Les communautés nouvelles, une chance pour l’Eglise


Michel Santier
évêque de Luçon, président du Comité épiscopal
pour le Renouveau et les mouvements d’animation spirituelle

La revue Jeunes et Vocations m’a demandé de répondre à quelques questions, que vous découvrirez en lisant cet article. Ce qui m’a permis d’y répondre est l’expérience vécue au sein d’une communauté nouvelle, Réjouis-Toi, tout en restant profondément enraciné dans mon Eglise diocésaine à Coutances. Il faut ajouter la responsabilité pendant huit années de la coordination de l’Instance de Communion du Renouveau charismatique en France en lien avec la Conférence des évêques. Cette responsabilité m’a fait entrer en relation fraternelle avec les responsables et les membres des communautés nouvelles issues du courant du Renouveau. Cette relation de confiance tissée au long des années me permet aujourd’hui d’exercer la responsabilité de Président du Comité épiscopal pour le Renouveau qui m’a été confiée à la dernière assemblée de novembre 2003 par mes frères évêques. Puisse cette modeste contribution aider à faire percevoir l’apport des communautés nouvelles dans l’Eglise de France.

Ce qui nous a amenés à fonder
la communauté “Réjouis-Toi”

Une communauté ne démarre pas comme une association où les membres se rassemblent autour d’un but commun pour une action commune. Une communauté naît d’un appel, un appel de Dieu médiatisé par sa Parole et l’Evangile du Christ. Lors d’une expérience spirituelle vécue dans le Renouveau, ce qu’on appelle l’effusion de l’Esprit, le 7 décembre 1973, la Parole de Dieu proclamée lors de la célébration de l’Eucharistie, l’Evangile de l’Annonciation, et dans la prière des frères : « Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur, je le répète, réjouissez-vous » (Ph 4, 4) a suscité en moi unemotion forte de l’Esprit Saint et a ouvert un chemin de foi dans ma vie.
Cet appel à la joie s’est conjugué avec un appel à devenir serviteur comme Jésus, dans la proclamation de l’hymne aux Philippiens (Ph 2, 6-11) accompagné d’une prise de parole d’une religieuse participant à la prière : « Tu seras témoin de ma joie, si tu acceptes d’être serviteur dans mon Eglise. »
Cette expérience vécue au cours de mes études bibliques, je ne m’attendais pas qu’elle soit une source fécondante pour mon ministère de prêtre puis d’évêque. La rencontre à Coutances, dans un groupe de prière, de plusieurs personnes vivant cette même expérience du Renouveau, nous a conduits à vivre des relations de plus en plus fraternelles qui nous faisaient désirer à l’époque une autre manière de vivre en Eglise, moins anonyme, plus vivante, plus ressourçante, plus missionnaire. Une parole entendue lors d’un voyage aux Etats-Unis en 1977 a été déterminante : « Une communauté naît quand des frères se donnent au Seigneur et les uns aux autres. »

Nous l’avons vécue à cinq personnes le 5 novembre 1977 à la suite d’une journée de retraite. Nous avons accueilli des passages de la Parole de Dieu que nous avons priés et médités ensemble et qui deviendront les bases de la charte de la communauté Réjouis-Toi : « Jésus a donné sa vie pour nous, de même nous devons donner notre vie pour nos frères » (1Jn 3, 16). Nous nous sommes engagés ce jour-là devant le Seigneur et les uns devant les autres à vivre cette charte, pour une année. Nous n’avions pas l’idée de fonder une communauté, mais simplement le désir de vivre une vie fraternelle au service du groupe de prière et au service de l’évangélisation dans l’Eglise diocésaine. Nous nous sentions appelés particulièrement auprès des jeunes pour les soutenir et les accompagner sur le chemin de foi et prier pour les vocations.
J’ai modifié la question qui m’était posée en disant « ce qui nous a amenés à fonder la communauté Réjouis-Toi » et non « ce qui m’a amené à fonder la communauté Réjouis-Toi ». Nous n’avons pas voulu fonder quoi que ce soit, mais ressenti un appel à vivre la vie fraternelle, appel qui a été reconnu par l’Eglise diocésaine de Coutances, par son évêque, appel qui a été fécond puisque maintenant la communauté est présente dans dix-sept diocèses en France, et que de nombreuses vocations sont nées à partir de la communauté. Le charisme de fondation, s’il existe, n’est pas lié à une personne mais à une grâce de vie fraternelle vécue autour du Christ. La tendance est de focaliser sur une personne ou un couple, ce qui par la suite crée des tensions au sein des communautés.

Qu’apportent les communautés
dans le paysage ecclésial aujourd’hui ?

