Logo cef.fr Eglise catholique en France - Conférence des évêques de France Trouver les horaires de messes en France avec MessesInfo
ActualitésParoles d'EgliseGuide de l'EgliseEspace presseAgendaDiocèsesLiens
Vivre en ChrétienPrier   CélébrerArt Culture LoisirsSaint du jourGlossaireForumsRechercher
Actualité
Archives
Dossiers spéciaux
Chroniques
Nominations

En bref
Désolé le fichier n'est pas valide
 
Ecrivez-nous
les sites en .cef.fr
Ajoutez CEF à
   vos favoris
Ouvrez votre navigateur sur cef.fr
Plan du site
Mentions légales
Eglise Catholique
UADF © 1996-2006












 

Vous êtes ici : Accueil > Actualités > Archives > 2000

Archives Retour à la liste
 

Le Jubilé et l'argent

Le 7 Juin 2000

CONSEIL NATIONAL DE LA SOLIDARITE
COMMISSION SOCIALE DES EVEQUES DE FRANCE

 


Dans la dynamique du Jubilé et des actions telles que la campagne pour “l’annulation de la dette”, il a semblé bon au Conseil National de la Solidarité et à la Commission sociale des évêques de France, d’aider les communautés chrétiennes à réfléchir à leur attitude vis-à-vis de l’argent et des biens matériels en général. Nous n’avons pas l’intention d’écrire aujourd’hui un traité sur l’argent, encore moins sur l’économie, mais d’inviter chaque catholique à entendre l’appel à la conversion dans sa dimension financière et économique. 

1- L’argent : un outil…
Il existe une longue tradition de pensée religieuse sur la gestion des biens. Elle commence dès la première page de la Bible :  la terre appartient d’abord à Dieu, lequel l’a confiée à toute l’humanité. Rien de ce que nous possédons ne nous appartient pleinement. Nous sommes, pour ainsi dire, mandatés par Dieu pour gérer argent et biens, pour leur faire produire du fruit au bénéfice de toute l’humanité.

L’argent est un moyen d’échange, un outil utile pour favoriser des relations humanisantes entre les hommes. Il peut favoriser la croissance économique et le développement des peuples.

Jésus condamne-t-il l’argent comme instrument d’échange ? Non, puisqu’il paie l’impôt avec une pièce de monnaie. Il a, parmi ses proches, quelqu’un pour tenir la bourse du groupe. Il bénéficie d’amis - parmi lesquels de nombreuses femmes - qui l’aident de leurs deniers. Il demande qu’on se serve de l’argent“ pour se faire des amis dans les demeures éternelles ” (Lc 16, 9), c’est-à-dire pour atteindre notre vrai bonheur.

2- ... qui peut devenir une idole.
De l’ordre des moyens, l’argent peut devenir une fin, un instrument de la volonté de puissance qui peut faire perdre la tête, un absolu qui se substitue au vrai Dieu : il peut devenir une idole. De bon serviteur, il peut devenir mauvais maître : fait pour servir, il peut asservir. La parole de Jésus est intransigeante : “Vous ne pouvez servir deux maîtres : Dieu et l’argent ” (Lc 16,13).

L’Évangile de Luc, qui n’hésite pas à qualifier l’argent de “ trompeur ” (Lc 16,9), en dénonce les pièges :

21 - L’aliénation de la personne dans l’avoir. Dans  la parabole du riche insensé (Lc 12, 16-21) l’homme empile les excédents de ses récoltes dans ses greniers et se croit tranquille pour de nombreuses années. Mais Dieu lui dit : “ Insensé ! cette nuit même on te demandera ton âme, et ce que tu as, à qui est-ce que cela ira ? ”(Lc 16, 20).

Cet homme a choisi l’avoir, il a perdu son âme. Il croyait posséder et il est possédé. En effet, la satisfaction qu’apporte l’argent est passagère et provoque à vouloir toujours plus. L’argent n’étanche pas la soif d’accumulation, il l’attise sans cesse davantage : il rend insatiable. Il n’apporte ni la liberté ni la joie. “ La tentation de l’avarice est la forme la plus évidente du sous-développement moral ” (Paul VI dans Populorum progressio, n° 19).

