Va-t-on avoir le droit de mutiler ?
La loi relative à l'interruption volontaire de grossesse
et à la contraception va être présentée
en lecture définitive à l'Assemblée
Nationale le mercredi 30 mai 2001. Le Conseil permanent
de la Conférence des évêques de France
a déjà fait connaître sa position à
propos des mesures concernant l'avortement (Déclaration
du 11 octobre 2000).
L'Article 20 de la loi en question autorise, par ailleurs,
la stérilisation des personnes majeures mises sous
tutelle à cause d'un grave handicap mental. Introduit
par voie d'amendement au cours de la discussion à
l'Assemblée nationale le 5 décembre 2000,
cet article pose un problème éthique fondamental.
La stérilisation est, en effet, une mutilation interne
et définitive, qui touche profondément l'intégrité
d'une personne. Ceux qui accompagnent des hommes ou des
femmes portant un handicap mental savent bien qu'une telle
intervention ne répond pas à l'attente profonde
de ces personnes et marque l'échec de leur intégration
dans la société. Certes, en écoutant
le désarroi des familles et celui des professionnels
du monde médico-social, l'Église comprend
qu'ils sont très démunis. Elle perçoit
qu'ils peuvent être parfois tentés par cette
solution radicale, dans un contexte où est admis
le droit à exercer une sexualité sans engagement.
Faut-il pour autant légiférer ainsi ? Une
législation sur la stérilisation mettrait
encore plus à l'écart des personnes déjà
fragiles.
Cet article de loi peut paraître offrir de sérieuses
garanties. Il soulève en fait bien des questions
:
- qui déterminera si une personne handicapée
majeure est capable de choisir, ou si une décision
doit être prise pour elle ? La réponse revient
en principe au médecin, lequel se prononce sur des
données médicales et non pour des raisons
éthiques.
- qui a le droit de prendre une telle décision pour
autrui ? En dernier ressort, un juge. Mais le procédé,
même juridiquement encadré, est-il moralement
acceptable, comme si s'imposait une seule manière
de vivre la sexualité ?
- comment sera considéré désormais
le corps des personnes handicapées ?
- ne risque-t-on pas de passer davantage sous silence les
agressions et violences sexuelles qu'elles subissent trop
souvent ?
- quel sens auront le travail et la responsabilité
de ceux qui vivent auprès d'elles et les accompagnent
de leur mieux ? Seront-ils entendus par le comité
d'experts appelé à donner son avis au juge
?
Tolérer la mutilation des plus faibles dans une
société est vraiment un mauvais signe ! Au
nom du principe de précaution, et pour la protection
d'un certain confort social, on accepte une vraie régression
et un pas de plus vers l'eugénisme d'État.
Si cet article de loi était adopté, une atteinte
irréversible serait alors portée à
ces personnes qu'on jugerait indignes de procréer
à cause de leur handicap. La discrimination ainsi
introduite toucherait à l'intégrité
et aux droits fondamentaux de tout être humain, quel
qu'il soit, droits qu'un État se doit de garantir.
C'est son honneur et son devoir. Le principe de précaution
invoqué appelle un environnement approprié
et non une mutilation définitive. Un premier mouvement
de compassion ne peut effacer les droits de la personne.
On pourrait ajouter que cet article 20 prendrait le contre-pied
des efforts des auteurs de la Déclaration des droits
de l'homme et du citoyen, farouches opposants à toute
atteinte à l'intégrité des personnes.
De son côté, le Code civil protège rigoureusement
le respect de cette intégrité. Ce projet,
s'il était voté, introduirait dans le Code
de santé publique une possibilité qui serait
en opposition avec les fondements du Code civil.
Le respect de l'intégrité du corps fait partie
des droits fondamentaux de l'être humain. Pour les
personnes handicapées, le plus grand drame est de
ne pas être reconnues comme des personnes, des membres
à part entière de notre corps social. L'Église
encourage les disciples du Christ et toute personne de bonne
volonté à s'engager avec cur auprès
d'elles, à leur témoigner une amitié
fidèle et un respect inconditionnel. " Chaque
fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits,
qui sont mes frères, c'est à moi que vous
l'avez fait " (Matthieu 25, 40).
Paris, le 29 mai 2001
Le Président,
Cardinal Louis-Marie BILLÉ
Le Vice-Président,
Mgr Jean-Pierre RICARD
Cardinal Jean-Marie LUSTIGER
Mgr Bernard-Nicolas AUBERTIN
Mgr Louis DUFAUX
Mgr François FAVREAU
Mgr François GARNIER
Mgr Bernard HOUSSET
Mgr François-Xavier LOIZEAU
Mgr Yves PATENÔTRE
Mgr Albert ROUET
Mgr Guy THOMAZEAU
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