Comme j’ai vécu l’expérience du Renouveau et l’expérience de la communauté Réjouis-Toi, je porte sur elles un regard pastoral bienveillant, en tenant compte de ce conseil de Paul pour le discernement « Retenez ce qui est bon » (1 Th 5, 21). Si elles ont un impact dans la société et dans l’Eglise aujourd’hui, selon le fondateur de l’Arche, Jean Vanier, c’est parce qu’elles révèlent la gratuité dans une société de droit.
Récemment, Jean-Paul II, dans un discours sur la vie consacréeadressé aux évêques de France et à tous les catholiques lors de la visite ad limina des évêques de la province de Marseille (cf. p. 123) disait : « les communautés religieuses nouvelles sont une chance pour l’Eglise. » Comme beaucoup de communautés nouvelles ou de communautés religieuses nouvelles comportent la vie consacrée, cette phrase peut concerner aussi les communautés nouvelles issues du Renouveau.
« Les nouvelles communautés, dit Jean-Paul II, donnent incontestablement un élan nouveau à la vie consacrée comme à la mission pastorale dans les diocèses. Elles ont une audace qui manque parfois aux instituts qui existent depuis plus longue date. Elles contribuent à renouveler la vie communautaire, la vie liturgique, et l’engagement dans l’évangélisation dans de nombreux domaines. Une telle situation est sans doute comparable à ce qu’ont dû connaître saint Dominique et saint François. »

Un renouveau

L’affirmation du Pape s’appuie donc sur une observation, une réflexion historique et vient comme le fruit d’un discernement. Il est très intéressant que le Pape relie le « renouveau communautaire actuel », qu’il soit du Renouveau charismatique ou d’autres courants, à l’histoire des réveils spirituels ou évangéliques qui jalonnent l’histoire de l’Eglise, notamment le renouveau franciscain ou dominicain.
Ces deux renouveaux se démarquaient de la vie monastique, tout en maintenant la vie communautaire ; l’un et l’autre appelaient à leur époque à un retour évangélique, à la renonciation pour l’Eglise, pour les communautés, à posséder des biens ; ils sont marqués par une prédication simple, missionnaire, de type kérygmatique, appelant à la conversion, avec une audace que rien n’arrête. Nous retrou­vons ces caractéristiques plus ou moins dans les différentes communautés nouvelles, avec quelques attentions différentes.

Une vie communautaire

Par rapport à ces communautés du XIIIe siècle, elles rassemblent dans une même charte ou un même lieu d’habitation des baptisés aux vocations différentes (foyers, célibataires, consacrés, diacres et prêtres) et complémentaires. Ce trait a souvent fait choc par rapport à la culture contemporaine où l’affirmation d’une conviction religieuse qui sort de l’habituel est considérée comme sectaire, ou soupçonnée de sectarisme. Mais cette caractéristique est à protéger et conserver, car elle est justement le terrain privilégié de floraison de vocations diverses et variées.

Une prédication prophétique, populaire et audacieuse

Elles est vécue avec différentes nuances dans les communautésactuelles : la prédication non pas d’une personne isolée, mais d’une personne enracinée dans une grâce communautaire. Les rassemblements où se manifeste visiblement la complémentarité de ces vocations et de ces charismes sont le lieu privilégié d’une annonce de la parole qui est en lien avec la prière, le partage de vie des participants, l’Eucharistie, la communion fraternelle. Cette manifestation est à rapprocher des sommaires des Actes des Apôtres (Ac 2, 42-46) et du succès des catéchèses lors des Journées Mondiales de la Jeunesse à Paris, Rome ou Toronto.
Dans la société, les différents secteurs sont souvent séparés, et on aboutit à des spécialisations très pointues mais qui ne voient l’homme que du seul point de vue spécialisé (cf. la médecine). Dans l’Eglise, ces dernières décennies, on vivait une séparation entre les différentes vocations, et les différentes composantes de la vie chrétienne : formation intellectuelle, célébration, vie fraternelle, et engagement. Les nouvelles communautés, de ce point de vue, vivent les composantes de la vie chrétienne de manière plus unifiée et plus articulée et c’est un service qu’elles rendent à toute l’Eglise.

Un radicalisme évangélique

Certaines communautés du Renouveau et d’autres, par rapport à l’opulence de la société de consommation, vivent concrètement une vie simple et pauvre, qui les rend plus vulnérables et plus sensibles à ceux qui souffrent, ceux qui sont démunis. Ils les accueillent comme frères et sœurs au sein de leur communauté : l’Arche, le Pain de Vie, ou d’une autre manière dans d’autres communautés. Toutes sont présentes ou presque dans des pays pauvres en Amérique latine, en Afrique, en Asie, tenant des hôpitaux, centres de soins, dispensaires. Elles sont aussi très sensibles au fait que la plus grande pauvreté n’est pas matérielle, mais manque de considération, de respect, de dignité, pauvreté spirituelle.

