Les débuts de la vie humaine au
centre de la préoccupation des évêques
Du lundi 18 au mercredi 20 février, une soixantaine
d’évêques ont participé à
une session sur
« les débuts de la vie humaine : aspects
scientifique, éthique, juridique pour un discernement
pastoral ». Organisée par la Commission
doctrinale des évêques de France, cette session
s’est déroulée à Rennes.
Il s’agissait d’une formation destinée
aux évêques sur un sujet qui évolue rapidement.
« En tant qu’évêques, nous ne sommes
pas experts dans ce domaine. Or il ne se passe pas de mois
sans l’annonce d’une découverte majeure.
C’est pourquoi il est nécessaire de revisiter
les principes à partir desquels l’Eglise fonde
son point de vue » a ainsi indiqué Mgr Pierre-Marie
Carré, archevêque d’Albi et président
de la Commission doctrinale.
Au cours de la session, les évêques ont écouté
le professeur Axel Kahn, généticien, et le Dr
Dominique Le Lannou, directeur du CECOS à Rennes, qui
leur ont exposé le point de vue de la science sur les
débuts de la vie humaine. Le Père Alain Mattheeuws,
s.j., enseignant à l’Institut d’études
théologiques de Bruxelles, a évoqué pour
sa part le point de vue éthique, et M. le conseiller
d’Etat Alain Christnacht a donné le point de
vue juridique. Le cardinal André Vingt-Trois, archevêque
de Paris et président de la Conférence des évêques
de France, et Mgr Pierre d’Ornellas, l’archevêque
de Rennes, se sont exprimés au sujet du discernement
pastoral sur cette question des débuts de la vie humaine.
Cette session étant destinée aux évêques,
elle n’était pas ouverte au public, ni aux journalistes.
En revanche, Mgr Pierre-Marie Carré et Mgr Pierre d’Ornellas
ont donné, mardi 20 février, une conférence
de presse au cours de laquelle ils ont expliqué le
sens de cette démarche.
Mgr d’Ornellas, qui s’exprimait comme président
du groupe de travail sur la bioéthique, a notamment
expliqué qu’au mois d’avril prochain à
Lourdes, la bioéthique serait à l’ordre
du jour de l’assemblée plénière
des évêques. Avec le groupe de travail, l’archevêque
de Rennes prépare donc la présentation qui sera
faite aux évêques : « notre travail consiste
pour le moment à écouter de nombreuses personnes
du monde scientifique, médical, juridique, politique...
sur tous les aspects de la bioéthique. Ce travail préparatoire
permettra aux évêques de s’approprier les
questions actuelles sur la bioéthique de telle sorte
qu’ils puissent travailler dans leur diocèse
et participer aux états généraux qui
on été annoncés en vue d’un travail
démocratique pour la révision de la loi de bioéthique
».
Au cours de la conférence de presse, les journalistes
présents ont posé plusieurs questions suite
aux propos tenus par le cardinal André Vingt-Trois
sur le statut de l’embryon, propos parus dans le quotidien
Ouest-France le 18 février dernier.
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« Ce visage est déjà
donné par une mère »
En réponse à une question sur le statut
de l’embryon évoqué par le cardinal
André Vingt-Trois, Mgr Pierre-Marie Carré
a souligné le fait que « donner un statut
à une chose, cela veut dire que ce n’est
pas une chose. Si c’est une chose, cela implique
qu’elle est disponible à ce que l’on
veut bien en faire. Ce n’est pas une chose.
Lévinas dirait qu’il faut lui donner
un visage. Il est très important de prendre
conscience que ce visage est déjà donné
par une mère. Quand une femme apprend qu’elle
est enceinte, elle ne dit pas "mon embryon",
elle dit déjà "mon bébé".
Ce vocabulaire dit lui-même un statut ».
Et Mgr Carré d’ajouter : « est-il
socialement possible de donner un statut à
cette réalité dont les scientifiques
nous disent qu’elle est unique dès la
rencontre des gamètes ? Cet unique, faut-il
lui laisser le nom d’embryon ou bien pouvons-nous
lui donner un autre nom ? Nous pensons qu’il
faut que la société puisse donner un
nom de telle manière que nous ayons une conscience
commune sur cet unique, qui est reconnu aujourd’hui
unanimement. Cet unique contient un principe de développement
qui demeure quand on a 90 ans. Il y a différentes
étapes évidemment, mais il y a un principe
unique, un principe invariant. »
« Cet unique a des noms scientifiques, a poursuivi
l’archevêque d’Albi. Peut-il avoir
un nom social ? En parlant de statut, le cardinal
Vingt-Trois voulait dire, me semble-t-il, qu’il
faut arriver à donner un visage socialement
reconnu : socialement reconnu par le droit, par les
différentes pensées philosophiques et
éthiques, par les religions, bref, par la société.
Que la réalité intime qu’une femme
découvre en elle soit une réalité
socialement reconnue ».
Répondant à un journaliste qui demandait
si un tel statut pouvait être compatible avec
la loi Veil, Mgr Carré a précisé
que « la question de la loi Veil n’est
pas de se prononcer sur le statut de l’embryon.
Il s’agissait de se prononcer sur la situation
des femmes en détresse, pour différentes
circonstances d’ailleurs, et de voir comment
la République aide ces détresses. C’est
ça l’objet de la loi Veil. » |
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Tout l’art d’une société,
c’est de protéger le plus petit »
Sur le fait de savoir si cette question
reste centrale pour les évêques, l’archevêque
d’Albi a indiqué que « dans une société,
le plus petit est central. Une société
qui sait protéger le plus petit est une société
qui saura toujours protéger chacun de ses membres.