22 - La rupture avec les autres. Telle est la leçon de la parabole de Lazare et du riche (Lc 16, 19-31).  La faute du riche n’est pas d’avoir acquis ses biens injustement mais d’avoir laissé se creuser une distance entre sa table abondante et un ventre creux. Cette distance détruit la communauté humaine et même le ciel ne pourra l’abolir. C’est Abraham qui dit au riche : “ Entre vous et nous a été fixé un grand abîme ” (Lc 16,26).

 Le grand malheur de l’argent transformé en idole, c’est qu’il sépare d’autrui. Plus on est riche, plus on risque de ne plus voir et entendre les autres. Les biens de ce monde, qui devraient être un signe de communication, de communion, deviennent un obstacle, un mur. Comme le fait remarquer Abraham au riche de la parabole qui lui demande d’avertir ses frères : “ Même si quelqu’un ressuscitait des morts, ils  ne seraient pas convaincus ” (Lc 16, 31).

3- La parole libératrice de l’Évangile.
Constamment, dans l’Évangile, la personne qui accueille le message de Jésus change radicalement d’attitude face à l’argent. L’Évangile rend libre. Dès l’appel de Jésus, le publicain Matthieu quitte sa profession de collecteur d’impôts (Mt 9, 9-13). Le chef des publicains, Zachée, déclare : “ Voici, Seigneur, je vais donner la moitié de mes biens aux pauvres et si j’ai extorqué quelque chose à quelqu’un, je lui rends le quadruple ” (Lc 19, 8).

La conversion évangélique prend deux formes principales :

31 - Le partage. La première communauté chrétienne s’est  fondée, dès les débuts, sur le partage : “ La multitude de ceux qui étaient croyants n’avaient qu’un cœur et qu’une âme et nul ne considérait comme sa propriété l’un quelconque de ses biens : au contraire, ils mettaient tout en commun ... Nul parmi eux n’était indigent ... Chacun recevait une part selon ses besoins ” (Ac 4, 32-35).

Le livre des Actes des Apôtres suggère aussi que l’agir chrétien peut provoquer des séismes dans la vie économique de la société ! Ananie et sa femme Saphire apprennent à leurs dépens qu’on ne triche pas avec l’Esprit (Ac 5, 1-11). Simon veut acheter la force de l’Esprit avec de l’argent (Ac 8, 18-24). Les orfèvres Éphèse manifestent la perte sèche que leur occasionne la désaffection des nouveaux chrétiens pour leurs statuettes d’Artémis (Ac 19, 23-40).

Celui qui adhère à Jésus cesse de considérer que ce qu’il possède lui appartient. Il découvre qu’il n’en est que l’intendant. Il comprend que ses biens ont en même temps une “ destination universelle ” en ce sens qu’ils doivent contribuer à ce que personne, sur la terre, ne manque du nécessaire.

Parmi les nombreux Pères de l’Église qui ont traité de ce sujet, Saint Basile (329-379) interroge : “ Que répondras-tu au souverain Juge, toi qui habilles les murs et n’habille pas ton semblable ? Toi qui ornes tes chevaux et n’as pas même un regard pour ton frère dans la détresse ? Toi qui laisses pourrir ton blé et ne nourris pas ceux qui ont faim ? Toi qui enfouis ton or et ne viens pas en aide à l’opprimé ?...

A qui ai-je fait tort, dis-tu, en gardant ce qui est à moi ? Mais, dis-moi, qu’est-ce qui est à toi ? De qui donc l’as-tu reçu pour le porter dans la vie ? C’est exactement comme si quelqu’un, après avoir pris une place au théâtre, en écartait ensuite ceux qui veulent entrer à leur tour et prétendait regarder comme sa propriété ce qui est pour l’usage de tous. Ainsi font les riches. Parce qu’ils sont les premiers occupants d’un bien commun, ils s’estiment le droit de se l’approprier... ” (Homélie n° 6, sur la richesse).

