LETTRE
APOSTOLIQUE
NOVO MILLENNIO INEUNTE
DU PAPE JEAN-PAUL II
À L'ÉPISCOPAT
AU CLERGÉ ET AUX FIDÈLES
AU TERME DU GRAND JUBILE
DE L'AN 2000
À mes Frères dans
l'épiscopat,
aux prêtres et aux diacres,
aux religieux et aux religieuses,
à tous les fidèles laïcs.
1. Au début du nouveau millénaire,
alors que s'achève le grand Jubilé au cours duquel nous
avons célébré les deux mille ans écoulés
depuis la naissance de Jésus et que s'ouvre pour l'Église
une nouvelle étape de son chemin, dans notre cur résonnent
à nouveau les paroles par lesquelles Jésus, après
avoir de la barque de Simon parlé aux foules, invita l'Apôtre
à « avancer au large » pour pêcher: «
Duc in altum » (Lc 5,4). Pierre et ses premiers compagnons firent
confiance à la parole du Christ et jetèrent leurs filets.
« Et l'ayant fait, ils capturèrent une grande multitude
de poissons » (Lc 5,6).
Duc in altum! Cette parole résonne
aujourd'hui pour nous et elle nous invite à faire mémoire
avec gratitude du passé, à vivre avec passion le présent,
à nous ouvrir avec confiance à l'avenir: « Jésus
Christ est le même, hier et aujourd'hui, il le sera à jamais
» (He 13,8).
Cette année, grande a été
la joie de l'Église, qui s'est adonnée à la contemplation
du visage de son Époux et Seigneur. Plus que jamais, elle s'est
fait peuple en marche, guidé par Celui qui est « le grand
Pasteur des brebis » (He 13,20). Avec un dynamisme extraordinaire,
qui a entraîné nombre de ses membres, le peuple de Dieu,
ici à Rome comme à Jérusalem et dans toutes les
Églises locales, a passé la « Porte sainte »
qui est le Christ. Vers lui, fin de l'histoire et unique Sauveur du
monde, l'Église et l'Esprit ont crié « Marana tha
Viens, Seigneur Jésus » (cf. Ap 22,17.20; 1 Co 16,22).
Il est impossible d'évaluer
l'événement de grâce qui a atteint les consciences
au cours de l'année. Mais il est certain qu'un « fleuve
de vie », celui qui jaillit en permanence « du trône
de Dieu et de l'Agneau » (cf. Ap 22,1), s'est répandu sur
l'Église. C'est l'eau de l'Esprit qui apaise la soif et qui renouvelle
(cf. Jn 4,14). C'est l'amour miséricordieux du Père qui,
dans le Christ, nous a encore une fois été révélé
et donné. Au terme de cette année, nous pouvons redire,
avec une exultation renouvelée, l'antique chant d'action de grâce:
« Rendez grâce au Seigneur: il est bon! Éternel est
son amour » (Ps 118[117],1).
2. C'est pourquoi je sens le besoin
de m'adresser à vous qui m'êtes chers, pour partager le
chant de la louange. Dès le début de mon pontificat, j'avais
pensé à cette Année sainte 2000 comme à
une échéance importante. J'avais vu dans cette célébration
un rendez-vous providentiel où l'Église, trente-cinq ans
après le Concile cuménique Vatican II, serait invitée
à s'interroger sur son renouvellement pour assumer avec un nouvel
élan sa mission évangélisatrice.
Le Jubilé a-t-il correspondu
à cette fin? Notre engagement, avec nos efforts généreux
et nos immanquables faiblesses, est sous le regard de Dieu. Mais nous
ne pouvons nous soustraire au devoir de la gratitude pour « les
merveilles » que Dieu a accomplies pour nous. « Misericordias
Domini in æternum cantabo » (Ps 89[88],2).
Mais en même temps ce qui
s'est réalisé sous nos yeux demande à être
reconsidéré et, en un sens, déchiffré, afin
que nous écoutions ce que l'Esprit, tout au long de cette année
si intense, a dit à l'Église (cf. Ap 2,7.11.17, etc.).
3. Et par-dessus tout, chers Frères
et Surs, nous avons le devoir de nous projeter vers l'avenir qui
nous attend. Très souvent, ces derniers mois, nous avons regardé
vers le nouveau millénaire qui s'ouvre, vivant le Jubilé
non seulement comme mémoire du passé mais aussi comme
prophétie de l'avenir. Il faut maintenant mettre à profit
la grâce reçue, la transformant en fermes propos et en
lignes d'action concrètes. C'est là une tâche à
laquelle je désire inviter toutes les Églises locales.
En chacune d'entre elles, rassemblée autour de son évêque,
dans l'écoute de la Parole, dans l'union fraternelle et dans
la « fraction du pain » (cf. Ac 2,42), est « vraiment
présente et agissante l'Église du Christ, une, sainte,
catholique et apostolique ».1 C'est surtout dans la réalité
de chaque Église que le mystère de l'unique peuple de
Dieu prend la configuration qui fait qu'il s'adapte aux divers contextes
et aux différentes cultures.
Cet enracinement de l'Église
dans le temps et dans l'espace reflète, en dernière analyse,
le mouvement même de l'Incarnation. Il est donc temps maintenant
que chaque Église, en réfléchissant sur ce que
l'Esprit a dit au peuple de Dieu durant cette année spéciale
de grâce, et même durant la période plus longue qui
va du Concile Vatican II au grand Jubilé, se livre à un
examen de sa ferveur et trouve un nouvel élan pour son engagement
spirituel et pastoral. C'est à cette fin que je désire
offrir dans cette lettre, en conclusion de l'Année jubilaire,
la contribution de mon ministère pétrinien, afin que l'Église
resplendisse toujours davantage dans la variété de ses
dons et dans l'unité de son chemin.
I
LA RENCONTRE AVEC LE CHRIST,
HÉRITAGE DU GRAND JUBILÉ
4. « Nous te rendons grâce,
Seigneur, Dieu Maître-de-tout » (Ap 11,17). Dans la Bulle
d'indiction du Jubilé, je souhaitais que la célébration
du bimillénaire du mystère de l'Incarnation soit vécue
comme « un chant unique, ininterrompu, de louange à la
Trinité »2 et en même temps « comme un chemin
de réconciliation et comme un signe d'espérance authentique
pour ceux qui regardent le Christ et son Église ».3 L'expérience
de l'année jubilaire s'est justement modulée selon ces
dimensions vitales, atteignant par moments une intensité qui
nous a presque fait toucher du doigt la présence miséricordieuse
de Dieu, de qui descend « tout don excellent, toute donation parfaite
» (Jc 1,17).
Je pense tout d'abord à
la dimension de la louange. C'est en effet de là que part toute
réponse authentique de foi en la révélation de
Dieu dans le Christ. Le christianisme est grâce; c'est la surprise
d'un Dieu qui, non content de créer le monde et l'homme, s'est
mis à la hauteur de sa créature et, « après
avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé
par les prophètes, en ces jours qui sont les derniers, nous a
parlé par son Fils » (He 1,1-2).
En ces jours! Oui, le Jubilé
nous a fait sentir que deux mille ans d'histoire ont passé sans
atténuer la fraîcheur de cet « aujourd'hui »
par lequel les anges ont annoncé aux pasteurs l'événement
merveilleux de la naissance de Jésus à Bethléem:
« Aujourd'hui vous est né un Sauveur, dans la ville de
David. Il est le Messie, le Seigneur » (Lc 2,11). Deux mille ans
ont passé, mais plus que jamais reste vivante la proclamation
que Jésus a faite de sa propre mission dans la Synagogue de Nazareth
devant ses compatriotes stupéfaits, s'appliquant à lui-même
la prophétie d'Isaïe: « Cette parole de l'Écriture,
que vous venez d'entendre, c'est aujourd'hui qu'elle s'accomplit »
(Lc 4,21). Deux mille ans ont passé, mais les pécheurs
qui ont besoin de miséricorde et qui n'en a pas besoin?
trouvent toujours une consolation dans cet « aujourd'hui
» du salut qui, sur la Croix, ouvrit les portes du Règne
de Dieu au larron repenti: « Amen, je te le déclare: aujourd'hui,
avec moi, tu seras dans le Paradis » (Lc 23,43).
La plénitude du temps
5. Il est certain que la coïncidence
de ce Jubilé avec l'entrée dans un nouveau millénaire
a favorisé, sans aucunement se livrer à des fantaisies
millénaristes, la perception du mystère du Christ dans
le vaste horizon de l'histoire du salut. Le christianisme est une religion
insérée dans l'histoire! C'est en effet sur le terrain
de l'histoire que Dieu a voulu établir une alliance avec Israël
et préparer ainsi la naissance de son Fils du sein de Marie «
dans la plénitude du temps » (Ga 4,4). Considéré
dans son mystère divin et humain, le Christ est le fondement
et le centre de l'histoire, il en est le sens et le but ultime. C'est
en effet par lui, Verbe et image du Père, que « tout a
été fait » (Jn 1,3; cf. Col 1,15-16). Son incarnation,
qui a son sommet dans le mystère pascal et dans le don de l'Esprit,
constitue le cur vibrant du temps, l'heure mystérieuse
où le Règne de Dieu s'est fait proche (cf. Mc 1,15) et
même s'est enraciné dans notre histoire comme une semence
destinée à devenir un grand arbre (cf. Mc 4,30-32).
« Christ hier, Christ aujourd'hui,
Christ demain, pour tous et toujours, tu es Dieu ». Par ce chant
mille fois répété, nous avons contemplé
cette année le Christ tel que l'Apocalypse nous le présente:
« L'Alpha et l'Oméga, le Premier et le Dernier, le commencement
et la fin » (Ap 22,13). Et tout en contemplant le Christ, nous
avons adoré en même temps le Père et l'Esprit, la
Trinité unique et indivise, mystère ineffable dans lequel
tout a son origine et tout a son achèvement.
Purification de la mémoire
6. Afin que notre regard devienne
plus pur pour contempler le mystère, cette Année jubilaire
a été fortement marquée par la demande de pardon.
Et cela s'est vérifié non seulement pour les personnes,
qui se sont interrogées sur leur propre vie, afin d'implorer
la miséricorde et d'obtenir le don spécial de l'indulgence,
mais aussi pour l'Église entière, qui a voulu se rappeler
les infidélités par lesquelles beaucoup de ses fils ont,
au cours de l'histoire, jeté une ombre sur son visage d'Épouse
du Christ.
Depuis longtemps, nous nous étions
préparés à cet examen de conscience, sachant que
l'Église, qui comprend en son sein des pécheurs, «
est à la fois sainte et toujours appelée à se purifier
».4 Des rencontres scientifiques nous ont aidés à
identifier les aspects où l'esprit évangélique,
au cours des deux premiers millénaires, n'a pas toujours brillé.
Comment oublier l'émouvante liturgie du 12 mars 2000 où,
dans la basilique Saint-Pierre, fixant mon regard sur le Crucifié,
je me suis fait moi-même l'interprète de l'Église,
demandant pardon pour le péché de tous ses fils? Cette
« purification de la mémoire » a raffermi nos pas
sur le chemin de l'avenir, nous rendant en même temps plus humbles
et plus vigilants dans notre adhésion à l'Évangile.
Les témoins de la foi
7. Toutefois, la vive conscience
de la pénitence ne nous a pas empêchés de rendre
gloire au Seigneur pour ce qu'il a fait au cours de tous les siècles,
en particulier au cours du siècle que nous laissons derrière
nous, assurant à son Église une vaste cohorte de saints
et de martyrs. Pour certains d'entre eux, l'Année jubilaire a
été également l'année de la béatification
ou de la canonisation. Que ce soit chez des Papes bien connus de l'histoire
ou chez d'humbles figures de laïcs et de religieux, d'un continent
à l'autre de la terre, la sainteté s'est plus que jamais
révélée comme la dimension qui exprime le mieux
le mystère de l'Église. Message éloquent qui n'a
pas besoin de paroles, elle représente d'une manière vivante
le visage du Christ.
Par ailleurs, à l'occasion
de l'Année sainte, on a fait beaucoup pour rassembler les précieuses
mémoires des Témoins de la foi au vingtième siècle.
Nous les avons évoqués le 7 mai 2000, avec les représentants
des autres Églises et Communautés ecclésiales,
dans le cadre suggestif du Colisée, symbole des persécutions
antiques. C'est un héritage à ne pas perdre; il faut en
faire l'objet d'une gratitude permanente et avoir un propos renouvelé
d'imitation.
L'Église en marche
8. Comme s'ils marchaient sur les
traces des saints, d'innombrables fils de l'Église se sont succédé
ici à Rome, auprès des tombeaux des Apôtres, dans
le désir de professer leur foi, de confesser leurs péchés
et de recevoir la miséricorde qui sauve. Cette année,
mes yeux n'ont pas seulement été impressionnés
par les multitudes qui ont rempli la Place Saint-Pierre à l'occasion
de nombreuses célébrations. Bien souvent, je me suis arrêté
à regarder les longues files de pèlerins qui attendaient
patiemment de pouvoir passer la Porte sainte. Je m'efforçais
d'imaginer en chacun d'eux l'histoire d'une vie, faite de joie, d'inquiétudes,
de souffrances; une histoire rejointe par le Christ et qui, dans le
dialogue avec lui, reprenait son chemin d'espérance.
En observant le flux continuel
des groupes, j'en retirais comme une image concrète de l'Église
en marche, de cette Église située, comme le dit saint
Augustin, « entre les persécutions du monde et les consolations
de Dieu ».5 Il ne nous est donné que d'observer le visage
le plus extérieur de cet événement singulier. Qui
peut mesurer les merveilles de grâce qui se sont réalisées
dans les curs? Il convient de se taire et d'adorer, nous en remettant
humblement à l'action mystérieuse de Dieu et chantant
son amour sans fin: « Misericordias Domini in æternum cantabo!
».
Les jeunes
9. Les nombreuses rencontres jubilaires
ont rassemblé les catégories les plus diverses de personnes,
enregistrant une participation vraiment impressionnante qui a parfois
mis à dure épreuve les efforts des organisateurs et des
animateurs, tant de l'Église que de la société
civile. Je voudrais profiter de cette lettre pour exprimer à
tous mes remerciements les plus cordiaux. Mais au-delà des chiffres,
ce qui m'a ému bien souvent, c'est la constatation de l'engagement
sérieux de prière, de réflexion, de communion,
qui s'est généralement manifesté lors de ces rencontres.
Et comment ne pas rappeler spécialement
la rencontre joyeuse et enthousiasmante des jeunes? S'il y a une image
du Jubilé de l'An 2000 qui plus que d'autres restera vivante
dans la mémoire, c'est bien certainement celle de la marée
de jeunes avec lesquels j'ai pu établir une sorte de dialogue
privilégié, fondé sur une sympathie réciproque
et une entente profonde. Il en a été ainsi dès
la bienvenue que je leur ai souhaitée Place Saint-Jean de Latran
et Place Saint-Pierre. Je les ai vus ensuite essaimer à travers
la ville, joyeux comme doivent l'être les jeunes, mais aussi réfléchis,
désireux de prière, de « sens », d'amitié
véritable. Il ne sera pas facile, ni pour eux-mêmes ni
pour ceux qui les ont observés, d'effacer de leur mémoire
cette semaine où Rome s'est fait « jeune avec les jeunes
». Il ne sera pas possible d'oublier la célébration
eucharistique de Tor Vergata.
