"Vous êtes la lumière du monde"


Les 1er et 2 mai derniers, a eu lieu à Epinal (Vosges), un grand rassemblement de 2 000 personnes venues des groupes de prière et des communautés charismatiques d’Alsace, Lorraine et Franche-Comté.

Parmi les participants, des membres de la Fraternité Pentecôte (groupes de prière de la mouvance charismatique : il y en a deux cents dans l’Est) et des membres de huit communautés charismatiques : le Puits de Jacob (de spiritualité ignatienne, basé à Strasbourg), la communauté des Béatitudes (qui regroupe tous les états de vie), l’Emmanuel, le Chemin Neuf (vocation œcuménique), la Famille Saint-Joseph (des consacrés qui vivent selon une règle monastique), Fondacio, le Verbe de Vie et les Apôtres de la Paix.
Le thème de la rencontre était : « Jésus, lumière aujour­d’hui » qui fut décliné sous toutes ses formes : chants, prières, témoignages et enseignements. Nous remercions le Père Bernard Bastian, prêtre du diocèse de Strasbourg et modérateur de la communauté du Puits de Jacob, qui nous a donné le texte de son intervention.

Bernard Bastian
prêtre du diocèse de Strasbourg,
modérateur de la communauté du Puits de Jacob

“Je suis la lumière du monde”

A quelle occasion Jésus a-t-il prononcé ces paroles ? Jésus vient de sauver la vie à la femme adultère. On a failli tuer cette femme à cause de son péché. Jésus vient de la sauver à cause de sa miséricorde. D’un côté une religion qui tue et punit, de l’autre une relation qui libère et fait vivre. D’un côté un jugement qui enferme le pécheur dans son péché, de l’autre un jugement qui justifie l’injuste. D’un côté une Loi qui prescrit la mort, de l’autre la Parole qui donne la Vie : « La loi écrite donne la mort, mais l’Esprit donne la vie » (2 Co 3, 6).
Peut-être cette femme venait-t-elle de prier dans son cœur les paroles du psaume 26 (1-3) : « Yahvé est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ? Yahvé est le rempart de ma vie, devant qui tremblerais-je ? Quand s’avancent contre moi les méchants pour dévorer ma chair, ce sont eux, mes ennemis, mes oppresseurs, qui chancellent et succombent. Qu’une armée vienne camper contre moi, mon cœur est sans crainte ; qu’une guerre éclate contre moi, j’ai là ma confiance. »

Quel éblouissement, alors, d’entendre son sauveur providentiel déclarer à la foule des curieux : « Je suis la lumière du monde. Celui qui vient à ma suite ne marchera pas dans les ténèbres ; il aura la lumière qui donne la vie » (Jn 8,12). S’est-elle souvenue alors des paroles du prophète Isaïe sur le Serviteur de Yahvé ? « Moi, Yahvé, je t’ai appelé dans la justice, je t’ai saisi par la main, et je t’ai modelé, j’ai fait de toi l’alliance du peuple, la lumière des nations, pour ouvrir les yeux des aveugles, pour extraire du cachot le prisonnier, et de la prison ceux qui habitent les ténèbres » (Is 42, 6-7).
Il ne fait pas de doute que, pour cette femme qui il y a un instant encore, était condamnée et maintenant se trouve libérée, ce moment restera pour toujours un flash de lumière dans son histoire. Avant même de le connaître personnellement, elle a expérimenté en sa chair qu’en cet homme si bon et si lumineux « était la vie, et la vie était la lumière des hommes » (Jn 1, 4). Quand Jésus a dit : « Je Suis la lumière du monde », il venait de donner la vie. Car il est la lumière qui donne la vie. Il est la lumière qui sauve. « Ma lumière et mon salut, c’est le Seigneur ! » Mais d’où Jésus tient-il sa lumière ?