Cette “ destination universelle des biens ” a été fortement rappelée par le Concile Vatican II. “ Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent affluer entre les mains de tous... ” (Gaudium et Spes, n° 69). La propriété n’est pas un absolu. Il y a toujours une limite au droit de propriété  : l’indigence de l’autre. Aussi, poursuit le Concile Vatican II : “on est tenu d’aider les pauvres, et pas seulement au moyen de notre superflu ”. En outre, “ celui qui se trouve dans l’extrême nécessité a le droit de se procurer l’indispensable à partir des richesses d’autrui ” (G.S., n° 69, 1) : dans une telle circonstance, prendre n’est pas voler.

32 - “Tout quitter ”. C’est ce qu’ont fait les premiers moines et, à leur suite, François d’Assise et tant d’autres  qui se sont voués à Dame Pauvreté pour suivre le Christ. Aujourd’hui encore des personnes, des instituts religieux et des communautés diverses témoignent de l’appel prophétique de l’Évangile : “ Ce que tu as, vends-le et donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel ” (Mc 10, 21).

4- Différentes formes de solidarité aujourd’hui.
Le partage existe déjà, heureusement, sous de multiples formes. Les chrétiens savent manifester largement leur générosité dès que leur soutien est sollicité. Ils se laissent volontiers convaincre de la nécessité de secourir les personnes en situation difficile ou tragique. Ils ont contribué à sensibiliser nos sociétés au devoir de partager.

41 -  Les impôts sont une forme de partage. Il n’est pas question ici d’entrer dans le débat sur l’équité du système fiscal auquel nous sommes soumis, ni sur les réformes à accomplir. Mais il nous revient de rappeler que le principe même de l’impôt est un principe conforme à l’Évangile. “ Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, dit Jésus (Lc 20, 25). “ A qui l’impôt, l’impôt ; à qui les taxes, les taxes ” ajoute Saint Paul (Rm 13,7). Nos impôts contribuent pour une part à la redistribution des richesses.

Actuellement, en France, les deux tiers des prélèvements sont à destination sociale. Alors, faisons-le de grand cœur, car “ Dieu aime celui qui donne avec joie ” (2 Co 9,7). Un tel regard peut nous aider à vivre notre relation aux impôts d’une manière positive. Agir pour améliorer le système : oui. Exiger que l’argent public serve l’intérêt commun, bien sûr ! Par contre, chercher par tous les moyens à échapper à ce que nous devons à la communauté en fonction de notre richesse  n’est que malhonnêteté et vol. Nous le savons : ce ne sont pas les plus pauvres  parmi nous qui ont le plus de moyens d’échapper à l’imposition ! Dieu, “ qui voit dans le secret ”, n’est pas dupe de ces fraudes.

42 - Notre participation aux collectes de l’Église est une autre forme de partage, essentielle, souvent méconnue. Combien parmi nous  se considèrent  tenus en conscience de donner à l’Église les moyens de son apostolat (Denier de l’Église) par une contribution substantielle en proportion de leurs biens ? L’Église de France vit intégralement de la générosité de ses fidèles et de nombreux diocèses se trouvent, financièrement, dans une situation très précaire. Et que dire des Églises des pays pauvres qui ne sauraient subsister sans la solidarité de l’Église universelle ?

43 - Notre participation aux collectes de fonds des organisations humanitaires et caritatives constitue également une belle forme de partage. Elle est nécessaire. Les besoins du monde dépassent de loin ce qui est récolté, de manière admirable, par des bénévoles dont la contribution, en temps et en argent, se montre exemplaire.

5- Dîme ... et plus encore…
Ne serait-il pas profondément évangélique de considérer que la somme des multiples collectes puisse atteindre le niveau de la dîme dont il est question dans la Bible (10 % de nos revenus)?

Nous serions encore loin de nous hisser  à la hauteur de la veuve de l’Évangile : elle n’a pas donné de son superflu, mais de “ ce qui lui était nécessaire pour vivre ” (Lc 21, 1-4). Nous serions encore loin de répondre aux besoins criants des 2,8 milliards d’êtres humains qui n’ont pas deux dollars par jour pour vivre.

Mais nous serions sur la route de l’appel évangélique au partage. Les Pères de l’Église, au début du christianisme, donnaient ce point de repère : “ la mesure du dépouillement doit être l’échelle de l’infortune de ceux qui n’ont rien ” (cité par Pierre Debergé, “ L’argent dans la Bible ”, Nouvelle Cité, Paris 1999, page 144).