Une fois encore, les jeunes se
sont révélés pour Rome et pour l'Église
un don spécial de l'Esprit de Dieu. Quand on regarde les jeunes,
avec les problèmes et les fragilités qui les caractérisent
dans la société contemporaine, on éprouve parfois
une certaine tendance au pessimisme. Le Jubilé des jeunes nous
a comme « pris à contre-pied », nous délivrant
au contraire le message d'une jeunesse qui aspire profondément,
malgré de possibles ambiguïtés, aux valeurs authentiques
qui ont dans le Christ leur plénitude. Le Christ n'est-il pas
le secret de la vraie liberté et de la joie profonde du cur?
Le Christ n'est-il pas l'ami suprême et en même temps l'éducateur
de toute amitié authentique? Si le Christ est présenté
aux jeunes avec son vrai visage, ils le voient comme une réponse
convaincante et ils sont capables de recevoir son message, même
s'il est exigeant et marqué par la Croix. C'est pourquoi, me
laissant prendre par leur enthousiasme, je n'ai pas hésité
à leur demander un choix radical de foi et de vie, leur indiquant
une tâche merveilleuse: se faire les « veilleurs du matin
» (cf. Is 21,11-12) en cette aurore du nouveau millénaire.
Pèlerins des diverses catégories
10. Je ne peux évidemment
pas m'étendre sur les détails de chaque événement
jubilaire. Chacun d'eux a eu son caractère propre et a laissé
son message non seulement à ceux qui y ont pris part directement,
mais aussi à ceux qui en ont entendu parler ou qui y ont participé
à distance à travers les médias. Mais comment ne
pas évoquer l'atmosphère festive de la première
grande rencontre consacrée aux enfants? Commencer par eux signifiait
d'une certaine manière respecter l'avertissement de Jésus:
« Laissez les petits enfants venir à moi » (Mc 10,14).
Cela signifiait plus encore peut-être refaire le geste qu'il avait
accompli quand il « plaça au milieu d'eux » un enfant
et en fit le symbole même de l'attitude à prendre si l'on
veut entrer dans le Royaume de Dieu (cf. Mt 18,2-4).
Ainsi, en un sens, c'est sur les
traces des enfants que sont venues demander la miséricorde jubilaire
les catégories les plus variées d'adultes: des personnes
âgées aux malades et aux personnes handicapées,
des travailleurs des usines et des champs aux sportifs, des artistes
aux professeurs d'universités, des évêques et des
prêtres aux personnes de vie consacrée, des hommes politiques
aux journalistes et jusqu'aux militaires, venus redire le sens de leur
service: un service de la paix.
Le rassemblement des travailleurs,
qui s'est déroulé le 1er mai, date traditionnelle de la
fête du travail, a eu beaucoup de souffle. Je leur ai demandé
de vivre de la spiritualité du travail, à l'imitation
de saint Joseph et de Jésus lui-même. Leur jubilé
m'a en outre donné l'occasion de lancer une pressante invitation
à assainir les déséquilibres économiques
et sociaux existant dans le monde du travail, et à gérer
avec décision les processus de la mondialisation économique
en fonction de la solidarité et du respect dû à
chaque personne humaine.
Les enfants, avec leur irrépressible
allégresse, sont revenus pour le Jubilé des familles,
où ils ont été désignés au monde
comme le « printemps de la famille et de la société
». Cette rencontre jubilaire a été vraiment éloquente:
d'innombrables familles, provenant des diverses régions du monde,
sont venues chercher avec une ferveur renouvelée la lumière
du Christ sur le dessein originel de Dieu à leur égard
(cf. Mc 10,6-8). Elles se sont engagées à la manifester
à une culture qui risque de perdre, d'une manière toujours
plus préoccupante, le sens même du mariage et de l'institution
familiale.
L'une des rencontres qui sont restées
pour moi les plus émouvantes est celle que j'ai eue avec les
prisonniers de Regina Cæli. J'ai lu dans leurs yeux la souffrance,
mais aussi le repentir et l'espérance. Pour eux, le Jubilé
a été à un titre tout à fait spécial
une « année de miséricorde ».
Enfin, dans les derniers jours
de l'année, fort sympathique fut la rencontre avec le monde du
spectacle, qui exerce une grande force d'attraction sur l'esprit des
gens. J'ai rappelé aux personnes engagées dans ce secteur
qu'elles ont la grande responsabilité de proposer, en même
temps qu'un joyeux divertissement, des messages positifs, moralement
sains, capables d'insuffler la confiance et l'amour de la vie.
Le Congrès eucharistique
international
11. Dans la logique de cette Année
jubilaire, le Congrès eucharistique international devait avoir
une signification marquante. Et il l'a eue! Si l'Eucharistie est le
sacrifice du Christ qui se rend présent parmi nous, sa présence
réelle pouvait-elle ne pas être au centre de l'Année
sainte consacrée à l'incarnation du Verbe? Voilà
précisément pourquoi cette année fut envisagée
comme une année « intensément eucharistique »,6
et c'est ainsi que nous avons essayé de la vivre. En faisant
mémoire de la naissance du Fils, comment pouvait-on en même
temps omettre la mémoire de sa Mère? Marie a été
présente dans la célébration jubilaire, non seulement
à l'occasion de congrès particulièrement significatifs,
mais surtout au moment du grand acte de confiance par lequel, avec une
bonne partie de l'épiscopat mondial, j'ai remis à ses
soins maternels la vie des hommes et des femmes du nouveau millénaire.
La dimension cuménique
12. On comprendra que j'en vienne
spontanément à parler surtout du Jubilé vu du Siège
de Pierre. Je n'oublie cependant pas que j'ai voulu moi-même que
sa célébration ait lieu également et au même
titre dans les Églises particulières, et c'est là
que la plupart des fidèles ont pu obtenir les grâces spéciales,
en particulier l'indulgence liée à l'Année jubilaire.
Pourtant, il est significatif que beaucoup de diocèses aient
senti le désir de venir également ici à Rome avec
des groupes importants de fidèles. La Ville éternelle
a ainsi fait apparaître une fois encore son rôle providentiel
de lieu où les richesses et les dons de chaque Église,
et même de chaque pays et de chaque culture, s'harmonisent dans
la « catholicité », afin que l'unique Église
du Christ manifeste d'une manière toujours plus éloquente
son mystère de sacrement d'unité.7
J'avais aussi recommandé
que, dans le programme de l'Année jubilaire, on réserve
une attention particulière à la dimension cuménique.
Y a-t-il une meilleure occasion, pour encourager la marche vers la pleine
communion, que la célébration commune de la naissance
du Christ? Beaucoup d'efforts ont été accomplis à
cette fin, et il reste le souvenir lumineux de la rencontre cuménique
dans la Basilique Saint-Paul, le 18 janvier 2000, quand, pour la première
fois dans l'histoire, une Porte sainte a été ouverte conjointement
par le Successeur de Pierre, par le Primat de la Communion anglicane
et par un Métropolite du Patriarcat cuménique de
Constantinople, en présence de représentants d'Églises
et de Communautés ecclésiales du monde entier. Dans cette
ligne ont eu lieu aussi certaines rencontres importantes avec des Patriarches
orthodoxes et des Chefs d'autres confessions chrétiennes. Je
me souviens en particulier de la récente visite de S. S. Karékine
II, Patriarche suprême et Catholicos de tous les Arméniens.
De plus, beaucoup de fidèles d'autres Églises et Communautés
ecclésiales ont participé aux diverses catégories
de rencontres jubilaires. Certes, le chemin cuménique reste
ardu, peut-être long, mais ce qui nous anime, c'est l'espérance
d'être guidés par la présence du Ressuscité
et par la force inépuisable de son Esprit, capable de surprises
toujours nouvelles.
Le pèlerinage en Terre sainte
13. Par ailleurs, comme ne pas
rappeler mon Jubilé personnel sur les routes de Terre sainte?
J'aurais voulu le commencer à Ur des Chaldéens, pour me
mettre presque concrètement sur les pas d'Abraham, « notre
père dans la foi » (cf. Rm 4,11-16). J'ai dû au contraire
me contenter d'une étape purement spirituelle, avec la «
Liturgie de la parole » suggestive célébrée
le 23 février dans la Salle Paul VI. Aussitôt après
eut lieu le pèlerinage proprement dit, en suivant l'itinéraire
de l'histoire du salut. J'ai eu ainsi la joie de m'arrêter au
Mont Sinaï, où s'accomplit le don du Décalogue et
de la première Alliance. Un mois plus tard, je reprenais la route,
allant au Mont Nebo et me rendant ensuite aux lieux mêmes qui
ont été habités et sanctifiés par le Rédempteur.
Il est difficile d'exprimer l'émotion que j'ai ressentie à
pouvoir vénérer les lieux de la naissance et de la vie
du Christ, à Bethléem et à Nazareth, et célébrer
l'Eucharistie au Cénacle, au lieu même de son institution,
à méditer de nouveau le mystère de la Croix sur
le Golgotha, où Il a livré sa vie pour nous. En ces lieux,
encore tourmentés et même récemment endeuillés
par la violence, j'ai pu faire l'expérience d'un accueil extraordinaire
non seulement de la part des fils de l'Église mais aussi de la
part des communautés israélienne et palestinienne. Grande
a été également mon émotion lors de la prière
auprès du Mur des Lamentations et de la visite au mémorial
de Yad Vashem, terrible souvenir des victimes des camps d'extermination
nazis. Ce pèlerinage a été un moment de fraternité
et de paix, que j'ai plaisir à considérer comme l'un des
dons les plus beaux de l'événement jubilaire. En repensant
au climat dans lequel j'ai vécu ces jours-là, je ne peux
pas ne pas exprimer le souhait ardent d'une solution rapide et juste
pour les problèmes encore existants dans ces lieux saints, également
chers aux juifs, aux chrétiens et aux musulmans.
La dette internationale
14. Le Jubilé a été
aussi et il ne pouvait en être autrement un grand
événement de charité. Dès les années
préparatoires, j'avais fait appel à une attention plus
grande et plus active pour les problèmes de la pauvreté
qui tourmentent encore le monde. Dans ce domaine, le problème
de la dette internationale des pays pauvres a revêtu une signification
particulière. Un geste de générosité à
l'égard de ces derniers était dans la logique même
du Jubilé, qui, dans sa configuration biblique originelle, était
justement le temps où la communauté s'engageait à
rétablir la justice et la solidarité dans les rapports
entre les personnes, allant jusqu'à restituer les biens matériels
qui leur avaient été soustraits. Je suis heureux de constater
que, récemment, les Parlements de nombreux États créditeurs
ont voté une substantielle réduction de la dette bilatérale
qui grevait les pays les plus pauvres et les plus endettés. Je
forme le vu que les Gouvernements respectifs complètent
rapidement ces décisions parlementaires. Par contre, la question
de la dette multilatérale contractée par les pays les
plus pauvres vis-à-vis des Organismes financiers internationaux
s'est avérée plutôt problématique. Il faut
souhaiter que les États membres de ces Organisations, surtout
ceux qui ont plus de pouvoir décisionnel, réussissent
à trouver les consensus nécessaires pour parvenir à
la solution rapide d'une question dont dépend le processus de
développement de nombreux pays, avec de lourdes conséquences
pour la situation économique et existentielle d'innombrables
personnes.
Un dynamisme nouveau
15. Ce ne sont là que quelques-unes
des lignes de force de l'expérience jubilaire. Celle-ci laisse
beaucoup de souvenirs imprimés en nous. Mais si nous voulions
ramener à son noyau central le grand héritage qu'elle
nous laisse, je n'hésiterais pas à le situer dans la contemplation
du visage du Christ, lui qui est considéré dans ses traits
historiques et dans son mystère, accueilli dans sa présence
multiple dans l'Église et dans le monde, proclamé comme
sens de l'histoire et lumière sur notre route.
Nous devons maintenant regarder
devant nous, nous devons « avancer au large », confiants
dans la parole du Christ: Duc in altum! Ce que nous avons fait cette
année ne saurait justifier une sensation d'assouvissement, et
encore moins nous amener à une attitude de démobilisation.
Les expériences vécues doivent au contraire susciter en
nous un dynamisme nouveau qui nous incitera à investir en initiatives
concrètes l'enthousiasme que nous avons éprouvé.
Jésus lui-même nous avertit: « Celui qui met la main
à la charrue et regarde en arrière n'est pas fait pour
le Royaume de Dieu » (Lc 9,62). Dans la cause du Royaume, il n'y
a pas de temps pour regarder en arrière, et encore moins pour
s'abandonner à la paresse. Bien des choses nous attendent, et
c'est pourquoi nous devons établir un programme pastoral post-jubilaire
qui soit efficace.
Il importe toutefois que ce que
nous nous proposerons, avec l'aide de Dieu, soit profondément
enraciné dans la contemplation et dans la prière. Notre
époque est une époque de mouvement continuel, qui va souvent
jusqu'à l'activisme, risquant facilement de « faire pour
faire ». Il nous faut résister à cette tentation,
en cherchant à « être » avant de « faire
». Rappelons-nous à ce sujet le reproche de Jésus
à Marthe: « Tu t'inquiètes et tu t'agites pour bien
des choses. Une seule est nécessaire » (Lc 10,41-42). Dans
cet esprit, avant de proposer à votre réflexion certaines
lignes d'action, je désire partager avec vous quelques éléments
de méditation sur le mystère du Christ, fondement absolu
de toute notre action pastorale.
II
UN VISAGE À CONTEMPLER
16. « Nous voulons voir Jésus
» (Jn 12,21). Cette demande, présentée à
l'Apôtre Philippe par quelques Grecs qui s'étaient rendus
en pèlerinage à Jérusalem à l'occasion de
la Pâque, résonne aussi spirituellement à nos oreilles
en cette Année jubilaire. Comme ces pèlerins d'il y a
deux mille ans, les hommes de notre époque, parfois inconsciemment,
demandent aux croyants d'aujourd'hui non seulement de « parler
» du Christ, mais en un sens de le leur faire « voir ».
L'Église n'a-t-elle pas reçu la mission de faire briller
la lumière du Christ à chaque époque de l'histoire,
d'en faire resplendir le visage également aux générations
du nouveau millénaire?
Notre témoignage se trouverait
toutefois appauvri d'une manière inacceptable si nous ne nous
mettions pas d'abord nous-mêmes à contempler son visage.
Le grand Jubilé nous a assurément aidés à
le faire d'une manière plus profonde. Au terme du Jubilé,
tandis que nous reprenons le chemin de la vie ordinaire, conservant
en nous la richesse des expériences vécues en cette période
toute spéciale, notre regard reste plus que jamais fixé
sur le visage du Seigneur.
