"Deux choses étaient
particulièrement claires ... D'abord le fait que tous ceux qui participaient
à la Shoah avaient reçu le baptême catholique ou protestant dans leur
enfance : cela n'avait en rien été un obstacle pour eux ! Et deuxièmement,
une chose très importante : c'est à cette époque que j'ai découvert ce
que vous appelez la charité et la miséricorde. Partout où il y avait une
soutane noire, il y avait un refuge ... Je
dois la vie de ma petite famille à un monastère dans lequel ma femme et
ma fille ont trouvé refuge ... La mère de ma femme a été déportée mais
ma femme et ma fille ont été protégées par les sours de Saint Vincent
de Paul ... Avant la guerre, en lisant Rosenzweig, j'ai découvert la thèse
sur la possibilité philosophique de penser la vérité comme une ouverture
vers deux formes : la forme juive et la forme chrétienne. Une position
extraordinaire : la pensée ne peut se réaliser pleinement à travers une
seule voie. La vérité métaphysique serait possible essentiellement à travers
deux expressions. Je ne suis pas toujours d'accord avec les articulations
du système Rosenzweig. Je ne crois pas qu'elles soient valables de façon
définitive telles qu'il les développe. Mais la possibilité de penser sans
faire de compromis et sans trahisons, sous les deux formes, la forme juive
et la forme chrétienne, celle de la miséricorde chrétienne et celle de
la Torah juive, m'a permis de comprendre la relation entre le judaïsme
et le christianisme dans leur 'positivité', en d'autres termes, dans leur
possibilité de dialogue et de symbiose ... "
"J'ai
accueilli de façon très positive la déclaration du Concile Vatican
II 'Nostra Aetate' ... J'ai compris le christianisme dans sa dimension
de 'vivre et mourir pour tous les hommes'. Les chrétiens accordent
une grande importance à ce qu'ils appellent la foi, le mystère, le
sacrement. A ce sujet, je voudrais vous raconter une petite histoire
: Hannan Arendt, quelque temps avant sa mort, racontait au micro d'une
radio française que lorsqu'elle était enfant, dans sa ville natale
de Könisgberg, elle dit un jour au rabbin qui lui enseignait la religion
: 'j'ai perdu la foi'. Le rabbin lui répondit : 'qui te la demande
?' La réponse est très révélatrice. Ce qui importe ce n'est pas la
foi mais le 'faire'. 'Faire' implique certes un comportement moral
mais aussi le rite. Mais y a-t-il une différence entre 'croire' et
'faire' ? Que signifie 'croire' ? De quoi la foi est-elle faite ?
De mots ? D'idées ? De convictions ? Avec quoi croyons-nous ? Avec
tout le corps ! Avec tous mes os (cf. Psaume 35, 10). Le rabbin voulait
dire : 'bien agir, c'est croire'. Voilà ma conclusion".
"Judaïsme
et Christianisme", E. Lévinas.
- Extraits -