Quand on met une barre pour savoir à partir de
quelle limite on protège, je ne suis pas sûr
que l’on sache protéger, même ceux
qui sont au dessus de la barre. Tout l’art d’une
société c’est de savoir protéger
le plus petit et le plus petit est crucial dans une
vie sociétaire ».
« Derrière ces questions,
ajoute-t-il, il y a le pouvoir que l’on s’arroge
par rapport à d’autres personnes. Nous
considérons que l’embryon est déjà
une personne, d’emblée. Alors pourquoi
s’arroger un pouvoir sur lui alors que, quand
l’enfant est né, il n’est pas question
de le toucher. Il me semble qu’il y a un principe
de cohérence depuis le tout début de la
vie jusqu’à la mort. C’est une position
que l’Eglise catholique a tenu, tient et tiendra.
C’est très important », précise-t-il
également.
Mgr d’Ornellas a ajouté
que, d’après lui, « Mme Veil a voulu
aider, soutenir des détresses et si l’on
sort de ce point fondamental, on sort de l’esprit
de la loi. Un des grands dangers de toute société,
c’est de faire du droit en oubliant l’esprit
du droit. A ce moment-là, on arrive à
un droit positiviste qui devient un droit dictatorial.
Alors que l’esprit du droit permet l’interprétation
du droit. Ici, l’esprit du droit, c’est
de soutenir une détresse. L’un des moyens
qui a été trouvé, c’est la
dépénalisation. Est-ce qu’avec l’arrêt
de la cour de cassation, on ne trouverait pas d’autres
moyens ? Nous avons une femme en détresse, avec
un fœtus que la cour de cassation reconnait comme
un membre de la famille. Et donc, je dois aider cette
femme en détresse et aider cet autre membre de
la famille qu’on appelle le fœtus (…)
Pourquoi aiderais-je plus un membre de la famille que
l’autre ? Il y a deux détresses dans le
fond : la mère qui souffre une vraie détresse
et qu’il faut aider, l’autre qui souffre
une détresse d’un autre genre, qui est
destiné à être accueilli, mais qui
ne peut pas être accueilli. » |
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«
Le mystère des origines »
Sur le fait de savoir s’il faut
distinguer le fœtus de l’embryon, Mgr Carré
a répondu que « le bébé existe
dès le départ, avant même que cela
soit visible, que la mère se sache déjà
enceinte ou non. Ce n’est pas parce qu’on
en prend conscience qu’il se met à exister.
C’est d’ailleurs ce que révèle
la science. Quelque chose de nouveau a déjà
commencé et cela s’appelle la vie. Nous-mêmes
sommes passés par là ! »
Pour sa part, Mgr d’Ornellas
a souligné « qu’il y a un mystère
des origines de la vie. Ce n’est pas tout à
fait un hasard imprévu qu’il y ait un temps
où la femme n’a pas conscience d’être
enceinte. Cette origine ne dépend pas que de
nous. Il y a bien un mystère des origines dans
le sens qu’il y a quelque chose qui nous précède.
Il y a quelque chose avant toute prise de conscience.
Il y a une origine où nous ne sommes pas seuls.
Plus l’horizon des origines observées par
la science recule, plus on découvre que personne
ne peut mettre la main sur l’origine, même
pas la mère qui est si intimement liée
à son enfant. Il y a un lien indestructible entre
la mère et l’enfant : c’est pour
cela qu’il n’y a pas que l’Eglise
qui pense que l’avortement est un drame. La science
est en train de découvrir, de façon magnifique,
le mystère des origines. C’est pour cela
que le dialogue avec le monde scientifique est très
précieux ».
Interrogé sur d’autres
questions – gestation pour autrui, procréation
médicalement assisté, anonymat et gratuité
des dons de gamètes, etc –, Mgr Carré
a rappelé que l’objectif de cette session
n’était pas de prendre position, mais d’écouter
et de réfléchir. « En tout cas,
a-t-il commenté, ce sont des questions difficiles
et délicates. Les grands principes de la Bible
du respect de la personne et de l’unicité
de chaque être, nous les tenons, il n’y
a pas de doute, et ils ne vont pas changer ! »
Interpellé sur l’interruption
thérapeutique de grossesse, Mgr Carré
a répondu qu’ « on ne peut pas s’arroger
le droit de décider qui peut vivre, et qui n’a
pas le droit de vivre. On ne peut pas s’arroger
le droit de trier. Notamment parce que, quand on s’arroge
un droit, où cela s’arrête-t-il ?
Et ce point de vue, a-t-il ajouté, doit être
exprimé dans le concert des opinions. Je crois
que si l’Eglise catholique ne fait pas entendre
cela, peu de monde le fera ! » |
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« Notre plus grand travail,
c’est d’écouter »
L’archevêque de Rennes a conclu en revenant
sur le travail mené par le groupe qu’il
préside sur la bioéthique. Evoquant
à nouveau sa mission actuelle, qui est d’écouter
les uns et les autres, il a évoqué en
particulier les parents d’enfants handicapés.
Ceux-ci lui font part, a-t-il témoigné,
de leur désarroi dans le contexte actuel :
certains se sentent blessés, voire méprisés.
« C’est pourquoi, a-t-il répété,
notre plus grand travail pour le moment, c’est
d’écouter. D’ailleurs, c’est
bien le commandement de Dieu à Israël
! Je crois qu’aujourd’hui les évêques
de France, en choisissant la bioéthique, ont
choisi d’écouter, de prendre le temps
d’écouter et cela, très en amont
de la révision des lois de bioéthique
(prévue en 2011, ndlr). Et cette écoute
est très enrichissante, d’autant que
certains n’ont l’occasion de parler que
parce qu’on leur demande de nous parler. En
ce qui me concerne, à force d’écouter,
je deviens de plus en plus respectueux d’un
mystère qui nous dépasse ».
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