âgées n’est pas dans cette nécessaire osmose des générations. Serait-ce de la nostalgie pour nos sociétés d’antan ? En ce cas, cela n’aurait guère de portée pratique. Mon propos est plus réaliste. Je ne nie pas que les personnes âgées ont besoin de lieux pour se recréer entre elles, de pèlerinages éventuellement qui correspondent à leur situation et favorisent leur épanouissement spirituel et leur participation adaptée à une vie sacramentelle. Je ne nie pas l’importance de groupes ou de mouvements appropriés à cette étape de la vie, avec tout un dispositif d’action solidaire et de formation chrétienne et humaine conséquente. Mais je demande : comment l’Eglise vivra-t-elle demain, une fois que les anciennes générations, encore marquées de culture chrétienne, auront disparu ? Il est prioritaire, me semble-t-il, de favoriser tout ce qui permet aux jeunes de s’instruire de la sagesse des anciens et aux anciens de maintenir jusqu’au bout le contact avec les générations montantes. C’est peut-être l’un des défis auxquels notre Eglise se trouve aujourd’hui confrontée, analogiquement à celui qu’elle rencontre dans la gageure apparente d’avoir à faire prier et respirer ensemble dans la même foi des personnes appartenant à des cultures diverses et obligées de vivre ensemble par la grâce de la mondialisation des échanges et la mobilité des personnes. Il y va de la croissance du grand arbre du Royaume de Dieu, sur les branches duquel viendront faire leurs nids les oiseaux du ciel (cf. Mt 13, 32).

Olivier de Berranger, évêque de Saint-Denis-en-France