La lumière d’un amour

La suite du texte est très claire là-dessus. Choqués de voir cet homme s’attribuer ni plus ni moins les paroles d’Isaïe à propos du Serviteur de Yahvé, les pharisiens lui demandent des comptes : « Alors les Pharisiens lui disent : “Tu es témoin pour toi-même, donc, ce que tu dis n’est pas valable !” Jésus leur répond : “Oui, je suis témoin pour moi-même, mais ce que je dis est vrai. En effet, je sais d’où je suis venu, et je sais où je vais. Mais vous, vous ne savez pas d’où je viens, et vous ne savez pas où je vais. Vous jugez à la manière humaine. Moi, je ne juge personne, et même quand je juge, mon jugement est juste. En effet, je ne suis pas seul pour juger, je suis avec le Père qui m’a envoyé. Dans votre loi, on lit : Quand deux témoins disent la même chose, on doit croire ce qu’ils disent. Je suis témoin pour moi-même, et le Père qui m’a envoyé est aussi mon témoin” » (Jn 8, 13-18).

Jésus dit qu’il ne juge pas à la manière humaine. C’est donc que les scribes et les pharisiens, qui prétendent juger au nom de la Loi de Dieu donnée à Moïse, sont dans l’erreur la plus complète ! Leur jugement qu’ils croient « religieux », en fait est un jugement « selon la chair », un jugement purement humain ! Quelle est donc leur erreur ? D’où provient leur aveuglement ?
Jésus leur révèle que si son jugement à lui est juste - c’est cela qui le rend lumineux - c’est parce qu’il n’est pas seul pour juger, c’est parce qu’il est « avec le Père », celui-là même qui l’a envoyé chez « les siens », non « pas pour condamner le monde, mais pour le sauver » (Jn 3, 17). Plus encore : il affirme que c’est pour sauver son jugement que le Christ a été envoyé en Israël ! Israël ne sait plus juger qu’à la manière humaine ! La Loi de Moïse a été défigurée et réduite à des préceptes humains qui plus est finissent par déshumaniser au lieu de sauver. Devenue un « écrit », un « livre », la Loi n’est plus d’abord « Parole » de Dieu. Elle n’est plus cette relation pédagogique inventée par Dieu pour conduire ses enfants à la sainteté (« Soyez saints, car moi, Je Suis Saint »). Sans l’Esprit Saint qui seul lui donne vie, non seulement la Loi de Moïse est devenue lettre morte, mais elle donne la mort. Jésus reproche vivement cela aux Juifs quand il leur déclare qu’en faisant de la Loi un recueil de préceptes pour juger les hommes ils font le jeu du diable qui, lui, est « tueur d’hommes depuis le commencement » (Jn 8, 44).

Voici que Jésus rappelle aux spécialistes de la Loi et aux gardiens de l’ordre religieux que la Loi a un auteur, « le Père qui l’a envoyé », que cet auteur est toujours vivant, qu’il parle à Jésus, qu’il lui dit ce qu’il doit dire et lui montre ce qu’il doit faire ! Quant à eux, « ils ne comprennent pas qu’il leur parle du Père » (Jn 8, 27). Même si ses auditeurs ne comprennent pas ses paroles, Jésus tient à leur révéler à quelle condition la Loi de Dieu reste fidèle à sa vocation de Source de Vie. Pour ce faire, il se désigne comme « le Fils » et se met à leur parler de son Père, de la relation d’étroite intimité qu’il entretient avec lui en toute occasion : « Alors Jésus leur dit : “Quand vous placerez le Fils de l’homme en haut, vous saurez que moi, Je suis. Vous saurez que je ne fais rien par moi-même, mais je dis ce que le Père m’a enseigné. Celui qui m’a envoyé est avec moi. Il ne m’a pas laissé seul parce que je fais toujours ce qui lui plaît” » (Jn 8, 28-29).
Auparavant, il avait dévoilé jusqu’où allait sa dépendance filiale au Père : « Oui, je vous le dis, c’est la vérité, le Fils ne peut décider lui-même ce qu’il doit faire. Il voit ce que le Père fait et il fait seulement cela. Ce que le Père fait, le Fils le fait aussi. Le Père aime le Fils et il lui montre tout ce qu’il fait. Il lui montrera des actions encore plus grandes, et vous serez très étonnés. [...] Le Père possède la vie, le Fils aussi possède la vie. C’est le Père qui lui a donné cela. Et il a donné au Fils le pouvoir de juger, parce qu’il est le Fils de l’homme. [...] Je ne peux rien faire par moi-même. Je juge d’après ce que le Père me dit, et mon jugement est juste. En effet, je ne cherche pas à faire ce que je veux, mais à faire la volonté de celui qui m’a envoyé » (Jn 5,19-20.26-27.30).
Si les jugements et les actes de Jésus sont des jugements et des actes d’amour et de lumière, c’est parce qu’ils s’originent dans un amour. Jésus aime et se sait aimé. Cette relation d’amour entre lui et son Père est tellement fondamentale pour lui qu’il ne peut s’empêcher d’en témoigner : « J’aime le Père ! » (Jn 14, 31) ; « Le Père m’aime ! » (Jn 10, 17). Ne dit-on pas d’une personne qui aime ou qui est aimée qu’elle en devient lumineuse ?