Le témoignage des Évangiles
17. La contemplation du visage
du Christ ne peut que nous renvoyer à ce que la Sainte Écriture
nous dit de lui, elle qui est, du début à la fin, traversée
par son mystère, manifesté de manière voilée
dans l'Ancien Testament, pleinement révélé dans
le Nouveau Testament, au point que saint Jérôme affirme
avec vigueur: « L'ignorance des Écritures est l'ignorance
du Christ lui-même ».8 En restant ancrés dans l'Écriture,
nous nous ouvrons à l'action de l'Esprit (cf. Jn 15,26), qui
est à l'origine de ces écrits, et au témoignage
des Apôtres (cf. ibid., 27), qui ont fait la vivante expérience
du Christ, le Verbe de vie, qui l'ont vu de leurs yeux, entendu de leurs
oreilles, touché de leurs mains (cf. 1 Jn 1,1).
Par leur intermédiaire,
c'est une vision de foi qui nous parvient, soutenue par un témoignage
historique précis, un témoignage véridique que
les Évangiles, malgré la complexité de leur rédaction
et leur visée initiale catéchétique, nous donnent
d'une manière pleinement crédible.9
18. En réalité, les
Évangiles ne prétendent pas être une biographie
complète de Jésus selon les canons de la science historique
moderne. Toutefois, à travers eux, le visage du Nazaréen
apparaît avec un fondement historique sûr, car les évangélistes
se sont préoccupés d'en déterminer les contours,
en recueillant des témoignages crédibles (cf. Lc 1,3)
et en travaillant sur des documents soumis au discernement vigilant
de l'Église. C'est sur la base de ces témoignages de la
première heure qu'ils apprirent, sous l'action éclairante
de l'Esprit Saint, le fait humainement déconcertant de la naissance
virginale de Jésus, né de Marie, épouse de Joseph.
De ceux qui l'avaient connu durant la trentaine d'années qu'il
avait passées à Nazareth (cf. Lc 3,23), ils recueillirent
les éléments sur sa vie de « fils de charpentier
» (Mt 13,55) et de « charpentier » lui-même,
étant bien inséré dans le cadre de sa parenté
(cf. Mc 6,3). Ils notèrent son sens religieux, qui le poussait
à se rendre avec les siens en pèlerinage annuel au temple
de Jérusalem (cf. Lc 2,41) et surtout qui le faisait fréquenter
régulièrement la synagogue de sa cité (cf. Lc 4,16).
Sans toutefois constituer un compte
rendu organique et détaillé, les données deviennent
ensuite plus abondantes pour la période du ministère public,
à partir du moment où le jeune Galiléen se fait
baptiser par Jean-Baptiste dans le Jourdain. Fortifié par le
témoignage d'en haut, conscient d'être le « fils
bien-aimé » (Lc 3,22), il commence sa prédication
de l'avènement du Règne de Dieu, en en illustrant les
exigences et la puissance par des paroles et des signes de grâce
et de miséricorde. C'est ainsi que les Évangiles nous
le présentent en chemin, à travers villes et villages,
accompagné par douze Apôtres choisis par lui (cf. Mc 3,13-19),
par un groupe de femmes qui l'assistent (cf. Lc 8,2-3), par des foules
qui le cherchent ou le suivent, par des malades qui invoquent sa puissance
de guérison, par des interlocuteurs qui écoutent ses paroles
avec plus ou moins de profit.
Les récits évangéliques
s'accordent ensuite à montrer la tension croissante que l'on
observe entre Jésus et les groupes bien en vue de la société
religieuse de son temps, jusqu'à la crise finale, qui a son épilogue
dramatique sur le Golgotha. C'est alors l'heure des ténèbres,
suivie d'une aurore nouvelle, radieuse et définitive. En effet,
les récits évangéliques se terminent en montrant
le Nazaréen vainqueur de la mort; ils mettent en évidence
la tombe vide et ils le suivent dans la série des apparitions,
dans lesquelles les disciples, d'abord perplexes et stupéfaits,
puis remplis d'une joie indicible, le découvrent vivant et rayonnant,
et reçoivent de lui le don de l'Esprit (cf. Jn 20,22) et la mission
d'annoncer l'Évangile à « toutes les nations »
(Mt 28,19).
La voie de la foi
19. « Les disciples furent
remplis de joie en voyant le Seigneur » (Jn 20,20). Le visage
que les Apôtres contemplèrent après la résurrection
était le même que le visage de ce Jésus avec lequel
ils avaient vécu pendant environ trois ans, et qui maintenant
les assurait de la vérité éblouissante de sa vie
nouvelle en leur montrant « ses mains et son côté
» (ibid.). Assurément, il ne leur fut pas facile de croire.
Ce n'est qu'après un difficile cheminement spirituel que les
disciples d'Emmaüs ont cru (cf. Lc 24,13-35). C'est seulement après
avoir constaté le prodige que l'Apôtre Thomas a cru (cf.
Jn 20,24-29). En réalité, bien qu'il ait vu et touché
son corps, seule la foi pouvait le faire entrer pleinement dans le mystère
de ce visage. C'était là une expérience que les
disciples avaient déjà dû faire au cours de la vie
historique du Christ, vu les interrogations qui leur venaient à
l'esprit chaque fois qu'ils se sentaient interpellés par ses
gestes et par ses paroles. On ne parvient vraiment à Jésus
que par la voie de la foi, à travers un chemin dont l'Évangile
lui-même semble déterminer les étapes dans la scène
bien connue de Césarée de Philippe (cf. Mt 16,13-20).
Comme s'il voulait faire un premier bilan de sa mission, Jésus
interroge les disciples sur ce que « les gens » pensent
de lui, et il reçoit comme réponse: « Pour les uns,
il est Jean-Baptiste; pour d'autres, Élie; pour d'autres encore,
Jérémie ou l'un des prophètes » (Mt 16,14).
Réponse certainement pertinente, mais encore et combien!
distante de la vérité. Le peuple arrive à
percevoir la dimension religieuse vraiment exceptionnelle de ce rabbi
dont les paroles fascinent tellement, mais il ne réussit pas
à le situer au-delà des hommes de Dieu qui ont marqué
l'histoire d'Israël. En réalité, Jésus est
tout autre! Ce qu'il attend des « siens », c'est justement
ce pas supplémentaire dans la connaissance, qui touche au plus
profond de sa personne: « Et vous, que dites-vous? Pour vous,
qui suis-je? » (Mt 16,15). Seule la foi professée par Pierre,
et avec lui par l'Église de tous les temps, conduit au «
cur », atteignant la profondeur du mystère: «
Tu es le Messie, le fils du Dieu vivant! » (Mt 16,16).
20. Comment Pierre est-il parvenu
à une telle foi? Et que nous est-il demandé, si nous voulons
suivre ses traces d'une manière toujours plus convaincue? Matthieu
nous donne une indication éclairante dans les paroles par lesquelles
Jésus accueille la confession de Pierre: « Ce n'est pas
la chair et le sang qui t'ont révélé cela, mais
mon Père qui est aux cieux » (Mt 16,17). L'expression «
la chair et le sang » évoque l'homme et le mode commun
de connaissance. Dans le cas de Jésus, ce mode commun ne suffit
pas. Une grâce de « révélation » qui
vient du Père (cf. ibid.) est nécessaire. Luc nous offre
une indication qui abonde dans le même sens lorsqu'il note que
ce dialogue avec les disciples se déroula tandis que, «
un jour, Jésus priait à l'écart » (Lc 9,18).
Ces deux indications convergentes nous font prendre conscience que nous
n'entrons pas dans la pleine contemplation du visage du Seigneur par
nos seules forces, mais en laissant la grâce nous prendre par
la main. Seule l'expérience du silence et de la prière
offre le cadre approprié dans lequel la connaissance la plus
vraie, la plus fidèle et la plus cohérente de ce mystère
peut mûrir et se développer. L'expression de ce mystère
culmine dans la proclamation solennelle de l'évangéliste
Jean: « Et le Verbe s'est fait chair, il a habité parmi
nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu'il tient de son Père
comme Fils unique, plein de grâce et de vérité »
(Jn 1,14).
La profondeur du mystère
21. Le Verbe et la chair, la gloire
divine et sa tente parmi les hommes! C'est dans l'union intime et indissociable
de ces deux polarités que se trouve l'identité du Christ,
selon la formulation classique du Concile de Chalcédoine (451):
« Une personne en deux natures ». La personne est celle
du Verbe éternel, Fils du Père, et elle seulement. Les
deux natures, sans aucune confusion, mais aussi sans aucune séparation
possible, sont la nature divine et la nature humaine.10
Nous sommes conscients du caractère
limité de nos concepts et de nos paroles. La formule, quoique
toujours humaine, est cependant soigneusement pesée dans son
contenu doctrinal et elle nous permet d'accéder, d'une certaine
manière, à la profondeur abyssale du mystère. Oui,
Jésus est vrai Dieu et vrai homme! Comme l'Apôtre Thomas,
l'Église est sans cesse invitée par le Christ à
toucher ses plaies, c'est-à-dire à reconnaître sa
pleine humanité reçue de Marie, livrée à
la mort, transfigurée par la Résurrection: « Avance
ton doigt ici, et vois mes mains; avance ta main, et mets-la dans mon
côté » (Jn 20,27). Comme Thomas, l'Église
se prosterne, adorant le Ressuscité dans la plénitude
de sa splendeur divine, et elle s'exclame en permanence: « Mon
Seigneur et mon Dieu! » (Jn 20,28).
22. « Le Verbe s'est fait
chair » (Jn 1,14). Cette fulgurante présentation johannique
du mystère du Christ est confirmée par tout le Nouveau
Testament. L'Apôtre Paul se situe dans la même ligne lorsqu'il
affirme que le Fils de Dieu, « selon la chair, [...] est né
de la race de David » (Rm 1,3; cf. 9,5). Si aujourd'hui, avec
le rationalisme répandu dans de nombreuses sphères des
cultures contemporaines, c'est surtout la foi en la divinité
du Christ qui fait problème, dans d'autres contextes historiques
et culturels on a eu plutôt tendance à réduire ou
à faire disparaître le caractère concret et historique
de l'humanité de Jésus. Mais, pour la foi de l'Église,
il est essentiel et imprescriptible d'affirmer que vraiment le Verbe
« s'est fait chair » et qu'il a assumé toutes les
dimensions de l'humain, sauf le péché (cf. He 4,15). Dans
cette perspective, l'Incarnation est véritablement, de la part
du Fils de Dieu, une kénose, un « dépouillement
» de la gloire qu'il possède de toute éternité
(cf. Ph 2,6-8; 1 P 3,18).
D'autre part, cet abaissement du
Fils de Dieu n'est pas une fin en soi; il tend plutôt à
la pleine glorification du Christ, jusque dans son humanité:
« C'est pourquoi Dieu l'a élevé au-dessus de tout;
il lui a conféré le Nom qui surpasse tous les noms, afin
qu'au Nom de Jésus, aux cieux, sur terre et dans l'abîme,
tout être vivant tombe à genoux, et que toute langue proclame:
"Jésus Christ est le Seigneur, pour la gloire de Dieu le
Père" » (Ph 2,9-11).
23. « C'est ta face, Seigneur,
que je cherche » (Ps 27[26],8). L'antique aspiration du Psalmiste
ne pouvait être exaucée de manière plus ample et
plus surprenante que dans la contemplation du visage du Christ. En lui,
Dieu nous a véritablement bénis, et il a fait «
resplendir son visage » sur nous (cf. Ps 67[66],2). En même
temps, étant à la fois Dieu et homme, il nous révèle
aussi le visage authentique de l'homme, « il manifeste pleinement
l'homme à lui-même ».11
Jésus est « l'homme
nouveau » (cf. Ep 4,24; Col 3,10) qui appelle l'humanité
rachetée à participer à sa vie divine. Dans le
mystère de l'Incarnation sont posées les bases d'une anthropologie
qui peut aller au-delà de ses propres limites et de ses propres
contradictions pour aller vers Dieu lui-même, et plus encore vers
la perspective de la « divinisation », à travers
l'insertion dans le Christ de l'homme racheté, admis dans l'intimité
de la vie trinitaire. Les Pères ont beaucoup insisté sur
cette dimension sotériologique du mystère de l'Incarnation:
c'est seulement parce que le Fils de Dieu est devenu vraiment homme
que l'homme peut, en lui et à travers lui, devenir réellement
fils de Dieu.12
Le visage du Fils
24. Cette identité divine
et humaine ressort avec force des Évangiles, qui nous proposent
une série d'éléments grâce auxquels nous
pouvons nous introduire à la « zone-frontière »
du mystère qu'est la conscience que le Christ a de lui-même.
L'Église ne doute pas que, dans leurs récits, les évangélistes,
inspirés d'en haut, aient perçu correctement, dans les
paroles prononcées par Jésus, la vérité
de sa personne et de la conscience qu'il en avait. N'est-ce pas ce que
veut signifier Luc en rapportant les premiers mots de Jésus,
à peine âgé de douze ans, dans le Temple de Jérusalem?
Il apparaît alors conscient d'être dans une relation unique
avec Dieu, celle précisément du « fils ».
En effet, à sa mère qui lui fait remarquer l'angoisse
avec laquelle elle-même et Joseph l'ont cherché, Jésus
répond sans hésiter: « Comment se fait-il que vous
m'ayez cherché? Ne le saviez-vous pas? C'est chez mon Père
que je dois être » (Lc 2,49). Rien d'extraordinaire donc
à ce que son langage, dans sa période de maturité,
exprime de manière décisive la profondeur de son mystère,
comme le soulignent abondamment les Évangiles synoptiques (cf.
Mt 11,27; Lc 10,22), mais surtout Jean l'évangéliste.
Sur la conscience qu'il a de lui-même, Jésus n'a aucun
doute: « Le Père est en moi et moi dans le Père
» (Jn 10,38).
S'il est permis de penser que,
dans la condition humaine dans laquelle il grandissait « en sagesse,
en taille et en grâce » (Lc 2,52), progressait aussi la
conscience humaine de son mystère jusqu'à l'expression
plénière de son humanité glorifiée, il ne
fait pas de doute que Jésus, dans son existence historique, avait
déjà conscience de son identité de Fils de Dieu.
Jean le souligne, allant jusqu'à affirmer qu'en définitive
il fut rejeté et condamné à cause de cela: on cherchait
en effet à le tuer car, « non seulement il violait le repos
du sabbat, mais encore il disait que Dieu était son propre Père,
et il se faisait l'égal de Dieu » (Jn 5,18). Dans l'épisode
de Gethsémani et du Golgotha, la conscience humaine de Jésus
sera soumise à l'épreuve la plus dure. Toutefois, même
le drame de la passion et de la mort ne réussira pas à
entamer la certitude sereine qu'il a d'être le Fils du Père
céleste.
Visage de souffrance
25. La contemplation du visage
du Christ nous conduit ainsi à aborder l'aspect le plus paradoxal
de son mystère, qui se révèle à l'heure
extrême, l'heure de la Croix. Mystère dans le mystère,
devant lequel l'être humain ne peut que se prosterner et adorer.
La scène de l'agonie au
Jardin des Oliviers se dessine avec intensité devant nos yeux.
Jésus, accablé à la pensée de l'épreuve
qui l'attend, seul devant Dieu, l'invoque à sa manière
habituelle de tendre confiance: « Abbà, Père ».
Il lui demande d'éloigner de lui, si cela est possible, le calice
de la souffrance (cf. Mc 14,36). Mais le Père ne semble pas vouloir
écouter la voix de son Fils. Pour rendre à l'homme le
visage de son Père, Jésus a dû non seulement assumer
le visage de l'homme, mais se charger aussi du « visage »
du péché: « Celui qui n'a pas connu le péché,
Dieu l'a pour nous identifié au péché des hommes,
afin que, grâce à lui, nous soyons identifiés à
la justice de Dieu » (2 Co 5,21).