“ Lorsque tu auras achevé de prendre la dîme de tous tes revenus et que tu l’auras donnée au lévite, à l’étranger, à la veuve et à l’orphelin, et que l’ayant consommée dans tes villes, ils s’en seront rassasiés, tu diras en présence de Yahvé ton Dieu : ‘ J’ai retiré de ma maison ce qui était consacré ‘ ” (Dt 26, 12-13).

Le partage ne peut se réduire à une contribution financière. Donner de l’argent sans se donner soi-même est un mensonge. Partager veut dire, dans la mesure de ses moyens, donner de son temps, de son avoir, de son pouvoir, de ses qualifications, des dons reçus. C’est aussi participer à l’une ou l’autre des associations de solidarité.

6- Balaie devant ta porte : et en Église, où en est-on ?
La bonne gérance de ce que l’on possède en vue du “ bien commun ” n’est pas le privilège  des personnes. Elle est le devoir de la société et de toutes les communautés ecclésiales. Combien de saints religieux pauvres dans une communauté riche ? Combien de chrétiens généreux individuellement deviennent “ chiches ” lorsqu’ils gèrent les finances et les biens de la paroisse et du diocèse ?

Aujourd’hui, jusqu’où va le  partage entre les différentes Églises dans le monde... entre les diocèses dans notre pays... entre les paroisses, les communautés, les mouvements et les services d’Église dans notre diocèse ? La Bible ne parle pas seulement des biens individuels. Certaines communautés chrétiennes, certaines Églises locales ne savent comment utiliser leur argent, voire comment le placer pendant que des dizaines d’autres n’ont pas les moyens de faire vivre décemment leurs prêtres et leurs permanents pastoraux ni de s’engager dans des activités nécessaires à l’évangélisation.

Dès le début de l’Église, Paul organisait, dans les communautés qu’il avait fondées, des collectes à l’intention de la communauté de Jérusalem qui était dans le besoin, invitant à imiter la générosité de Notre Seigneur Jésus-Christ qui,  “ de riche qu’il était, s’est fait pauvre, pour nous enrichir de sa pauvreté ” (2 Co 8, 9).

Si les chrétiens souhaitent que l’État soit plus généreux envers les exclus de notre société, envers les immigrés, envers les pays les plus endettés, il leur est urgent de montrer l’exemple non seulement au niveau personnel, mais aussi au plan collectif.

7- Tous responsables.
Notre réflexion sur l’argent et nos biens nous rendra beaucoup plus attentifs à la dimension sociale du Jubilé. Puisque la justice est toujours en retard sur la vie des personnes et la survie de beaucoup, le Jubilé nous est donné comme un temps où “ la remise des dettes, la restitution de la terre et la libération des esclaves ” sont vécus comme une annonce prophétique du temps messianique, lorsque Dieu viendra lui-même achever la création en la renouvelant de fond en comble.

Pour vivre pleinement le Jubilé, les catholiques peuvent-ils se désintéresser des campagnes pour “l’annulation de la dette”, pour un commerce plus équitable et plus solidaire, pour une moralisation plus sérieuse des flux financiers incontrôlés qui gravitent tout autour de notre planète ?

Dans les débats actuels concernant le pouvoir de l’argent, la bulle financière, la Bourse sur Internet, le choix des investissements, les chrétiens ne peuvent pas rester les bras croisés ni être absents du débat, laissant à d’autres le soin de prendre des initiatives pour que les pauvres ne soient ni les victimes ni les otages d’un système sans alternative ! La gestion de nos biens personnels en fonction des exigences de l’Évangile nous rendra plus créatifs dans notre participation à la gestion des biens collectifs...

Dans notre société, “ tout s’achète et se vend et se pèse et s’emporte ” (Péguy). Et pourtant l’argent n’est pas tout et ne peut pas tout.

Que de réalités capitales, dans la vie de l’homme, que le marché et l’argent ne sont pas en mesure d’accorder : la joie de comprendre et de connaître, la joie d’admirer, la joie d’aimer et d’être aimé, le respect du gratuit et du contemplatif, de l’apparemment inefficace, le sens du partage et de la solidarité !

Quelles sont nos priorités ?
“ Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur ” (Mt 6,21).