Jésus vit constamment dans la conscience de l’amour du Père et dans la certitude que le Père est fidèle et se donne à lui en lui « donnant l’Esprit sans mesure » (cf. Jn 3, 34). Là où est Jésus, là est la Trinité. Car toujours et partout, comme l’a dit saint Augustin, « ils sont trois : l’Aimant, l’Aimé, et l’Amour » (De Trinitate 8, 14). C’est de cette unité d’amour avec le Père dans l’Esprit que Jésus veut témoigner en toutes circonstances, afin que tous en fassent l’expérience : « Qu’ils soient un comme nous sommes un, moi en eux comme toi en moi, pour qu’ils parviennent à l’unité parfaite et qu’ainsi le monde sache que tu les as aimés comme tu m’as aimé » (Jn 17, 22-23).
Dans cette prière de Jésus éclate son vif désir de voir les hommes et les femmes du monde entier devenir comme lui des enfants de Dieu, des intimes du Père, des « aimés-aimants » dans l’Esprit. Des hommes et des femmes pour qui Dieu ne sera plus seulement « Dieu », le « Transcendant », le « Tout-Autre », « l’Au-delà de tout », voire « l’Absent », mais le Pèrefidèle et tendre !
Ce qui fait que la foi chrétienne est lumière des nations, lumière du monde, c’est que son Dieu est Père, Fils et Saint Esprit, c’est-à-dire qu’il est personnel et relationnel. En fidélité à Jésus, il faut donc témoigner haut et fort que le christianisme n’est pas d’abord une religion du Livre, mais une religion du Dieu le plus personnel et le plus relationnel qui soit : c’est en cela que Dieu est Amour, c’est ainsi qu’il est Lumière.

Vous êtes la lumière du monde

Devenir les fils de la lumière que nous sommes

C’est vrai, aussi étonnant que cela paraisse, Jésus a bien prononcé ces paroles : « Vous êtes la lumière du monde. Que votre lumière luise devant les hommes » (Mt 5, 14.16).
L’apôtre Paul les a bien entendues, les redisant avec ses mots : « Tous vous êtes des fils de la lumière, des fils du jour » (1 Th 5, 5). « Maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur » (Ep 5, 8).
L’un et l’autre l’affirment : vous êtes lumière, fils de la lumière...
Comment pouvons-nous devenir ce que nous sommes, ou le devenir davantage encore ? Saint Jean nous ouvre une piste dès le prologuede son Evangile : « Le Verbe était la vraie lumière qui, en venant dans le monde, illumine tout homme. [...] A ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jn 1, 9.12 TOB).
Par la foi dans le Verbe de Dieu qui est la vraie lumière, nous avons le pouvoir de devenir enfants de Dieu et fils de la Lumière ! En recevant dans notre cœur le Verbe de Dieu, nous recevons le pouvoir de connaître à notre tour la Tendresse et la Bonté infinies du Père.