Nous ne cesserons jamais d'explorer
la profondeur abyssale de ce mystère. Toute l'âpreté
de ce paradoxe se manifeste dans le cri de douleur, apparemment désespéré,
que Jésus fait entendre sur la Croix: « "Éloï,
Éloï, lama sabactani?", ce qui signifie: "Mon
Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?" » (Mc
15,34). Est-il possible d'imaginer un supplice plus grand, une obscurité
plus dense? En réalité, tout en conservant le réalisme
d'une douleur indicible, le « pourquoi » angoissé
que Jésus adresse à son Père avec les premiers
mots du Psaume 22 s'éclaire à la lumière de l'ensemble
de la prière dans laquelle le psalmiste unit, dans un mélange
touchant de sentiments, la souffrance et la confiance. En effet, le
Psaume continue: « C'est en toi que nos pères espéraient,
ils espéraient et tu les délivrais... Ne sois pas loin:
l'angoisse est proche, je n'ai personne pour m'aider » (Ps 22[21],5.12).
26. Chers Frères et Surs,
le cri de Jésus sur la Croix n'exprime pas l'angoisse d'un désespéré,
mais la prière du Fils qui offre sa vie à son Père
dans l'amour, pour le salut de tous. Au moment où il s'identifie
à notre péché, « abandonné »
par son Père, il « s'abandonne » entre les mains
de son Père. Ses yeux restent fixés sur son Père.
C'est bien en raison de la connaissance et de l'expérience que
lui seul a de Dieu que, même en ce moment de ténèbres,
il voit de manière limpide la gravité du péché
et qu'il souffre pour lui. Lui seul, qui voit son Père et en
jouit pleinement, mesure en plénitude ce que signifie résister
par le péché à l'amour du Père. Avant d'être
une souffrance pour son corps et à un degré beaucoup plus
élevé, sa passion est une souffrance atroce pour son âme.
La tradition théologique n'a pas manqué de se demander
comment Jésus pouvait vivre en même temps l'union profonde
avec son Père, qui est par nature source de joie et de béatitude,
et l'agonie jusqu'au cri de l'abandon. La présence simultanée
de ces deux éléments apparemment inconciliables est en
réalité enracinée dans la profondeur insondable
de l'union hypostatique.
27. Face à ce mystère,
conjointement à la recherche théologique, une aide sérieuse
peut nous venir du grand patrimoine qu'est la « théologie
vécue » des Saints. Ceux-ci nous offrent des indications
précieuses qui permettent d'accueillir plus facilement l'intuition
de la foi, et cela en fonction des lumières particulières
que certains d'entre eux ont reçues de l'Esprit Saint, ou même
à travers l'expérience qu'ils ont faite de ces états
terribles d'épreuve que la tradition mystique appelle «
nuit obscure ». Bien souvent, les saints ont vécu quelque
chose de semblable à l'expérience de Jésus sur
la Croix, dans un mélange paradoxal de béatitude et de
douleur. Dans le Dialogue de la Divine Providence, Dieu le Père
montre à Catherine de Sienne que dans les âmes saintes
peuvent être présentes à la fois la joie et la souffrance:
« Et l'âme est bienheureuse et souffrante: souffrante pour
les péchés du prochain, bienheureuse par l'union et l'affection
de la charité qu'elle a reçue en elle. Ceux-là
imitent l'Agneau immaculé, mon Fils unique, lequel sur la Croix
était bienheureux et souffrant ».13 De la même façon,
Thérèse de Lisieux vit son agonie en communion avec celle
de Jésus, éprouvant précisément en elle
le paradoxe de Jésus bienheureux et angoissé: «
Notre Seigneur dans le Jardin des Oliviers jouissait de toutes les délices
de la Trinité, et pourtant son agonie n'en était pas moins
cruelle. C'est un mystère, mais je vous assure que j'en comprends
quelque chose par ce que j'éprouve moi-même ».14
C'est un témoignage lumineux! Du reste, le récit même
des évangélistes assure le fondement de cette perception
ecclésiale de la conscience du Christ quand il rappelle que Jésus,
même dans l'abîme de la douleur, meurt en implorant le pardon
pour ses bourreaux (cf. Lc 23,34) et en adressant à son Père
son abandon filial jusqu'à l'extrême: « Père,
entre tes mains je remets mon esprit » (Lc 23,46).
Le visage du Ressuscité
28. Comme lors du Vendredi saint
et du Samedi saint, l'Église ne cesse de demeurer dans la contemplation
de ce visage ensanglanté, dans lequel est cachée la vie
de Dieu et est offert le salut du monde. Mais sa contemplation du visage
du Christ ne peut s'arrêter à son image de Crucifié.
Il est le Ressuscité! S'il n'en était pas ainsi, notre
prédication serait vaine et vaine notre foi (cf. 1 Co 15,14).
La résurrection fut la réponse du Père à
son obéissance, comme le rappelle la Lettre aux Hébreux:
« Pendant les jours de sa vie mortelle, il a présenté,
avec un grand cri et dans les larmes, sa prière et sa supplication
à Dieu qui pouvait le sauver de la mort; et, parce qu'il s'est
soumis en tout, il a été exaucé. Bien qu'il soit
le Fils, il a pourtant appris l'obéissance par les souffrances
de sa Passion; et, ainsi conduit à sa perfection, il est devenu
pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel
» (5,7-9).
C'est vers le Christ ressuscité
que désormais l'Église a les yeux fixés. Elle le
fait en suivant les traces de Pierre, qui versa des larmes après
son reniement, et reprit son chemin en manifestant son amour au Christ,
avec une appréhension compréhensible: « Tu sais
bien que je t'aime » (cf. Jn 21,15-17). Elle marche en compagnie
de Paul, qui fit la rencontre foudroyante du Christ sur le chemin de
Damas: « Pour moi, vivre c'est le Christ, et mourir est un avantage
» (Ph 1,21).
Deux mille ans après ces
événements, l'Église les revit comme s'ils venaient
de se produire aujourd'hui. Dans le visage du Christ, elle, l'Épouse,
contemple son trésor, sa joie. « Dulcis Iesu memoria, dans
vera cordis gaudia »: qu'il est doux le souvenir de Jésus,
source de la vraie joie du cur! Réconfortée par
cette expérience, l'Église reprend aujourd'hui son chemin,
pour annoncer le Christ au monde, au début du troisième
millénaire: « Jésus Christ est le même hier
et aujourd'hui, il le sera à jamais » (He 13,8).
III
REPARTIR DU CHRIST
29. « Et moi, je suis avec
vous tous les jours jusqu'à la fin du monde » (Mt 28,20).
Cette certitude, chers Frères et Surs, a accompagné
l'Église pendant deux mille ans, et elle vient d'être ravivée
dans nos curs par la célébration du Jubilé.
Nous devons y puiser un élan renouvelé pour notre vie
chrétienne, en en faisant même la force inspiratrice de
notre cheminement. C'est dans la conscience de cette présence
du Ressuscité parmi nous que nous nous posons aujourd'hui la
question adressée à Pierre à Jérusalem,
aussitôt après son discours de la Pentecôte: «
Que devons-nous faire? » (Ac 2,37).
Nous nous interrogeons avec un
optimisme confiant, sans pour autant sous-estimer les problèmes.
Nous ne sommes certes pas séduits par la perspective naïve
qu'il pourrait exister pour nous, face aux grands défis de notre
temps, une formule magique. Non, ce n'est pas une formule qui nous sauvera,
mais une Personne, et la certitude qu'elle nous inspire: Je suis avec
vous!
Il ne s'agit pas alors d'inventer
un « nouveau programme ». Le programme existe déjà:
c'est celui de toujours, tiré de l'Évangile et de la Tradition
vivante. Il est centré, en dernière analyse, sur le Christ
lui-même, qu'il faut connaître, aimer, imiter, pour vivre
en lui la vie trinitaire et pour transformer avec lui l'histoire jusqu'à
son achèvement dans la Jérusalem céleste. C'est
un programme qui ne change pas avec la variation des temps et des cultures,
même s'il tient compte du temps et de la culture pour un dialogue
vrai et une communication efficace. Ce programme de toujours est notre
programme pour le troisième millénaire.
Il est toutefois nécessaire
qu'il se traduise par des orientations pastorales adaptées aux
conditions de chaque communauté. Le Jubilé nous a donné
l'occasion extraordinaire de nous engager, pour quelques années,
sur un chemin commun à toute l'Église, un chemin de catéchèse
articulée autour du thème de la Trinité et accompagnée
d'engagements pastoraux spécifiques pour réaliser une
féconde expérience jubilaire. J'exprime mes remerciements
pour l'adhésion cordiale avec laquelle on a largement accueilli
la proposition que j'avais faite dans la lettre apostolique Tertio millennio
adveniente. Maintenant, ce n'est plus un objectif immédiat qui
se présente à nous: c'est l'horizon le plus large et le
plus exigeant de la pastorale ordinaire. Au milieu des données
universelles et inaliénables, il est nécessaire que le
programme unique de l'Évangile continue à s'inscrire dans
l'histoire de chaque réalité ecclésiale, comme
cela est toujours advenu. C'est dans les Églises locales que
l'on peut fixer les éléments concrets d'un programme
objectifs et méthodes de travail, formation et valorisation du
personnel, recherche des moyens nécessaires qui permettent
à l'annonce du Christ d'atteindre les personnes, de modeler les
communautés, d'agir en profondeur par le témoignage des
valeurs évangéliques sur la société et sur
la culture.
J'exhorte donc vivement les Pasteurs
des Églises particulières, aidés par la participation
des diverses composantes du peuple de Dieu, à tracer avec confiance
les étapes du chemin futur, en harmonisant les choix de chaque
communauté diocésaine avec ceux des Églises limitrophes
et avec ceux de l'Église universelle.
Une telle harmonie sera certainement
facilitée par le travail collégial, devenu maintenant
habituel, qui est mené par les Évêques dans les
Conférences épiscopales et dans les Synodes. N'est-ce
pas aussi le sens des Assemblées continentales du synode des
Évêques, qui ont scandé la préparation du
Jubilé, en élaborant des lignes significatives pour l'annonce
actuelle de l'Évangile dans les multiples contextes et dans les
diverses cultures? On ne doit pas laisser tomber ce riche patrimoine
de réflexion, mais le rendre concrètement opérationnel.
C'est donc une uvre de reprise
pastorale enthousiasmante qui nous attend. Une uvre qui nous implique
tous. Je désire toutefois indiquer, pour l'édification
et l'orientation communes, quelques priorités pastorales, que
l'expérience même du grand Jubilé a fait ressortir
à mes yeux avec une force particulière.
La sainteté
30. Et tout d'abord je n'hésite
pas à dire que la perspective dans laquelle doit se placer tout
le cheminement pastoral est celle de la sainteté. N'était-ce
pas le sens ultime de l'indulgence jubilaire, en tant que grâce
spéciale offerte par le Christ pour que la vie de chaque baptisé
puisse être purifiée et rénovée en profondeur?
Je souhaite que, parmi ceux qui
ont participé au Jubilé, beaucoup aient bénéficié
de cette grâce, en pleine conscience de son caractère exigeant.
Une fois le Jubilé terminé, la route ordinaire reprend,
mais présenter la sainteté reste plus que jamais une urgence
de la pastorale.
Il faut alors redécouvrir,
dans toute sa valeur de programme, le chapitre V de la constitution
dogmatique sur l'Église Lumen gentium, consacré à
l'« appel universel à la sainteté ». Si les
Pères conciliaires ont donné tant d'importance à
ce sujet, ce n'est pas pour conférer une sorte de touche spirituelle
à l'ecclésiologie, mais plutôt pour en faire ressortir
un dynamisme intrinsèque et caractéristique. La redécouverte
de l'Église comme « mystère », c'est-à-dire
comme « peuple uni de l'unité du Père et du Fils
et de l'Esprit Saint »,15 ne pouvait pas ne pas entraîner
aussi la redécouverte de sa « sainteté »,
entendue au sens fondamental d'appartenance à Celui qui est par
excellence le Saint, le « trois fois Saint » (cf. Is 6,3).
Dire que l'Église est sainte signifie présenter son visage
d'Épouse du Christ, pour laquelle il s'est livré, précisément
en vue de la sanctifier (cf. Ep 5,25-26). Ce don de sainteté,
pour ainsi dire objective, est offert à chaque baptisé.
Mais le don se traduit à
son tour en une tâche, qui doit gouverner toute l'existence chrétienne:
« La volonté de Dieu, c'est que vous viviez dans la sainteté
» (1 Th 4,3). C'est un engagement qui ne concerne pas seulement
certains chrétiens: « Tous les fidèles du Christ,
quel que soit leur état ou leur rang, sont appelés à
la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection
de la charité ».16
31. Rappeler cette vérité
élémentaire, en en faisant le fondement de la programmation
pastorale dans laquelle nous nous engageons au début du nouveau
millénaire, pourrait au premier abord sembler quelque chose de
peu opérationnel. Peut-on « programmer » la sainteté?
Que peut signifier ce mot dans la logique d'un plan pastoral?
En réalité, placer
la programmation pastorale sous le signe de la sainteté est un
choix lourd de conséquences. Cela signifie exprimer la conviction
que, si le Baptême fait vraiment entrer dans la sainteté
de Dieu au moyen de l'insertion dans le Christ et de l'inhabitation
de son Esprit, ce serait un contresens que de se contenter d'une vie
médiocre, vécue sous le signe d'une éthique minimaliste
et d'une religiosité superficielle. Demander à un catéchumène:
« Veux-tu recevoir le Baptême? » signifie lui demander
en même temps: « Veux-tu devenir saint? » Cela veut
dire mettre sur sa route le caractère radical du discours sur
la Montagne: « Soyez parfaits comme votre Père céleste
est parfait » (Mt 5,48).
Comme le Concile lui-même
l'a expliqué, il ne faut pas se méprendre sur cet idéal
de perfection comme s'il supposait une sorte de vie extraordinaire que
seuls quelques « génies » de la sainteté pourraient
pratiquer. Les voies de la sainteté sont multiples et adaptées
à la vocation de chacun. Je remercie le Seigneur, qui m'a permis
de béatifier et de canoniser ces dernières années
de nombreux chrétiens, et parmi eux beaucoup de laïcs qui
se sont sanctifiés dans les conditions les plus ordinaires de
la vie. Il est temps de proposer de nouveau à tous, avec conviction,
ce « haut degré » de la vie chrétienne ordinaire:
toute la vie de la communauté ecclésiale et des familles
chrétiennes doit mener dans cette direction. Il est toutefois
évident que les parcours de la sainteté sont personnels,
et qu'ils exigent une vraie pédagogie de la sainteté qui
soit capable de s'adapter aux rythmes des personnes. Cette pédagogie
devra intégrer aux richesses de la proposition adressée
à tous les formes traditionnelles d'aide personnelle et de groupe,
et les formes plus récentes apportées par les associations
et par les mouvements reconnus par l'Église.