Renouveler le tissu ecclésial

Elles contribuent à renouveler la vie communautaire, le tissu communautaire ecclésial, dans une société où l’Eglise en monde rural perd de la visibilité, et où en ville les populations vivent dans l’anonymat et plongent dans la solitude et l’ennui. Les jeunes, avec internet, communiquent par réseaux, s’invitent mutuellement pour des « rave party », cela marche aussi pour des rassemblements. Mais s’ils vivent ensemble des émotions fortes les uns à côté des autres, créent-ils entre eux une véritable fraternité ou s’enferment-ils à quelques-uns dans des niches ? Ces communautés vivent comme les autres communautés de vie consacrée ce que le pape Jean-Paul II disait dans Vita consecrata, au n° 42 : « Dans la vie communautaire, on doit pouvoir, en quelque sorte, saisir que la communion fraternelle, avant d’être un moyen, pour une mission déterminée, est un lieu théologal où on peut faire l’expérience de la présence mystique du Seigneur ressuscité (Mt 18, 20). »

Bien d’autres aspects seraient à souligner, mais tout ne peut être dit dans le cadre de cet article. La grâce du Renouveau dans ces communautés a un rapport avec ce qui est fondamental dans la vie de l’Eglise, elle contribue au renouveau de l’initiation chrétienne et de la liturgie, à la redécouverte du sacrement de l’Eucharistie, de l’adoration eucharistique et du sacrement du Pardon. Elle participe au renouveau œcuménique, à l’évangélisation dans les paroisses, à l’éclosion de nouvelles vocations.

Conclusion

Mais cette grâce ne peut se déployer pleinement que si les communautés sont vigilantes sur deux points : la distinction entre conversion et vocation, la distinction entre le for interne et le for externe.

Distinguer conversion et vocation

L’audace dans l’appel aux vocations est nécessaire aujourd’hui tout en sachant que c’est le témoignage de la vie fraternelle entre les différentes vocations qui se soutiennent les unes les autres qui est le plus fécond.
Mais il est nécessaire de demeurer vigilants pour l’entrée des candidats jeunes, qui vivent des engagements très rapidement et qui, 10-15 ans après, se réveillent. Les crises, dans les vocations, sont inévitables dans la vie de chacun. Il est nécessaire ici pour ne pas culpabiliser trop vite, de se faire aider, comme le dit le Pape, par des personnes compétentes dans les voies de la vie spirituelle ; c’est une chance que l’Eglise offre, vu sa longue expérience de sagesse.
Je le partageais récemment à une session des bergers des Béatitudes : il est nécessaire de distinguer conversion et vocation. Une rencontre personnelle, une expérience du Christ vivant, conduit à un changement de vie radical. Les jeunes croient qu’ils sont maintenant appelés à tout lâcher, tout quitter pour suivre le Christ. Il est important d’accueillir ces jeunes au sein des communautés pour qu’ils vivent une authentique vie de prière, une relation avec le Christ enracinée dans la Parole de Dieu, la vie fraternelle, les sacrements, une formation biblique, théologique et spirituelle. Mais avoir à leur égard une attitude de gratuité pour leur laisser le temps de discerner leur vocation spécifique. Cela demande plusieurs années.

Distinguer for interne et for externe

Une vigilance est essentielle : la distinction du for interne et du for externe. Par exemple, celui qui, dans la communauté, demande à un foyer de quitter une maison pour une autre au service de la mission, ne peut pas être en même temps celui qui écoute les combats intérieurs que cet appel suscite, les tensions dans le couple, avec les enfants, sinon le couple ne sera plus libre, il sera culpabilisé par rapport à celui qui fait la démarche ; un espace est nécessaire.
Mon écoute récente de certains membres d’une communauté qui, au départ, s’étaient ouverts de leurs difficultés au responsable lequel les a malgré tout encouragés à s’engager et former des vœux, me fait, encore plus qu’avant, insister sur cette distinction. Pendant un certain temps, ils ont sublimé ces difficultés : elles se réveillent plusieurs années après, sans qu’il y ait eu proposition d’accompagnement psychologique de chacun, ou de guérison intérieure spirituelle. L’institution en Eglise est au service des libertés.

Dans la tradition monastique, le Père Abbé a une responsabilité d’accompagnement vis-à-vis de ses frères qui lui ouvrent leur cœur sur le cheminement spirituel à certaines conditions, mais il n’est pas confesseur des frères, et il ne doit pas être le maître des novices. Des distinctions existent.
La vigilance sur ces deux distinctions traditionnelles dans la vie de l’Eglise permettra aux communautés de traverser des crises de croissance et de porter du fruit à long terme pour la vie de l’Eglise.