Rappelons-nous : après sa Résurrection et avant son Ascension, Jésus apparaît à Marie-Madeleine. Alors que celle-ci veut se jeter à ses pieds et les couvrir de baisers, tout à la joie de retrouver son bien-aimé, Jésus lui délivre un message radicalement neuf : « Jésus lui dit : “Ne me retiens pas ! En effet, je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va trouver mes frères et dis-leur de ma part : Je monte vers mon Père. Il est aussi votre Père. Je monte vers mon Dieu. Il est aussi votre Dieu” » (Jn 20,17 PdV).
Jésus ressuscité entend rappeler d’abord que « le » Père est d’abord « son » Père, dont il est d’ailleurs lui-même « le Fils unique » (« l’Unique-Engendré »). Mais la grande nouveauté, c’est que Jésus partage désormais sa filiation au Père avec ses disciples - « il est aussi votre Père » -, disciples qu’il appelle, pour la première fois en Jean, « mes frères ». Ce faisant, il confère à ses disciples une qualité filiale qu’ils ne connaissaient pas jusque là et qui va tisser entre eux et en lui une fraternité nouvelle : « En effet, ceux que Dieu a choisis d’avance, il a aussi décidé d’avance de les faire ressembler à son Fils, afin qu’il soit l’aîné d’une multitude de frères » (Rm 8, 29).
Désormais, tous ceux qui s’attachent au Christ par la foi peuvent connaître et éprouver en eux la Paternité d’Amour de Dieu. Autrement dit, ce qu’est Jésus par nature, Fils du Père, nous le devenons par grâce.
Pour tenter d’expliquer ce qu’est la filiation par grâce, saint Paul parlera de « filiation adoptive », en référence au droit romain. Car sous l’empire romain, l’acte d’adoption faisait de l’enfant un membre à part entière de la famille et lui conférait un droit à l’héritage équivalent à celui de l’enfant légitime. C’est ainsi qu’il écrit ces paroles magnifiques : « En effet, tous ceux qu’anime l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu. Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte ; vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba ! Père ! L’Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu. Enfants, et donc héritiers ; héritiers de Dieu, et cohéritiers du Christ » (Rm 8, 14-17 BJ).
Plutôt que de parler d’« Esprit d’adoption » (L. Segond) ou de « filiation adoptive » (BJ), selon le langage attribué à saint Paul, car elle connote pour nous une filiation de moindre valeur, plusieurs biblistes proposent l’expression « filiation participée ». Si nous sommes fils du Père, c’est par participation à la filiation du Fils Unique. Nous sommes de véritables « fils dans le Fils (1) ». C’est pourquoi il serait plus conforme au sens du texte de Rm 8, 14-15 de le lire dans une autre traduction : « En effet, tous ceux que l’Esprit de Dieu conduit sont enfants de Dieu. Et l’Esprit que vous avez reçu ne fait pas de vous des esclaves qui ont encore peur, mais il fait de vous des enfants de Dieu. Et par cet Esprit, nous crions vers Dieu en lui disant : “Abba ! Père !” » (PdV).
N’est-ce pas ce qu’écrit aussi saint Jean ? « Voyez quelle manifestation d’amour le Père nous a donnée pour que nous soyons appelés enfants de Dieu. Et nous le sommes ! Si le monde ne nous connaît pas, c’est qu’il ne l’a pas connu. Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté » (1 Jn 3, 1-2).

On le voit, être chrétien ne consiste pas à croire des vérités, même des vérités aussi vraies que celles-ci : que Dieu existe, que Jésus est Fils de Dieu et Dieu lui-même. Etre chrétien, c’est d’abord et avant tout connaître personnellement l’amour du Père, et le connaître d’une connaissance de jubilation. C’est savoir avec certitude que nous sommes les fils et les filles bien-aimés du Père. Car ce sont les enfants bien-aimés de Dieu qui sont enfants de lumière au cœur du monde. Il y a donc une condition sine qua non pour devenir lumière du monde : c’est d’entrer dans l’intimité d’une relation d’amour, de confiance et d’obéissance avec le Père. Car nous ne serons jamais lumineux que du « je t’aime » qui nous habite : « Si quelqu’un m’aime, il obéira à mes paroles. Mon Père l’aimera, nous irons à lui et nous habiterons chez lui » (Jn 14, 23 PDV).