La prière
32. Pour cette pédagogie
de la sainteté, il faut un christianisme qui se distingue avant
tout dans l'art de la prière. L'Année jubilaire a été
une année de prière personnelle et communautaire plus
intense. Mais nous savons bien aussi que la prière ne doit pas
être considérée comme évidente. Il est nécessaire
d'apprendre à prier, recevant pour ainsi dire toujours de nouveau
cet art des lèvres mêmes du divin Maître, comme les
premiers disciples: « Seigneur, apprends-nous à prier!
» (Lc 11,1). Dans la prière se développe ce dialogue
avec le Christ qui fait de nous ses intimes: « Demeurez en moi,
comme moi en vous » (Jn 15,4). Cette réciprocité
est la substance même, l'âme, de la vie chrétienne
et elle est la condition de toute vie pastorale authentique. Réalisée
en nous par l'Esprit Saint, elle nous ouvre, par le Christ et dans le
Christ, à la contemplation du visage du Père. Apprendre
cette logique trinitaire de la prière chrétienne, en la
vivant pleinement avant tout dans la liturgie, sommet et source de la
vie ecclésiale,17 mais aussi dans l'expérience personnelle,
tel est le secret d'un christianisme vraiment vital, qui n'a pas de
motif de craindre l'avenir, parce qu'il revient continuellement aux
sources et qu'il s'y régénère.
33. Le fait que l'on enregistre
aujourd'hui, dans le monde, malgré les vastes processus de sécularisation,
une exigence diffuse de spiritualité, qui s'exprime justement
en grande partie dans un besoin renouvelé de prière, n'est-il
pas un « signe des temps »? Les autres religions, désormais
amplement présentes dans les territoires d'ancienne chrétienté,
proposent aussi leurs réponses à ce besoin, et elles le
font parfois avec des modalités attrayantes. Nous qui avons la
grâce de croire au Christ, révélateur du Père
et Sauveur du monde, nous avons le devoir de montrer à quelles
profondeurs peut porter la relation avec lui.
La grande tradition mystique de
l'Église, en Orient comme en Occident, peut exprimer beaucoup
à ce sujet. Elle montre comment la prière peut progresser,
comme un véritable dialogue d'amour, au point de rendre la personne
humaine totalement possédée par le Bien-Aimé divin,
vibrant au contact de l'Esprit, filialement abandonnée dans le
cur du Père. On fait alors l'expérience vivante
de la promesse du Christ: « Celui qui m'aime sera aimé
de mon Père; moi aussi je l'aimerai, et je me manifesterai à
lui » (Jn 14,21). Il s'agit d'un chemin totalement soutenu par
la grâce, qui requiert toutefois un fort engagement spirituel
et qui connaît aussi de douloureuses purifications (la «
nuit obscure »), mais qui conduit, sous diverses formes possibles,
à la joie indicible vécue par les mystiques comme «
union sponsale ». Comment oublier ici, parmi tant de témoignages
lumineux, la doctrine de saint Jean de la Croix et de sainte Thérèse
d'Avila?
Oui, chers Frères et Surs,
nos communautés chrétiennes doivent devenir d'authentiques
« écoles » de prière, où la rencontre
avec le Christ ne s'exprime pas seulement en demande d'aide, mais aussi
en action de grâce, louange, adoration, contemplation, écoute,
affection ardente, jusqu'à une vraie « folie » du
cur. Il s'agit donc d'une prière intense, qui toutefois
ne détourne pas de l'engagement dans l'histoire: en ouvrant le
cur à l'amour de Dieu, elle l'ouvre aussi à l'amour
des frères et rend capable de construire l'histoire selon le
dessein de Dieu.18
34. Certes, les fidèles
qui ont reçu le don de la vocation à une vie de consécration
spéciale sont appelés à la prière de façon
particulière: par nature, cette vocation les rend plus disponibles
à l'expérience contemplative, et il importe qu'ils s'y
adonnent avec une généreuse assiduité. Mais on
se tromperait si l'on pensait que les simples chrétiens peuvent
se contenter d'une prière superficielle, qui serait incapable
de remplir leur vie. Face notamment aux nombreuses épreuves que
le monde d'aujourd'hui impose à la foi, ils seraient non seulement
des chrétiens médiocres, mais des « chrétiens
en danger ». Ils courraient en effet le risque insidieux de voir
leur foi progressivement affaiblie, et ils finiraient même par
céder à la fascination de « succédanés
», accueillant des propositions religieuses de suppléance
et se prêtant même aux formes extravagantes de la superstition.
Il faut alors que l'éducation
à la prière devienne en quelque sorte un point déterminant
de tout programme pastoral. Moi-même, j'envisage d'aborder au
cours des prochaines catéchèses du mercredi une réflexion
sur les psaumes, en commençant par ceux des Laudes, par lesquelles
la prière publique de l'Église nous invite à consacrer
et à orienter nos journées. Combien il serait utile que,
non seulement dans les communautés religieuses mais aussi dans
les communautés paroissiales, on s'emploie davantage à
ce que tout le climat soit imprégné de prière!
Il faudrait redonner de la valeur, avec le discernement voulu, aux formes
populaires et surtout éduquer à la prière liturgique.
Une journée de la communauté chrétienne, où
l'on harmoniserait les multiples occupations de la pastorale et du témoignage
dans le monde avec la célébration eucharistique et éventuellement
la récitation des Laudes et des Vêpres, est peut-être
plus « envisageable » qu'on ne le croit habituellement.
L'expérience de nombreux groupes chrétiennement engagés,
même composés majoritairement de laïcs, le démontre.
L'Eucharistie dominicale
35. La plus grande attention doit
donc être portée à la liturgie, « le sommet
vers lequel tend l'action de l'Église et en même temps
la source d'où découle toute sa force ».19 Au vingtième
siècle, spécialement à partir du Concile, la communauté
chrétienne a beaucoup grandi dans sa façon de célébrer
les sacrements, surtout l'Eucharistie. Il faut persévérer
dans cette direction, en donnant une importance particulière
à l'Eucharistie dominicale et au dimanche lui-même, entendu
comme un jour particulier de la foi, jour du Seigneur ressuscité
et du don de l'Esprit, vraie Pâque hebdomadaire.20 Depuis deux
mille ans, le temps chrétien est scandé par la mémoire
de ce « premier jour après le sabbat » (cf. Mc 16,2.9;
Lc 24,1; Jn 20,1), où le Christ ressuscité fit aux Apôtres
le don de la paix et de l'Esprit (cf. Jn 20,19-23). La vérité
de la résurrection du Christ est le donné originel sur
lequel s'appuie la foi chrétienne (cf. 1 Cor 15,14), événement
qui se place au centre du mystère du temps et qui préfigure
le dernier jour, lorsque le Christ reviendra dans la gloire. Nous ne
savons pas quels événements nous réservera le millénaire
qui commence, mais nous avons la certitude qu'il demeurera solidement
dans les mains du Christ, le « Roi des rois et Seigneur des seigneurs
» (Ap 19,16), et justement en célébrant sa Pâque,
non seulement une fois dans l'année, mais chaque dimanche, l'Église
continuera à « montrer à chaque génération
ce qui constitue l'axe porteur de l'histoire, auquel se rattachent le
mystère des origines et celui de la destinée finale du
monde ».21
36. Je voudrais donc insister,
à la suite de la lettre Dies Domini, pour que la participation
à l'Eucharistie soit vraiment, pour tout baptisé, le cur
du dimanche. Il y a là un engagement auquel on ne peut renoncer
et qu'il faut vivre, non seulement pour obéir à un précepte,
mais parce que c'est une nécessité pour une vie chrétienne
vraiment consciente et cohérente. Nous entrons dans un millénaire
qui s'annonce comme caractérisé par un profond mélange
de cultures et de religions, même dans les pays de christianisation
ancienne. Dans beaucoup de régions, les chrétiens sont,
ou sont en train de devenir, un « petit troupeau » (Lc 12,32).
Cela les met face au défi de témoigner plus fortement
des aspects spécifiques de leur identité, et bien souvent
dans des conditions de solitude et de difficultés. Le devoir
de la participation eucharistique chaque dimanche est l'un de ces aspects.
En réunissant chaque semaine les chrétiens comme famille
de Dieu autour de la table de la Parole et du Pain de vie, l'Eucharistie
dominicale est aussi l'antidote le plus naturel à la dispersion.
Elle est le lieu privilégié où la communion est
constamment annoncée et entretenue. Précisément
par la participation à l'Eucharistie, le jour du Seigneur devient
aussi le jour de l'Église,22 qui peut exercer ainsi de manière
efficace son rôle de sacrement d'unité.
Le sacrement de la Réconciliation
37. Je viens aussi solliciter un
courage pastoral renouvelé pour que la pédagogie quotidienne
des communautés chrétiennes sache proposer de manière
persuasive et efficace la pratique du sacrement de la Réconciliation.
En 1984, vous vous en souvenez, je suis intervenu sur cette question
par l'exhortation post-synodale Reconciliatio et pænitentia, qui
recueillait les fruits de la réflexion d'une Assemblée
du Synode des Évêques consacrée à ce problème.
J'invitais alors à réaliser tous les efforts possibles
pour faire face à la crise du « sens du péché
» que l'on constate dans la culture contemporaine,23 mais plus
encore j'invitais à faire redécouvrir le Christ comme
mysterium pietatis, celui en qui Dieu nous montre son cur compatissant
et nous réconcilie pleinement avec lui. C'est ce visage du Christ
qu'il faut faire redécouvrir aussi à travers le sacrement
de la Pénitence, qui est pour un chrétien « la voie
ordinaire pour obtenir le pardon et la rémission des péchés
graves commis après le baptême ».24 Quand le Synode
dont je viens de parler aborda ce problème, tous avaient sous
les yeux la crise du sacrement, surtout dans certaines régions
du monde. Les motifs qui étaient à l'origine de cette
crise n'ont pas disparu durant ce bref intervalle de temps. Mais l'Année
jubilaire, qui a été particulièrement caractérisée
par le recours à la Pénitence sacramentelle, nous a délivré
un message encourageant qu'il ne faut pas laisser perdre: si beaucoup
de fidèles, et parmi eux notamment de nombreux jeunes, ont accédé
avec fruit à ce sacrement, il est probablement nécessaire
que les Pasteurs s'arment d'une confiance, d'une créativité
et d'une persévérance plus grandes pour le présenter
et le remettre en valeur. Nous ne devons pas démissionner, chers
Frères dans le sacerdoce, face à des crises temporaires!
Les dons du Seigneur et les sacrements sont parmi les plus précieux
d'entre eux viennent de Celui qui connaît bien le cur
de l'homme, et il est le Seigneur de l'histoire.
Le primat de la grâce
38. Dans la programmation qui nous
attend, nous engager avec davantage de confiance dans une pastorale
qui donne toute sa place à la prière, personnelle et communautaire,
signifie respecter un principe essentiel de la vision chrétienne
de la vie: le primat de la grâce. Il y a une tentation qui depuis
toujours tend un piège à tout chemin spirituel et à
l'action pastorale elle-même: celle de penser que les résultats
dépendent de notre capacité de faire et de programmer.
Certes, Dieu nous demande une réelle collaboration à sa
grâce, et il nous invite donc à investir toutes nos ressources
d'intelligence et d'action dans notre service de la cause du Royaume.
Mais prenons garde d'oublier que « sans le Christ nous ne pouvons
rien faire » (cf. Jn 15,5).
La prière nous fait vivre
justement dans cette vérité. Elle nous rappelle constamment
le primat du Christ et, en rapport à lui, le primat de la vie
intérieure et de la sainteté. Quand ce principe n'est
pas respecté, faut-il s'étonner si les projets pastoraux
vont au devant de l'échec et laissent dans le cur un sentiment
décourageant de frustration? Nous faisons alors l'expérience
des disciples dans l'épisode évangélique de la
pêche miraculeuse: « Nous avons peiné toute la nuit
sans rien prendre » (Lc 5,5). Tel est le moment de la foi, de
la prière, du dialogue avec Dieu, qui ouvre le cur au flot
de la grâce et qui permet à la parole du Christ de passer
à travers nous avec toute sa force: Duc in altum! Lors de cette
pêche, il revint à Pierre de dire les mots de la foi: «
Sur ton ordre, je vais jeter les filets » (ibid.). Permettez au
Successeur de Pierre, au début de ce millénaire, d'inviter
toute l'Église à cet acte de foi, qui s'exprime dans un
engagement renouvelé de prière.
L'écoute de la Parole
39. Il n'y a pas de doute que ce
primat de la sainteté et de la prière n'est concevable
qu'à partir d'une écoute renouvelée de la parole
de Dieu. Depuis que le Concile Vatican II a souligné le rôle
prééminent de la parole de Dieu dans la vie de l'Église,
il est certain que de grands pas en avant ont été faits
dans l'écoute assidue et dans la lecture attentive de l'Écriture
Sainte. L'honneur qu'elle mérite lui est reconnu dans la prière
publique de l'Église. Les fidèles et les communautés
y recourent désormais dans une large mesure, et parmi les laïcs
eux-mêmes, nombreux sont ceux qui s'y consacrent avec l'aide précieuse
des études théologiques et bibliques. Et surtout il y
a l'évangélisation et la catéchèse qui prennent
une nouvelle vigueur précisément lorsqu'on est attentif
à la parole de Dieu. Chers Frères et Surs, il faut
consolider et approfondir cette perspective, en diffusant aussi le livre
de la Bible dans les familles. Il est nécessaire, en particulier,
que l'écoute de la Parole devienne une rencontre vitale, selon
l'antique et toujours actuelle tradition de la lectio divina permettant
de puiser dans le texte biblique la parole vivante qui interpelle, qui
oriente, qui façonne l'existence.
L'annonce de la Parole
40. Nous nourrir de la Parole,
pour que nous soyons des « serviteurs de la Parole » dans
notre mission d'évangélisation, c'est assurément
une priorité pour l'Église au début du nouveau
millénaire. On doit considérer comme désormais
dépassée, même dans les pays d'ancienne évangélisation,
la situation d'une « société chrétienne »,
qui, en dépit des nombreuses faiblesses dont l'humain est toujours
marqué, se référait explicitement aux valeurs évangéliques.
Aujourd'hui, on doit affronter avec courage une situation qui se fait
toujours plus diversifiée et plus prenante, dans le contexte
de la mondialisation et de la mosaïque nouvelle et changeante de
peuples et de cultures qui la caractérise. À maintes reprises,
j'ai répété ces dernières années
l'appel à la nouvelle évangélisation. Je le reprends
maintenant, surtout pour montrer qu'il faut raviver en nous l'élan
des origines, en nous laissant pénétrer de l'ardeur de
la prédication apostolique qui a suivi la Pentecôte. Nous
devons revivre en nous le sentiment enflammé de Paul qui s'exclamait:
« Malheur à moi si je n'annonçais pas l'Évangile!
» (1 Co 9,16).
Cette passion ne manquera pas de
susciter dans l'Église un nouvel esprit missionnaire, qui ne
saurait être réservé à un groupe de «
spécialistes » mais qui devra engager la responsabilité
de tous les membres du peuple de Dieu. Celui qui a vraiment rencontré
le Christ ne peut le garder pour lui-même, il doit l'annoncer.
