L’évêque d’Angoulême
a été élu à l’Académie
française, jeudi 17 avril. Mgr Claude Dagens succède
à René Rémond dans le premier fauteuil
de l’institution fondée par le cardinal Richelieu.
Retrouvez ses premières impressions.
Comment accueillez-vous votre élection
?
Je l’accueille avant tout comme une mission. Une mission
nouvelle, certes, mais qui ne m’arrache pas à
mon travail ordinaire de pasteur.
Cette élection est un acte de reconnaissance de la
part d’un lieu de culture qui fait partie de l’histoire
de la France. Je me réjouis, à ma modeste mesure
d’homme de culture, d’évêque et d’historien
en même temps, d’être appelé à
manifester la présence de l’Église dans
ce haut lieu de dialogue et de confrontation ouverte.
Votre élection s’inscrit-elle
dans la succession du cardinal Lustiger ?
Pour Mme Carrère d’Encausse (Secrétaire
perpétuel de l’Académie française,
NDLR), avec laquelle je me suis entretenu il y a quelques
semaines, il ne s’agissait pas de succéder au
cardinal Lustiger mais à René Rémond.
Lors de cet entretien, elle a aussi fait référence
au Père
Ambroise-Marie Carré.
Or, je n’oublie pas que je l’ai connu, aimé
et admiré. En 1997, il avait contribué à
ce que j’obtienne un des grands prix de l’Académie
française (prix du cardinal Grente pour la «
Lettre aux catholiques de France », NDLR).
En septembre 2003, j’ai présidé, à
sa demande, la messe de son jubilé sacerdotal. Il avait
invité quelques amis : des frères dominicains
et quelques membres de l’Académie française
que je vais retrouver bientôt : Hélène
Carrère d’Encausse, Alain Decaux, Maurice Druon,
François Cheng, Frédéric Vitoux.
J’ai compris, ce jour-là, qu’il avait exercé
son ministère, depuis des années, d’abord
au milieu des artistes puis à l’Académie
française, dans un esprit de réconciliation.
J’ai compris aussi, ce qui me rappelait d’ailleurs
l’éveil de ma propre vocation de prêtre,
que tout être humain demande ou attend d’être
reconnu au-delà de ses apparences mondaines. Le P.
Carré savait cela avec les artistes et aussi les membres
de l’Académie française. A ma manière,
je tâcherai de continuer à exercer ce ministère
de présence et d’attention aux personnes au-delà
des apparences mondaines.
D’une certaine manière, ma présence à
l’Académie française « rejoint »
le ministère d’évêque. Nous rencontrons
en permanence des gens d’une extraordinaire diversité.
Dans mon diocèse, je dialogue avec des gens qui se
jugent dévalués, méprisés, oubliés
dans la société ou dans l’église.
Je côtoie en même temps, à l’Académie
notamment, des gens plus illustres, plus célèbres,
plus reconnus apparemment. Pourtant la profondeur du cœur
humain est la même partout et en tout être humain.
C’est donc avant tout l’homme
d’Église qui va siéger dans le fauteuil
de René Rémond ?
Il s’agit d’une présence d’Église
car la référence est le P. Carré et en
en même temps le cardinal Lustiger. Il s’agit
de succéder aussi à René Rémond.
Cela signifie pour moi pratiquer de manière tenace
le dialogue, la confrontation ouverte entre la tradition chrétienne
et la tradition laïque dans notre société
qui a beaucoup changé. Je pense à l’émiettement
du tissu social, à la présence des musulmans,
les zones d’indifférences et d’incroyances
si réelles dans notre société.
C’est tout un : l’homme d’Église,
l’homme de lettres, le croyant et l’historien.
J’espère à ma petite mesure être
un homme de réconciliation de ces multiples traditions
que je porte en moi.
Comment concevez-vous la culture ?
Constitue-t-elle un pont pour l’évangélisation
?
On ne peut pas instrumentaliser ni la foi ni la culture.
Nous, chrétiens, devons comprendre que la foi chrétienne
est porteuse d’une culture ouverte à tous, universelle.
Nos églises sont ce lieu de culture. Quelle est cette
culture ? D’abord une culture qui permet de prendre
ses distances sur les rumeurs du monde. Quand on entre dans
une église, on sait que les bruits du monde y sont
comme amortis.
Ensuite, c’est un accueil sans condition, désintéressé.
Tout être humain peut venir pour regarder, goûter
le silence, prier.
Enfin, l’église n’est pas une maison comme
les autres. Elle est habitée par une présence
qui nous atteint. J’entre là dans le secret des
cœurs et des consciences, et je rejoins ce que j’apprends
par la littérature : le travail permanent du dialogue
dans la culture, dans l’ouverture à ce qui nous
dépasse, à l’invisible, une ouverture
à l’éternité en elle, indépendamment
des croyances religieuses. Cela passe par la poésie,
le roman, la philosophie, la chanson. Je pense à René
Girard, Michel Serres, Jean-Loup Dabadie…
Je voudrais que l’Eglise Catholique en France prenne
davantage la mesure des conditions culturelles et spirituelles
de sa mission. Nous mesurons les données économiques,
sociales et politiques mais pas assez les conditions spirituelles
et culturelles. J’espère infléchir dans
ce sens le groupe de travail dont j’ai été
chargé sur « Indifférence religieuse et
visibilité de l’Eglise catholique ».
« J’espère être un homme
de réconciliation des multiples traditions que je porte
en moi »
Bibliographie de Mgr Dagens
Saint Grégoire le Grand : culture et expérience
chrétiennes (Études augustiniennes, 1977).
L’homme renouvelé par Dieu (Desclée
de Brouwer, 1978).
Le
maître de l’impossible (Fayard, 2ème
éd., 1988).
Liberté
et Passion (Saint Paul, 1995).
Entrer dans le dialogue de la foi (Anne Sigier, 2001).
«
Va au large » - Des chances nouvelles pour l’Évangile.
(Parole et Silence, 2001).
Le rosaire de lumière (Cerf, 2003).
La nouveauté chrétienne dans la société
française. (Cerf, 2005).
Méditation
sur l’Église catholique en France : Libre
et présente (Cerf, avril 2008).
Monseigneur DAGENS a été le maître
d’œuvre du travail engagé par les
évêques de France en vue de « Proposer
la Foi dans la société actuelle»,
qui a abouti à la « Lette auxCatholiques
de France », en 1996. Cette lettre a obtenu en
1997 le prix du Cardinal GRENTE de l’Académie
Française.
|
|
|