Ici, il faut dire deux mots de notre prière personnelle. Nous le savons, il est difficile de durer dans la prière. Souvent, nous ne savons pas comment prier. Les disciples eux-mêmes, désireux de connaître le secret de la prière de Jésus, lui ont demandé pour notre plus grande joie : « Seigneur, apprends-nous à prier ! » Alors Jésus leur a livré le secret qui le fait vivre d’une Vie qui ne tarit pas : « Quand vous priez, dites : Père ! » (Lc 11, 1-2).
Que notre prière soit d’abord le moment du cœur à cœur filial avec le Père ! Que notre prière soit avant tout l’écoute et l’accueil du « Je t’aime, toi, mon enfant bien-aimé, tel que tu es, aujourd’hui ! » Que notre prière soit essentiellement le lieu de notre investiture filiale : « Tu es mon fils, tu es ma fille bien-aimée, en toi je mets toute ma confiance ! » Que notre prière soit par-dessus tout l’accueil de la bénédiction du Père sur nous !
Alors, habités d’un tel Amour, revêtus d’une telle onction, notre lumière ne sera pas d’abord celle de nos œuvres, si bonnes soient-elles, ni celle de notre caractère, si aimable soit-il. On recherchera notre compagnie parce que nous rayonnerons d’une lumière qui vient d’une Présence, d’une relation d’amitié et d’intimité avec le Seigneur. On voudra connaître ce secret qui se laisse lire sur notre visage et dans tout notre comportement. De cette expérience, nous savons le chemin : « L’Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu » (Rm 8, 16). L’Esprit « en personne » précise saint Paul !

L’expérience de l’effusion de l’Esprit, réactualisée par le Renouveau charismatique, mais qui est vécue en bien d’autres circonstances, vise précisément à instaurer dans les cœurs ce dialogue d’amour avec le Père. Celui qui a demandé - et reçu (l’avons-nous reçue ?) - l’effusion de l’Esprit sait qu’il n’est plus le même, qu’il ne sera jamais plus le même. Celui qui a reçu l’effusion de l’Esprit sait qu’il l’a reçue. « L’Esprit en personne », ça veut dire quelque chose pour lui. Quand il se lève le matin, il se sent aussitôt accueilli par une Présence personnelle, celle de l’Esprit Saint. Peut-être s’écrie-t-il, tout joyeux : « Bonjour, Esprit Saint ! A nous deux, quelle belle journée nous allons vivre ! »
Connaissons-nous le Saint Esprit ? Le connaissons-nous vraiment comme une personne ? Que ceux qui ont reçu l’effusion de l’Esprit ne répondent pas trop vite... J’ai remarqué que si beaucoup ont demandé l’effusion de l’Esprit, beaucoup ne semblent pas encore l’avoir reçue...

Je lisais récemment le témoignage bouleversant du pasteur évangélique Benny Hinn. Inlassable prédicateur charismatique à travers le monde entier, il vit son ministère en filiation avec celui, si puissant dans le Seigneur, de la grande Kathryn Kuhlman. Pensez que cette simple femme, en cinquante ans de ministère, a témoigné de la puissance de l’amour de Dieu à près de cent millions de personnes dans le monde ! Il raconte comment le témoignage de la relation que cette femme entretenait avec le Saint Esprit a définitivement bouleversé son propre ministère :
« A un moment, pendant le service [de prière], je levai les yeux pour regarder Miss Kuhlman. Elle sanglotait, le visage enfoui dans ses mains. Les musiciens s’arrêtèrent de jouer. Personne ne bougea pendant plusieurs minutes. Puis, en un éclair, elle rejeta la tête en arrière et pointa son index décharné vers nous, avec une témérité et une autorité qui défient toute description : “Je vous en prie, implorait-elle, je vous en prie, n’attristez pas le Saint-Esprit !” Elle continuait à sangloter et disait : “Ne comprenez-vous pas ? Il est tout pour moi !” Et elle répétait cette même phrase : “Il est tout ce que j’ai. S’il vous plaît, ne blessez pas celui que j’aime !” Elle respira profondément, et pointant son doigt dans ma direction, elle déclara : “Il est plus réel que n’importe quoi, n’importe qui au monde ! Il est plus réel pour moi que vous ne l’êtes !” (2) »
Tant que le Saint Esprit ne sera pas pour nous « plus réel que n’importe quoi, que n’importe qui au monde », nous ne pourrons pas dire que nous le connaissons vraiment. Comment ne pas désirer progresser encore dans cette connaissance d’amour, véritable source de lumière et de salut pour nous et pour les autres ?

Une vocation d’enlumineurs !