Il faut un nouvel élan apostolique qui soit vécu comme
un engagement quotidien des communautés et des groupes chrétiens.
Cela se fera toutefois dans le respect dû au cheminement toujours
diversifié de chaque personne et dans l'attention à l'égard
des différentes cultures dans lesquelles le message chrétien
doit être introduit, de sorte que les valeurs spécifiques
de chaque peuple ne soient pas reniées, mais purifiées
et portées à leur plénitude.
Le christianisme du troisième
millénaire devra répondre toujours mieux à cette
exigence d'inculturation. Tout en restant pleinement lui-même,
dans l'absolue fidélité à l'annonce évangélique
et à la tradition ecclésiale, il revêtira aussi
le visage des innombrables cultures et des innombrables peuples où
il est accueilli et enraciné. Durant l'Année jubilaire,
nous nous sommes particulièrement réjouis de la beauté
de ce visage multiforme de l'Église. Ce n'est peut-être
qu'un début, une icône à peine ébauchée
de l'avenir que l'Esprit de Dieu nous prépare.
La proposition du Christ doit être
faite à tous avec confiance. On s'adressera aux adultes, aux
familles, aux jeunes, aux enfants, sans jamais cacher les exigences
les plus radicales du message évangélique, mais en allant
au-devant des exigences de chacun en ce qui concerne la sensibilité
et le langage, selon l'exemple de Paul qui affirmait: « Je me
suis fait tout à tous pour en sauver à tout prix quelques-uns
» (1 Co 9,22). En faisant ces recommandations, je pense en particulier
à la pastorale de la jeunesse. Précisément en ce
qui concerne les jeunes, comme je l'ai rappelé plus haut, le
Jubilé nous a offert un témoignage de généreuse
disponibilité. Nous devons savoir valoriser cette réponse
réconfortante, en investissant cet enthousiasme comme un nouveau
talent (cf. Mt 25,15) que le Seigneur a mis entre nos mains pour que
nous le fassions fructifier.
41. Puissions-nous être soutenus
et orientés, dans cet esprit missionnaire confiant, entreprenant
et créatif, par l'exemple lumineux de nombreux témoins
de la foi que le Jubilé nous a fait évoquer! L'Église
a toujours trouvé dans ses martyrs une semence de vie. Sanguis
martyrum semen christianorum:25 cette « loi » célèbre
énoncée par Tertullien s'est toujours avérée
à l'épreuve de l'histoire. N'en sera-t-il pas de même
pour le siècle, pour le millénaire, que nous commençons?
Nous étions peut-être trop habitués à penser
aux martyrs d'une manière un peu lointaine, comme s'il s'agissait
d'une catégorie du passé, liée surtout aux premiers
siècles de l'ère chrétienne. La mémoire
jubilaire nous a ouvert un spectacle surprenant, nous montrant que notre
temps est particulièrement riche de témoins qui, d'une
manière ou d'une autre, ont su vivre l'Évangile dans des
situations d'hostilité et de persécution, souvent jusqu'à
donner le témoignage suprême du sang. En eux, la parole
de Dieu, semée en bonne terre, a produit le centuple (cf. Mt
13,3-23). Par leur exemple, ils nous ont montré et comme «
aplani » la route de l'avenir. Il ne nous reste plus qu'à
marcher sur leurs traces, avec la grâce de Dieu.
IV
TÉMOINS DE L'AMOUR
42. « Ce qui montrera à
tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que
vous aurez les uns pour les autres » (Jn 13,35). Si nous avons
vraiment contemplé le visage du Christ, chers Frères et
Surs, nos programmes pastoraux ne pourront pas ne pas s'inspirer
du « commandement nouveau » qu'il nous a donné: «
Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres
» (Jn 13,34).
C'est l'autre grand domaine pour
lequel il faudra manifester et programmer un engagement résolu,
au niveau de l'Église universelle et des Églises particulières:
celui de la communion (koinonia), qui incarne et manifeste l'essence
même du mystère de l'Église. La communion est le
fruit et la manifestation de l'amour qui, jaillissant du cur du
Père éternel, se déverse en nous par l'Esprit que
Jésus nous donne (cf. Rm 5,5), pour faire de nous tous «
un seul cur et une seule âme » (Ac 4,32). C'est en
réalisant cette communion d'amour que l'Église se manifeste
comme « sacrement », c'est-à-dire comme « le
signe et l'instrument de l'union intime avec Dieu et de l'unité
de tout le genre humain ».26
Les paroles du Seigneur à
ce sujet sont trop précises pour que l'on puisse en réduire
la portée. Beaucoup de choses, même dans le nouveau siècle,
seront nécessaires pour le cheminement historique de l'Église;
mais si la charité (l'agapè), fait défaut, tout
sera inutile. C'est l'Apôtre Paul lui-même qui le rappelle
dans l'hymne à la charité: nous aurions beau parler les
langues des hommes et des anges et avoir une foi « à déplacer
les montagnes », s'il nous manquait la charité, tout cela
serait « rien » (cf. 1 Co 13,2). La charité est vraiment
le « cur » de l'Église, comme l'avait bien
pressenti sainte Thérèse de Lisieux, que j'ai voulu proclamer
Docteur de l'Église justement comme experte en scientia amoris:
« Je compris que l'Église avait un cur, et que ce
cur était brûlant d'amour. Je compris que l'Amour
seul faisait agir les membres de l'Église [...]. Je compris que
l'Amour renfermait toutes les vocations, que l'Amour était tout
».27
Une spiritualité de communion
43. Faire de l'Église la
maison et l'école de la communion: tel est le grand défi
qui se présente à nous dans le millénaire qui commence,
si nous voulons être fidèles au dessein de Dieu et répondre
aussi aux attentes profondes du monde.
Qu'est-ce que cela signifie concrètement?
Ici aussi le discours pourrait se faire immédiatement opérationnel,
mais ce serait une erreur de s'en tenir à une telle attitude.
Avant de programmer des initiatives concrètes, il faut promouvoir
une spiritualité de la communion, en la faisant ressortir comme
principe éducatif partout où sont formés l'homme
et le chrétien, où sont éduqués les ministres
de l'autel, les personnes consacrées, les agents pastoraux, où
se construisent les familles et les communautés. Une spiritualité
de la communion consiste avant tout en un regard du cur porté
sur le mystère de la Trinité qui habite en nous, et dont
la lumière doit aussi être perçue sur le visage
des frères qui sont à nos côtés. Une spiritualité
de la communion, cela veut dire la capacité d'être attentif,
dans l'unité profonde du Corps mystique, à son frère
dans la foi, le considérant donc comme « l'un des nôtres
», pour savoir partager ses joies et ses souffrances, pour deviner
ses désirs et répondre à ses besoins, pour lui
offrir une amitié vraie et profonde. Une spiritualité
de la communion est aussi la capacité de voir surtout ce qu'il
y a de positif dans l'autre, pour l'accueillir et le valoriser comme
un don de Dieu: un « don pour moi », et pas seulement pour
le frère qui l'a directement reçu. Une spiritualité
de la communion, c'est enfin savoir « donner une place »
à son frère, en portant « les fardeaux les uns des
autres » (Ga 6,2) et en repoussant les tentations égoïstes
qui continuellement nous tendent des pièges et qui provoquent
compétition, carriérisme, défiance, jalousies.
Ne nous faisons pas d'illusions: sans ce cheminement spirituel, les
moyens extérieurs de la communion serviraient à bien peu
de chose. Ils deviendraient des façades sans âme, des masques
de communion plus que ses expressions et ses chemins de croissance.
44. Sur cette base, le nouveau
siècle devra nous voir engagés plus que jamais à
valoriser et à développer les domaines et les moyens qui,
selon les grandes orientations du Concile Vatican II, servent à
assurer et à garantir la communion. Comment ne pas penser, avant
tout, à ces services spécifiques de la communion que sont
le ministère pétrinien et, en étroite relation
avec lui, la collégialité épiscopale? Il s'agit
de réalités qui ont leur fondement et leur consistance
dans le dessein même du Christ sur l'Église,28 mais qui,
en raison de cela, ont continuellement besoin d'une vérification
qui en assure l'authentique inspiration évangélique.
On a fait beaucoup aussi depuis
le Concile Vatican II en ce qui concerne la réforme de la Curie
romaine, l'organisation des Synodes, le fonctionnement des Conférences
épiscopales. Mais il reste certainement beaucoup à faire
pour exprimer au mieux les potentialités de ces instruments de
la communion, particulièrement nécessaires aujourd'hui
où il est indispensable de répondre avec rapidité
et efficacité aux problèmes que l'Église doit affronter
au milieu des changements si rapides de notre temps.
45. Les lieux de la communion doivent
être entretenus et étendus jour après jour, à
tout niveau, dans le tissu de la vie de chaque Église. La communion
doit ici clairement apparaître dans les relations entre les Évêques,
les prêtres et les diacres, entre les Pasteurs et le peuple de
Dieu tout entier, entre le clergé et les religieux, entre les
associations et les mouvements ecclésiaux. Dans ce but, les organismes
de participation prévus par le droit canonique, comme les Conseils
presbytéraux et pastoraux, doivent toujours être mieux
mis en valeur. Ceux-ci, comme on le sait, ne s'inspirent pas des critères
de la démocratie parlementaire, car ils agissent par voie consultative
et non délibérative;29 toutefois, ils ne perdent pas leur
signification ni leur importance à cause de cela. En effet, la
théologie et la spiritualité de la communion inspirent
une écoute réciproque et efficace entre les Pasteurs et
les fidèles, les tenant unis a priori dans tout ce qui est essentiel,
et les poussant, d'autre part, même dans ce qui est discutable,
à parvenir normalement à une convergence en vue de choix
réfléchis et partagés.
Dans ce but, il faut faire nôtre
la sagesse antique qui, sans porter aucun préjudice au rôle
d'autorité des Pasteurs, savait les encourager à la plus
grande écoute de tout le peuple de Dieu. Ce que saint Benoît
rappelle à l'Abbé du monastère, en l'invitant à
consulter aussi les plus jeunes, est significatif: « Souvent le
Seigneur inspire à un plus jeune un avis meilleur ».30
Et saint Paulin de Nole exhorte: « Soyons suspendus à la
bouche de tous les fidèles, car dans tous les fidèles
souffle l'Esprit de Dieu ».31
Si donc la sagesse juridique, en
posant des règles précises à la participation,
manifeste la structure hiérarchique de l'Église et repousse
les tentations d'arbitraire et de prétentions injustifiées,
la spiritualité de la communion donne une âme aux éléments
institutionnels en proposant la confiance et l'ouverture pour répondre
pleinement à la dignité et à la responsabilité
de chaque membre du peuple de Dieu.
La variété des vocations
46. Cette perspective de communion
est étroitement liée à la capacité de la
communauté chrétienne de donner une place à tous
les dons de l'Esprit. L'unité de l'Église n'est pas uniformité,
mais intégration organique des légitimes diversités.
C'est la réalité des nombreux membres réunis en
un seul corps, l'unique Corps du Christ (cf. 1 Co 12,12). Il est donc
nécessaire que l'Église du troisième millénaire
stimule tous les baptisés et les confirmés à prendre
conscience de leur responsabilité active dans la vie ecclésiale.
À côté du ministère ordonné, d'autres
ministères, institués ou simplement reconnus, peuvent
fleurir au bénéfice de toute la communauté, la
soutenant dans ses multiples besoins: de la catéchèse
à l'animation liturgique, de l'éducation des jeunes aux
expressions les plus diverses de la charité.
À n'en pas douter, il faut
réaliser un généreux effort surtout par
la prière insistante au Maître de la moisson (cf. Mt 9,38)
pour la promotion des vocations au sacerdoce et des vocations
à une consécration spéciale. C'est là un
problème de grande importance pour la vie de l'Église
dans toutes les parties du monde. Et dans certains pays d'ancienne évangélisation,
il est devenu réellement dramatique en raison des mutations du
contexte social et du dessèchement religieux qui découle
du consumérisme et du sécularisme. Il est nécessaire
et urgent de mettre en uvre une pastorale des vocations largement
diffusée, qui atteigne les paroisses, les lieux éducatifs,
les familles, suscitant une réflexion plus attentive sur les
valeurs essentielles de la vie, qui trouvent leur aboutissement dans
la réponse que chacun est invité à donner à
l'appel de Dieu, spécialement quand cet appel invite au don total
de soi et de ses énergies pour la cause du Royaume.
Dans ce contexte, toutes les autres
vocations, enracinées en définitive dans la richesse de
la vie nouvelle reçue dans le sacrement du Baptême, prennent
aussi leur propre relief. En particulier, il faudra découvrir
toujours mieux la vocation qui est propre aux laïcs, appelés
comme tels à « chercher le Royaume de Dieu en gérant
les affaires temporelles et en les ordonnant selon Dieu »,32 et
aussi à assumer « leur part de la mission [...] dans l'Église
et dans le monde [...] par leurs activités en vue d'assurer l'évangélisation
et la sanctification des hommes ».33
Dans cette même ligne, le
devoir de promouvoir les divers types d'association revêt une
grande importance pour la communion, que ce soient les formes plus traditionnelles
ou celles plus nouvelles des mouvements ecclésiaux; ces formes
continuent à donner à l'Église une vivacité
qui est un don de Dieu et qui constitue un authentique « printemps
de l'Esprit ». Il faut bien sûr que les associations et
les mouvements, aussi bien dans l'Église universelle que dans
les Églises particulières, uvrent dans en pleine
harmonie ecclésiale et en obéissance aux directives émanant
de l'autorité des Pasteurs. Mais l'avertissement de l'Apôtre,
exigeant et péremptoire, s'adresse aussi à tous: «
N'éteignez pas l'Esprit, ne repoussez pas les prophètes,
mais discernez la valeur de toute chose. Ce qui est bien, gardez-le
» (1 Th 5,19-21).
47. Une attention spéciale
doit être portée à la pastorale de la famille, d'autant
plus nécessaire dans un moment historique comme le nôtre,
où l'on enregistre une crise diffuse et radicale de cette institution
fondamentale. Dans la vision chrétienne du mariage, la relation
entre un homme et une femme relation réciproque et totale,
unique et indissoluble répond au dessein originel de Dieu,
qui s'est obscurci dans l'histoire par la « dureté du cur
», mais que le Christ est venu restaurer dans sa splendeur originelle,
en révélant ce que Dieu a voulu depuis « le commencement
» (Mt 19,8). Dans le mariage, élevé à la
dignité de sacrement, est aussi exprimé le « grand
mystère » de l'amour sponsal du Christ pour son Église
(cf. Ep 5,32).
Sur ce point, l'Église ne
peut céder aux pressions d'une certaine culture, même si
celle-ci est répandue et parfois militante. Il faut plutôt
faire en sorte que, par une éducation évangélique
toujours plus complète, les familles chrétiennes donnent
un exemple convaincant de la possibilité d'un mariage vécu
de manière pleinement conforme au dessein de Dieu et aux vraies
exigences de la personne humaine: de la personne des conjoints et surtout
de celle, plus fragile, des enfants. Les familles elles-mêmes
doivent être toujours plus conscientes de l'attention due à
leurs enfants et se faire les sujets actifs d'une présence ecclésiale
et sociale efficace pour la sauvegarde de leurs droits.