En Eglise, laboratoire de fraternité
De Dieu, saint Jean souligne deux dimensions fondamentales : « Dieu est amour » (1 Jn 4, 8.16) et « Dieu est Lumière » (1 Jn 1, 5). Pas l’un sans l’autre, c’est-à-dire pas d’amour qui ne s’épanouisse en lumière, pas de lumière autre que celle de l’amour. Contemplant ce mystère de relation d’amour au sein même de la divinité, Jean a compris que pour révéler ce Dieu-là, il ne pouvait pas ne pas y avoir d’Eglise. La communion des Personnes dans la Sainte Trinité doit nécessairement se manifester à travers la communion des personnes sur la terre ! C’est pourquoi, Jean a fait de la relation fraternelle le critère de discernement spirituel le plus fiable de la relation d’amour avec Dieu. C’est pourquoi il insiste tant dans sa première Lettre sur le lien nécessaire entre les deux : « Si quelqu’un dit : “Je suis dans la lumière”, mais s’il déteste son frère ou sa sœur, celui-là est encore dans la nuit. Celui qui aime son frère demeure dans la lumière et ne risque pas de tomber » (1 Jn 2, 9-10).
On retrouve ici l’écho d’une parole testamentaire de Jésus, fondatrice de l’Eglise, laissée à quelques disciples le soir de la dernière Cène : « A ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jn 13, 35).
C’est une chose qu’on ne relève presque jamais : la vocation première de l’Eglise, ce n’est pas d’abord les œuvres. Selon Jésus lui-même à la veille de sa Passion, la vocation première de l’Eglise, c’est de rendre témoignage au Christ Jésus par la qualité de relation entre ses membres.
Cela veut dire, frères et sœurs, que le temps et l’énergie consacrés à la santé et à la sainteté du tissu fraternel de nos groupes de prière, communautés, mouvements et paroisses sont autant ordonnés à l’évangélisation que le temps et l’énergie consacrés à la prédication et aux œuvres de charité. L’Eglise, en effet, est le laboratoire du Monde Nouveau. En y expérimentant la véritable fraternité, la fraternité en Christ des enfants du Père, nous nous évangélisons mutuellement en nous aidant à croire que la relation humaine peut aller bien au-delà de ce que nous en vivons et voyons vivre autour de nous, et qui est souvent bien pauvre, si ce n’est misérable. Car, à cause de Jésus, nous avons, pour vivre en Eglise, une boîte à outils bien équipée : repentance, pardon, réconciliation, humilité, obéissance, respect de l’autre, esprit d’émerveillement, don de soi jusqu’au bout, expérience de la croix, fête de la résurrection. Saint Paul nous en fait même une liste, de sorte que nous puissions y confronter notre vie : « Voici ce que l’Esprit Saint produit : amour, joie, paix, patience, bonté, service, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de soi » (Ga 5, 22-23 PDV).

Au cœur du monde
Aujourd’hui, il existe heureusement beaucoup d’organismes, gouvernementaux ou non, qui prennent en charge les besoins des hommes. L’Eglise doit y avoir sa place, car l’amour est la vraie lumière. Mais s’il est entendu que le service de l’homme est sa mission fondamentale, elle a en plus un témoignage spécifique à donner : celui d’un nouveau style de relations qui s’appelle la vie fraternelle. La vie fraternelle enracinée dans l’Evangile est lumière pour nos contemporains. En effet, partout la relation humaine est gravement éprouvée. L’amitié, l’amour conjugal, la relation parents-enfants, les relations professionnelles, la relation aux plus faibles, surtout aux deux extrémités de la vie, toutes les relations sont en souffrance, par manque de temps, de gratuité, de dignité, d’intériorité, de sens de l’autre, de vérité, de fidélité... Elles meurent trop souvent comme des plantes qu’on n’arrose plus.
Or, si la lumière est venue parmi nous, c’est pour éclairer tout homme venant dans le monde. C’est pourquoi on peut dire du chrétien qu’il a une vocation fondamentale « d’enlumineur », « d’habilleur de lumière » ! Remplis d’Esprit Saint, habités par la circulation d’amour des Trois, nous devenons capables, comme Jésus avec la femme adultère, la Samaritaine, Zachée, Lévi, les lépreux, de revêtir de Lumière et de Bonté les personnes et les situations que nous rencontrons chaque jour. En quoi consiste notre vocation d’enlumineurs, d’habilleurs de lumière ?
Les chrétiens croient souvent qu’ils ont à apporter la lumière aux autres qui seraient d’emblée dans les ténèbres. Les choses sont-elles vraiment ainsi ? Les autres sont-ils autant dépourvus de lumière que nous le croyons ?
Réfléchissons un instant. Souvenons-nous. Quand nous disons d’une personne qu’elle est lumineuse, de quoi parlons-nous ? Certes, de la lumière qu’elle dégage, par exemple par son sourire. Mais n’est-ce pas plus profondément encore qu’elle nous a enluminés, rendus lumineux à notre tour ? Qu’elle a su voir notre propre lumière et nous la faire voir ?

Un jour, un psalmiste s’est écrié, émerveillé : « Par ta lumière, nous voyons la lumière ! » (Ps 36, 10)
Qu’est-ce à dire, sinon que ce croyant a fait l’expérience de voir différemment les êtres et les choses depuis qu’une lumière s’est allumée dans son cœur ? Depuis que son cœur est rempli de lumière par la connaissance de l’amour de Dieu, il se surprend à voir de la lumière chez les autres ! C’est donc qu’il y a déjà de la lumière chez les autres mais que, souvent, cette lumière a besoin d’être vue et encouragée pour oser briller. Cette lumière, c’est Jésus. Elle n’est pas uniquement chez nous, les chrétiens, « ceux qui croient en son nom ». L’Evangile dit : « Elle éclaire tout homme venant dans le monde » (Jn 1, 9). Saint Jean l’affirme avec insistance : « La lumière est venue dans le monde » (Jn 3, 19) ; « Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde » (Jn 9, 5). Aujourd’hui, Jésus ne serait-il plus dans le monde, lui qui a dit, alors qu’il se séparait physiquement de ses disciples : « Voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20) ?

Quand on vit dans la Présence de l’Esprit Saint, on voit avec les yeux spirituels, on entend avec les oreilles spirituelles, on sent avec les sens spirituels, on parle une langue spirituelle. Il se passe alors un jaillissement charismatique qui, si nous le désirons intensément, peut devenir continu, inépuisable. Impossible, en effet, d’être habité par cette Présence d’amour sans faire l’expérience que cet amour veut aimer toute personne que nous rencontrons. Toute rencontre humaine peut alors devenir charismatique !
« Dieu donne son Esprit Saint à ceux qui lui obéissent » (Ac 5, 32) déclarent les apôtres après la Pentecôte. Cette loi spirituelle vaut aussi pour nous aujourd’hui. Les grands charismatique, saints ou prédicateurs, ne sont pas des gens qui ont les faveurs de Dieu, ses petits préférés. Ce sont ceux qui ont décidé une fois pour toutes de lui obéir en toutes choses. Ce sont des « fils dans le Fils », si vous préférez. En eux, il y a un « rien sans toi, Père ! », comme pour Jésus.

Frères et sœurs, ce soir, nous avons entre les mains le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Nous avons le pouvoir de devenir effectivement Lumière du monde. Le voulons-nous vraiment ? Sommes-nous décidés à en payer le prix et à mourir à ce qui n’est pas filial en nous, dans le seul but d’exaucer la vision prophétique de Jésus que son Eglise est LA LUMIERE DU MONDE ?

Notes

1 - 1 - Pour le P. Durwell, « Les enfants de Dieu sont engendrés par Dieu, ils ne sont pas des adoptés : ‘Nous sommes son ouvrage, créés en Christ Jésus’ (Ep 2, 10), “‘nés de Dieu” plus réellement que des parents humains (Jn 1, 13 ; Tt 3, 5), authentiques enfants de Dieu (1 Jn 3, 1-2). Si le terme huiothêsia peut signifier “adoption” en grec profane, ce n’est pas le sens que saint Paul lui donne. Il parle de filiation et non d’adoption : ”Dieu envoya son Fils… pour nous conférer la filiation…” (Ga 4, 5s). Du chrétien il est dit qu’il ”ressuscite-avec” le Christ, il co-naît avec lui. “Le Père est vraiment père, et beaucoup plus véritablement que les pères d’ici-bas” (Saint Grégoire de Naziance, Oratio 25,16, PG 25, 1222) » Jésus Fils de Dieu, note 1, p. 53. [ Retour au Texte ]

2 - Benny Hinn : Kathryn Kuhlman, l’héritage spirituel qu’elle m’a laissé et l’impact qu’elle a exercé sur ma vie, Ed. Vida, Nîmes, 1999, p. 22. [ Retour au Texte ]