L'engagement cuménique
48. Et que dire de l'urgence de
promouvoir la communion dans le domaine délicat de l'engagement
cuménique? Malheureusement, le triste héritage du
passé nous suit encore au-delà du seuil du nouveau millénaire.
La célébration jubilaire a enregistré quelques
signaux réellement prophétiques et émouvants, mais
un long chemin reste encore à parcourir.
En réalité, parce
qu'il nous a permis de fixer notre regard sur le Christ, le grand Jubilé
nous a fait prendre une conscience plus vive de l'Église comme
mystère d'unité. « Je crois en l'Église une
»: ce que nous exprimons dans la profession de foi a son fondement
ultime dans le Christ, en qui l'Église n'est pas divisée
(cf. 1 Co 1,11-13). Étant son Corps, dans l'unité qui
vient du don de l'Esprit, elle est indivisible. La réalité
des divisions se déploie sur le terrain de l'histoire, dans les
relations entre les fils de l'Église; c'est une conséquence
de la fragilité humaine dans la façon d'accueillir le
don qui provient continuellement du Christ-Tête dans son Corps
mystique. La prière de Jésus au Cénacle
« Que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi,
et moi en toi » (Jn 17,21) est en même temps révélation
et invocation. Elle nous révèle l'unité du Christ
avec son Père, qui est la source de l'unité de l'Église
et le don permanent qu'elle recevra mystérieusement en lui jusqu'à
la fin des temps. Cette unité, qui ne manque pas de se réaliser
concrètement dans l'Église catholique, malgré les
limites propres à l'humain, agit aussi à des degrés
divers dans les nombreux éléments de sanctification et
de vérité qui se trouvent au sein des autres Églises
et Communautés ecclésiales; ces éléments,
en tant que dons propres de l'Église du Christ, les poussent
sans cesse vers sa pleine unité.34
La prière du Christ nous
rappelle qu'il est nécessaire d'accueillir ce don et de le développer
de manière toujours plus profonde. L'invocation « ut unum
sint » est à la fois un impératif qui nous oblige,
une force qui nous soutient, un reproche salutaire face à nos
paresses et à nos étroitesses de cur. C'est sur
la prière de Jésus, et non sur nos capacités, que
s'appuie notre confiance de pouvoir atteindre aussi dans l'histoire
la communion pleine et visible de tous les chrétiens.
Dans cette perspective d'un chemin
post-jubilaire renouvelé, je me tourne avec une grande espérance
vers les Églises de l'Orient, souhaitant que l'échange
de dons qui a enrichi l'Église du premier millénaire reprenne
en plénitude. Puisse le souvenir du temps où l'Église
respirait avec « deux poumons » pousser les chrétiens
d'Orient et d'Occident à marcher ensemble, dans l'unité
de la foi et dans le respect des légitimes diversités,
en s'accueillant et en se soutenant mutuellement comme membres de l'unique
Corps du Christ.
C'est avec un engagement analogue
que doit être entretenu le dialogue cuménique avec
les frères et les surs de la Communion anglicane et des
Communautés ecclésiales nées de la Réforme.
La confrontation théologique sur des points essentiels de la
foi et de la morale chrétienne, la collaboration dans la charité
et surtout le grand cuménisme de la sainteté, ne
pourront pas à l'avenir, avec l'aide de Dieu, ne pas produire
leurs fruits. Poursuivons donc avec confiance notre route, aspirant
au moment où, avec tous les disciples du Christ, sans exception,
nous pourrons chanter ensemble à pleine voix: « Oui, il
est bon, il est doux pour des frères de vivre ensemble »
(Ps 133[132],1).
Le pari de la charité
49. À partir de la communion
intra-ecclésiale, la charité s'ouvre par nature au service
universel, nous lançant dans l'engagement d'un amour actif et
concret envers tout être humain. C'est un domaine qui qualifie
de manière tout aussi décisive la vie chrétienne,
le style ecclésial et les programmes pastoraux. Le siècle
et le millénaire qui commencent devront encore voir, et il est
même souhaitable qu'ils le voient avec une plus grande force,
à quel degré de dévouement peut parvenir la charité
envers les plus pauvres. Si nous sommes vraiment repartis de la contemplation
du Christ, nous devrons savoir le découvrir surtout dans le visage
de ceux auxquels il a voulu lui-même s'identifier: « J'avais
faim, et vous m'avez donné à manger; j'avais soif, et
vous m'avez donné à boire; j'étais un étranger,
et vous m'avez accueilli; j'étais nu, et vous m'avez habillé;
j'étais malade et vous m'avez visité; j'étais en
prison, et vous êtes venus jusqu'à moi » (Mt 25,35-36).
Cette page n'est pas une simple invitation à la charité;
c'est une page de christologie qui projette un rayon de lumière
sur le mystère du Christ. C'est sur cette page, tout autant que
sur la question de son orthodoxie, que l'Église mesure sa fidélité
d'Épouse du Christ.
On ne doit certes pas oublier que
personne ne peut être exclu de notre amour, à partir du
moment où, « par son incarnation, le Fils de Dieu s'est
en quelque sorte uni à tout homme ».35 Mais en en restant
aux paroles non équivoques de l'Évangile, dans la personne
des pauvres il y a une présence spéciale du Fils de Dieu
qui impose à l'Église une option préférentielle
pour eux. Par une telle option, on témoigne du style de l'amour
de Dieu, de sa providence, de sa miséricorde, et d'une certaine
manière on sème encore dans l'histoire les semences du
Règne de Dieu que Jésus lui-même y a déposées
au cours de sa vie terrestre en allant à la rencontre de ceux
qui recouraient à lui pour tous leurs besoins spirituels et matériels.
50. En effet, à notre époque,
nombreux sont les besoins qui interpellent la sensibilité chrétienne.
Notre monde entre dans le nouveau millénaire chargé des
contradictions d'une croissance économique, culturelle, technologique,
qui offre de grandes possibilités à quelques privilégiés,
laissant des millions et des millions de personnes non seulement en
marge du progrès, mais aux prises avec des conditions de vie
bien inférieures au minimum qui leur est dû en raison de
leur dignité humaine. Est-il possible que dans notre temps il
y ait encore des personnes qui meurent de faim, qui restent condamnées
à l'analphabétisme, qui manquent des soins médicaux
les plus élémentaires, qui n'aient pas de maison où
s'abriter?
Le tableau de la pauvreté
peut être étendu indéfiniment, si nous ajoutons
les nouvelles pauvretés aux anciennes, nouvelles pauvretés
que l'on rencontre souvent dans des secteurs et des catégories
non dépourvus de ressources économiques, mais exposés
à la désespérance du non-sens, au piège
de la drogue, à la solitude du grand âge ou de la maladie,
à la mise à l'écart ou à la discrimination
sociale. Les chrétiens qui regardent ce tableau doivent apprendre
à faire un acte de foi dans le Christ et à déchiffrer
l'appel qu'il lance à partir de ce monde de la pauvreté.
Il s'agit de poursuivre une tradition de charité qui a déjà
revêtu de multiples expressions au cours des deux millénaires
passés, mais qui aujourd'hui requiert sans doute encore une plus
grande inventivité. C'est l'heure d'une nouvelle « imagination
de la charité », qui se déploierait non seulement
à travers les secours prodigués avec efficacité,
mais aussi dans la capacité de se faire proche, d'être
solidaire de ceux qui souffrent, de manière que le geste d'aide
soit ressenti non comme une aumône humiliante, mais comme un partage
fraternel.
Pour cela, nous devons faire en
sorte que, dans toutes les communautés chrétiennes, les
pauvres se sentent « chez eux ». Ce style ne serait-il pas
la présentation la plus grande et la plus efficace de la bonne
nouvelle du Royaume? Sans cette forme d'évangélisation,
accomplie au moyen de la charité et du témoignage de la
pauvreté chrétienne, l'annonce de l'Évangile, qui
demeure la première des charités, risque d'être
incomprise ou de se noyer dans un flot de paroles auquel la société
actuelle de la communication nous expose quotidiennement. La charité
des uvres donne une force incomparable à la charité
des mots.
Les défis actuels
51. Par ailleurs, comment nous
tenir à l'écart des perspectives d'un désastre
écologique, qui fait que de larges zones de la planète
deviennent inhospitalières et hostiles à l'homme? Ou devant
les problèmes de la paix, souvent menacée, avec la hantise
de guerres catastrophiques? Ou devant le mépris des droits humains
fondamentaux de tant de personnes, spécialement des enfants?
Nombreuses sont les urgences auxquelles l'esprit chrétien ne
peut rester insensible.
Un engagement particulier doit
concerner certains aspects de la radicalité évangélique,
qui sont souvent les moins compris, au point de rendre impopulaire l'intervention
de l'Église, mais qui ne sauraient pour autant être absents
des rendez-vous ecclésiaux de la charité. Je veux parler
ici du devoir de s'engager pour le respect de la vie de tout être
humain depuis sa conception jusqu'à sa fin naturelle. De même,
le service de l'homme nous impose de crier, à temps et à
contretemps, que ceux qui tirent profit des nouvelles potentialités
de la science, spécialement dans le domaine des biotechnologies,
ne peuvent jamais se dispenser de respecter les exigences fondamentales
de l'éthique, alors qu'ils font parfois appel à une solidarité
discutable qui finit par créer des discriminations entre vie
et vie, au mépris de la dignité propre à tout être
humain.
Pour que le témoignage chrétien
soit efficace, spécialement dans ces domaines délicats
et controversés, il est important de faire un gros effort pour
expliquer, de manière appropriée, les motifs de la position
de l'Église, en soulignant surtout qu'il ne s'agit pas d'imposer
aux non-croyants une perspective de foi, mais d'interpréter et
de défendre les valeurs fondées sur la nature même
de l'être humain. La charité se fera alors nécessairement
service de la culture, de la politique, de l'économie, de la
famille, pour que partout soient respectés les principes fondamentaux
dont dépendent les destinées de l'être humain et
l'avenir de la civilisation.
52. Il est clair que tout cela
devra être réalisé selon un style spécifiquement
chrétien: ce sont surtout les laïcs qui seront présents
dans ces tâches, afin de réaliser leur vocation propre,
sans jamais céder à la tentation de réduire les
communautés chrétiennes à des services sociaux.
En particulier, les relations avec la société civile devront
être réalisées de manière à respecter
l'autonomie et les compétences de cette dernière, selon
les enseignements proposés par la doctrine sociale de l'Église.
On connaît les efforts accomplis
par le Magistère ecclésial, surtout au cours du vingtième
siècle, pour lire les réalités sociales à
la lumière de l'Évangile et pour offrir, de manière
toujours plus précise et plus organique, leur contribution à
la solution de la question sociale, devenue désormais une question
planétaire.
Ce versant éthique et social
constitue une dimension absolument nécessaire du témoignage
chrétien: on doit repousser toute tentation d'une spiritualité
intimiste et individualiste, qui s'harmoniserait mal avec les exigences
de la charité, pas plus qu'avec la « logique » de
l'Incarnation et, en définitive, avec la tension eschatologique
du christianisme. Si cette dernière nous rend conscients du caractère
relatif de l'histoire, cela ne conduit en aucune manière à
nous désengager du devoir de construire cette histoire. À
ce propos, l'enseignement du Concile Vatican II demeure plus que jamais
actuel: « Par le message chrétien, les hommes ne sont pas
détournés de la construction du monde et ne sont pas poussés
à négliger le bien de leurs semblables, mais bien plutôt
ils sont liés de façon plus étroite par le devoir
d'uvrer dans ce sens ».36
Un signe concret
53. Pour donner un signe de cette
orientation de la charité et de la promotion humaine, qui s'enracinent
dans les exigences profondes de l'Évangile, j'ai voulu que l'Année
jubilaire elle-même, parmi les nombreux fruits de charité
qu'elle a déjà produits au cours de son déroulement
je pense en particulier à l'aide offerte à de nombreux
frères plus pauvres pour leur permettre de prendre part au Jubilé
, laisse aussi une uvre qui constituerait en quelque sorte
le fruit et le sceau de la charité jubilaire. Beaucoup de pèlerins
ont en effet, de différentes manières, versé leur
offrande et, avec eux, de nombreux acteurs économiques ont aussi
offert des soutiens généreux, qui ont servi à assurer
une réalisation convenable de l'événement jubilaire.
Une fois soldés les comptes des dépenses auxquelles il
a fallu faire face au cours de l'année, l'argent que l'on aura
pu épargner devra être destiné à des fins
caritatives. Il est en effet important que soit éloigné
d'un événement religieux aussi significatif toute apparence
de spéculation économique. Tout ce qui sera en surplus
servira à refaire aussi en cette circonstance l'expérience
vécue tant d'autres fois au cours de l'histoire depuis que, aux
débuts de l'Église, la communauté de Jérusalem
offrit aux non-chrétiens le spectacle émouvant d'un échange
spontané de dons, jusqu'à la communion des biens, en faveur
des plus pauvres (cf. Ac 2,44-45).
L'uvre qui sera réalisée
sera seulement un petit ruisseau, mais il rejoindra le grand fleuve
de la charité chrétienne qui traverse l'histoire. Ruisseau
petit mais significatif: le Jubilé a poussé le monde à
regarder vers Rome, vers l'Église « qui préside
à la charité »,37 et à apporter à
Pierre son offrande. Aujourd'hui, la charité qui s'est manifestée
au centre de la catholicité se retourne en quelque sorte vers
le monde, à travers ce signe qui veut demeurer comme le fruit
et le souvenir vivant de la communion dont on a fait l'expérience
à l'occasion du Jubilé.
Dialogue et mission
54. Un nouveau siècle, un
nouveau millénaire, s'ouvrent dans la lumière du Christ.
Mais tous ne voient pas cette lumière. Nous avons la mission
admirable et exigeante d'en être « le reflet ». C'est
le mysterium lunæ si cher à la contemplation des Pères
qui, par cette image, voulaient montrer la dépendance de l'Église
par rapport au Christ, Soleil dont elle reflète la lumière.38
C'était une manière d'exprimer ce que le Christ dit de
lui-même en se présentant comme « la lumière
du monde » (Jn 8,12) et en demandant à ses disciples d'être
à leur tour « la lumière du monde » (Mt 5,14).
C'est là une mission qui
nous fait frémir quand nous voyons la faiblesse qui si souvent
nous rend opaques et remplis d'ombres? Mais cette mission est possible
si, nous exposant à la lumière du Christ, nous savons
nous ouvrir à la grâce qui fait de nous des hommes nouveaux.
55. C'est dans cette perspective
que se pose aussi le grand défi du dialogue interreligieux, que
nous devrons encore affronter au cours du nouveau siècle, dans
la ligne indiquée par le Concile Vatican II.39 Au cours des années
préparatoires au grand Jubilé, l'Église a essayé,
notamment à travers des rencontres de portée hautement
symbolique, d'établir une relation d'ouverture et de dialogue
avec des responsables d'autres religions. Ce dialogue doit se poursuivre.
Dans un contexte de pluralisme culturel et religieux plus marqué,
tel qu'il est prévisible dans la société du nouveau
millénaire, un tel dialogue est important pour assurer aussi
les conditions de la paix et éloigner le spectre épouvantable
des guerres de religion qui ont ensanglanté tant de périodes
de l'histoire humaine. Le nom du Dieu unique doit devenir toujours plus
ce qu'il est, un nom de paix et un impératif de paix.
56. Mais le dialogue ne peut être
fondé sur l'indifférentisme religieux, et nous avons le
devoir, nous chrétiens, de le développer en offrant le
témoignage plénier de l'espérance qui est en nous
(cf. 1 P 3,15). Nous ne devons pas craindre que puisse être lésée
l'identité de l'autre par ce qui est en fait l'annonce joyeuse
d'un don offert à tous et qui doit être proposé
à tous dans le plus grand respect de la liberté de chacun:
le don de la révélation du Dieu-Amour qui « a tant
aimé le monde qu'il a donné son Fils unique » (Jn
3,16). Tout cela, comme la Déclaration Dominus Iesus l'a aussi
souligné récemment, ne peut faire l'objet d'une sorte
de négociation dialogique, comme s'il s'agissait pour nous d'une
simple opinion, alors que c'est pour nous une grâce qui nous remplit
de joie, c'est une nouvelle que nous avons le devoir d'annoncer.
L'Église ne peut donc se
soustraire à l'activité missionnaire envers les peuples,
et il n'en demeure pas moins que la tâche prioritaire de la missio
ad gentes est d'annoncer que c'est dans le Christ, « le Chemin,
la Vérité et la Vie » (Jn 14,6), que les hommes
trouvent le salut. Le dialogue interreligieux « ne peut pas simplement
remplacer l'annonce, mais reste orienté vers l'annonce ».40
D'autre part, le devoir missionnaire ne nous empêche pas d'entrer
dans le dialogue avec un cur profondément ouvert à
l'écoute. Nous savons en effet que, face au mystère de
la grâce infiniment riche de dimensions et d'implications pour
la vie et l'histoire de l'homme, l'Église elle-même ne
finira jamais d'approfondir sa recherche, en s'appuyant sur l'assistance
du Paraclet, l'Esprit de vérité (cf. Jn 14,17), qui doit
précisément la conduire à la « plénitude
de la vérité » (Jn 16,13).
Ce principe est à la base
non seulement de l'inépuisable approfondissement théologique
de la vérité chrétienne, mais aussi du dialogue
chrétien avec les philosophies, les cultures, les religions.
Souvent, l'Esprit de Dieu, qui « souffle où il veut »
(Jn 3,8), suscite dans l'expérience humaine universelle, en dépit
des nombreuses contradictions de cette dernière, des signes de
sa présence, qui aident les disciples mêmes du Christ à
comprendre plus profondément le message dont ils sont porteurs.
N'est-ce pas dans cette attitude d'ouverture humble et confiante que
le Concile Vatican II s'est attaché à « lire les
signes des temps »?41 Tout en se livrant soigneusement à
un discernement attentif pour recueillir les « signes véritables
de la présence ou du dessein de Dieu »,42 l'Église
reconnaît que, non seulement elle a donné, mais qu'elle
a aussi « reçu de l'histoire et de l'évolution du
genre humain ».43 Le Concile a aussi invité à adopter
à l'égard des autres religions cette attitude d'ouverture
et en même temps de discernement attentif. Il nous revient de
marcher fidèlement dans la ligne de cet enseignement.
Dans la lumière du Concile
57. Chers frères et surs,
quelles richesses le Concile Vatican II ne nous a-t-il pas données
dans ses orientations! C'est pourquoi, en préparation au grand
Jubilé, j'avais demandé que l'Église s'interroge
sur la réception du Concile.44 Cela a-t-il été
fait? Le Congrès qui a eu lieu au Vatican a été
un moment de cette réflexion, et je souhaite qu'il en ait été
de même, d'une manière ou d'une autre, dans toutes les
Églises particulières. À mesure que passent les
années, ces textes ne perdent rien de leur valeur ni de leur
éclat. Il est nécessaire qu'ils soient lus de manière
appropriée, qu'ils soient connus et assimilés, comme des
textes qualifiés et normatifs du Magistère, à l'intérieur
de la Tradition de l'Église. Alors que le Jubilé est achevé,
je sens plus que jamais le devoir d'indiquer le Concile comme la grande
grâce dont l'Église a bénéficié au
vingtième siècle: il nous offre une boussole fiable pour
nous orienter sur le chemin du siècle qui commence.
CONCLUSION
DUC IN ALTUM!
58. Allons de l'avant dans l'espérance!
Un nouveau millénaire s'ouvre devant l'Église comme un
vaste océan dans lequel s'aventurer, comptant sur le soutien
du Christ. Le Fils de Dieu, qui s'est incarné il y a deux mille
ans par amour pour les hommes, accomplit son uvre encore aujourd'hui:
nous devons avoir un regard pénétrant pour la voir, et
surtout nous devons avoir le cur large pour en devenir nous-mêmes
les artisans. N'est-ce pas pour reprendre contact avec cette source
vive de notre espérance que nous avons célébré
l'Année jubilaire? Maintenant le Christ, contemplé et
aimé, nous invite une nouvelle fois à nous mettre en marche:
« Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les
baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit »
(Mt 28,19). Ce commandement missionnaire nous introduit dans le troisième
millénaire et en même temps nous appelle au même
enthousiasme que celui qui a caractérisé les chrétiens
de la première heure: nous pouvons compter sur la force de l'Esprit
lui-même, qui a été répandu à la Pentecôte
et qui nous pousse aujourd'hui à reprendre la route, soutenus
par l'espérance « qui ne déçoit pas »
(Rm 5,5).
Au début de ce nouveau siècle,
notre marche doit être plus alerte en parcourant à nouveau
les routes du monde. Les routes sur lesquelles marche chacun de nous,
chacune de nos Églises, sont nombreuses, mais il n'y a pas de
distance entre ceux qui sont étroitement unis dans l'unique communion,
la communion qui chaque jour se nourrit à la table du Pain eucharistique
et de la Parole de Vie. Chaque dimanche est un peu comme un rendez-vous
au Cénacle que le Christ ressuscité nous redonne, là
où, le soir du « premier jour de la semaine » (Jn
20,19), il se présenta devant les siens pour « souffler
» sur eux le don vivifiant de l'Esprit et les lancer dans la grande
aventure de l'évangélisation.
La Vierge très sainte nous
accompagne sur ce chemin. C'est à elle qu'il y a quelques mois,
à Rome, avec de nombreux Évêques venus du monde
entier, j'ai confié le troisième millénaire. Bien
des fois, au cours des années passées, je l'ai présentée
et je l'ai invoquée comme l'« Étoile de la nouvelle
évangélisation ». Je la présente encore comme
aurore lumineuse et guide sûre pour notre chemin. Me faisant l'écho
de la voix même de Jésus (cf. Jn 19,26), je lui redis:
« Femme, voici tes enfants », et je lui présente
l'affection filiale de toute l'Église.
59. Chers Frères et Surs!
Le symbole de la Porte sainte se ferme derrière nous, mais c'est
pour laisser plus que jamais grande ouverte la porte vivante qu'est
le Christ. Après l'enthousiasme du Jubilé, nous ne retrouvons
pas la grisaille du quotidien. Au contraire, si notre pèlerinage
a été authentique, il nous a comme dérouillé
les jambes pour le chemin qui nous attend. Il nous faut imiter l'élan
de l'Apôtre Paul: « Je vais droit de l'avant, tendu de tout
mon être, et je cours vers le but, en vue du prix que Dieu nous
appelle à recevoir là-haut, dans le Christ Jésus
» (Ph 3,13-14). Et nous devons aussi imiter la contemplation de
Marie qui, après le pèlerinage vers la ville sainte de
Jérusalem, s'en retournait à la maison de Nazareth en
gardant fidèlement dans son cur le mystère de son
Fils (cf. Lc 2,51).
Puisse Jésus ressuscité,
lui qui fait route avec nous comme avec les disciples d'Emmaüs,
se laissant reconnaître « à la fraction du pain »
(Lc 24, 35), nous trouver vigilants et prêts à reconnaître
son visage pour courir vers nos frères et leur communiquer la
grande nouvelle: « Nous avons vu le Seigneur! » (Jn 20,25).
C'est là le fruit tant désiré
du Jubilé de l'An 2000, Jubilé qui a vivement remis sous
nos yeux le mystère de Jésus de Nazareth, Fils de Dieu
et Rédempteur de l'homme.
Au moment où ce Jubilé
se conclut pour nous ouvrir à un avenir d'espérance, que
s'élèvent vers le Père, par le Christ, dans l'Esprit
Saint, la louange et l'action de grâce de toute l'Église!
Avec ce souhait, j'envoie à
tous, du fond du cur, ma Bénédiction.
Du Vatican, le 6 janvier 2001,
solennité de l'Épiphanie du Seigneur, en la vingt-troisième
année de mon pontificat.
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(1) Conc. cum. Vat. II, Décret
sur la charge pastorale des évêques dans l'Église
Christus Dominus, n. 11.
(2) Bulle Incarnationis mysterium
(29 novembre 1998), n. 3: AAS 91 (1999), p. 132; La Documentation catholique
95 (1998), p. 1052.
(3) Ibid., n. 4: l.c., p. 133;
La Documentation catholique, l.c., p. 1053.
(4) Conc. cum. Vat. II, Const.
dogm. sur l'Église Lumen gentium, n. 8.
(5) La Cité de Dieu, XVIII,
51, 2: PL 41, 614; cf. Conc. cum. Vat. II, Const. dogm. sur l'Église
Lumen gentium, n. 8.
(6) Cf. Jean-Paul II, Lettre apost.
Tertio millennio adveniente (10 novembre 1994), n. 55: AAS 87 (1995),
p. 38; La Documentation catholique 91 (1994), p. 1031.
(7) Cf. Conc. cum. Vat. II,
Const. dogm. sur l'Église Lumen gentium, n. 1.
(8) « Ignoratio enim Scripturarum
ignoratio Christi est »: Comm. in Is., Prol.: PL 24, 17.
(9) Cf. Conc. cum. Vat. II,
Const. dogm. sur la Révélation divine Dei Verbum, n. 19.
(10) « À la suite
des saints Pères, nous enseignons donc tous unanimement à
confesser un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus Christ,
le même parfait en divinité et parfait en humanité,
le même vraiment Dieu et vraiment homme [...]. Un seul et même
Christ Seigneur, Fils unique, que nous devons reconnaître en deux
natures, sans confusion, sans changement, sans division, sans séparation.
[...] Il n'est ni partagé ni divisé en deux personnes,
mais il est un seul et même Fils unique, Dieu Verbe, Seigneur
Jésus Christ »: Conc. cum. de Chalcédoine,
DS 301-302; La Foi catholique, n. 313.
(11) Conc. cum. Vat. II,
Const. past. sur l'Église dans le monde de ce temps Gaudium et
spes, n. 22.
(12) Saint Athanase observe à
ce propos: « L'homme n'aurait pas pu être divinisé
tout en restant uni à une créature si le Christ n'avait
pas été vrai Dieu », Discours II contre les Ariens
70: PG 26, 425B-426G.
(13) N. 78.
(14) Derniers entretiens. Le carnet
jaune, 6 juillet 1897: Êuvres complètes, Paris 1996, p.
1025.
(15) S. Cyprien, De Orat. Dom.
23: PL 4, 553; cf. Lumen gentium, n. 4.
(16) Conc. cum. Vat. II,
Const. dogm. sur l'Église Lumen gentium, n. 40.
(17) Cf. Conc. cum. Vat.
II, Const. sur la sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium, n. 10.
(18) Cf. Congr. pour la Doctrine
de la Foi, Lettre sur quelques aspects de la méditation chrétienne
Orationis formas (15 octobre 1989): AAS 82 (1990), pp. 362-379; La Documentation
catholique 87 (1990), pp. 16-23.
(19) Conc. cum. Vat. II,
Const. sur la sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium, n. 10.
(20) Jean-Paul II, Lettre apostolique
Dies Domini (31 mai 1998), n. 19: AAS 90 (1998), p. 724; La Documentation
catholique 95 (1998), p. 663.
(21) Ibid., n. 2: l.c., p. 714;
La Documentation catholique, l.c., p. 658.
(22) Cf. ibid., n. 35: l.c., p.
734; La Documentation catholique, l.c., p. 667.
(23) N. 18: AAS 77 (1985), p. 224;
La Documentation catholique 82 (1985), p. 12.
(24) Ibid., n. 31: l.c., p. 258;
La Documentation catholique, l.c., p. 22.
(25) Tertullien, Apologie, 50,
13: PL 1, 534.
(26) Conc. cum. Vat. II,
Const. dogm. sur l'Église Lumen gentium, n. 1.
(27) Ms B, 3vo: Thérèse
de Lisieux, Êuvres complètes, Paris 1996, p. 226.
(28) Cf. Conc. cum. Vat.
II, Const. dogm. sur l'Église Lumen gentium, chap. III.
(29) Cf. Congr. pour le Clergé
et autres, Instruction interdicastérielle sur quelques questions
concernant la collaboration des fidèles laïcs au ministère
des prêtres Ecclesiæ de mysterio (15 août 1997): AAS
89 (1997), pp. 852-877, spécialement art. 5: « Les organismes
de collaboration dans l'Église particulière »; La
Documentation catholique, 94 (1997), pp. 1009-1020.
(30) Règle III, 3: «
Ideo autem omnes ad consilium vocari diximus, quia sæpe iuniori
Dominus revelat quod melius est ».
(31) « De omnium fidelium
ore pendeamus, quia in omnem fidelem Spiritus Dei spirat »: Lettre
23, 36 à Sulpice Sévère: CSEL 29, 193.
(32) Conc. cum. Vat. II,
Const. dogm. sur l'Église Lumen gentium, n. 31.
(33) Conc. cum. Vat. II,
Décret sur l'apostolat des laïcs Apostolicam actuositatem,
n. 2.
(34) Cf. Conc. cum. Vat.
II, Const. dogm. sur l'Église Lumen gentium, n. 8.
(35) Conc. cum. Vat. II,
Const. past. sur l'Église dans le monde de ce temps Gaudium et
spes, n. 22.
(36) Const. past. sur l'Église
dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 34.
(37) S. Ignace d'Antioche, Lettre
aux Romains, Intr., éd. Funk, I, 252.
(38) Ainsi par exemple S. Augustin:
« Luna intelligitur Ecclesia, quod suum lumen non habeat, sed
ab Unigenito Dei Filio, qui multis locis in Sanctis Scripturis allegorice
sol appellatus est »: Enarr. in Ps. 10, 3: CCL 38, 42.
(39) Cf. Déclaration sur
les relations de l'Église avec les religions non chrétiennes
Nostra ætate.
(40) Congr. pour l'Évangélisation
des Peuples et Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, Instruction
sur l'annonce de l'Évangile et le dialogue interreligieux Dialogue
et annonce (19 mai 1991), n. 82: AAS 84 (1992), p. 444; La Documentation
catholique 88 (1991), p. 888.
(41) Const. past. sur l'Église
dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 4.
(42) Ibid., n. 11.
(43) Ibid., n. 44.
(44) Cf. Lettre apost. Tertio millennio
adveniente (10 novembre 1994), n. 36: AAS 87 (1995), p. 28; La Documentation
catholique 92 (1995), p. 1026.