A la suite du projet de loi qui vient d'être présenté
au Conseil des Ministres, le Parlement aura, dans un avenir
plus ou moins proche, à se prononcer sur un certain
nombre de questions relevant du domaine couramment dénommé
" bioéthique ". Parmi les problèmes
qui seront abordés, le plus délicat est sans
doute celui-ci : est-il acceptable d'utiliser des embryons
pour la recherche médicale ?
L'expérimentation sur l'animal a en effet permis de
découvrir les propriétés étonnantes
de certaines cellules prélevées sur des embryons
aux tout premiers stades de leur développement. Ces
cellules, que certains qualifient de " cellules de l'espoir
", pourraient contribuer dans un avenir plus ou moins
proche au traitement, par le moyen de greffes de cellules,
de maladies graves actuellement incurables.
L'opinion publique attend beaucoup de ces recherches. Une
loi dite de bioéthique, promulguée en 1994,
avait interdit toute recherche qui lèserait l'intégrité
des embryons humains. Le débat en cours porte précisément
sur la modification de cette disposition.
Nous savons que Dieu " a confié la terre aux
hommes pour la cultiver et la garder " (Gn 2, 15). Les
deux à la fois : la cultiver, donc la faire produire
; la garder, également, c'est-à-dire la comprendre
et la respecter. Cette double responsabilité doit accompagner
le travail de la science et l'usage des ces découvertes.
Tout progrès scientifique appelle constamment un jugement
sur sa valeur et ses utilisations. Toute science est un fait
social et renvoie à une appréciation éthique
puisqu'elle concerne l'homme et son action. Cela est spécialement
vrai aujourd'hui des recherches sur les embryons humains.
* * *
Quelles sont les données en cause ?
1. On ne peut pas détacher la valeur d'un être
de sa réalité profonde. Autrement dit, la réalité
des êtres ne vient pas seulement du regard de l'autre
ou du désir humain. Il n'est pas possible de dire que
le respect qu'on aura pour l'embryon tient seulement au désir
dont il serait le simple reflet. On peut ajouter que cette
réalité singulière de l'embryon humain
est la même quel que soit le mode par lequel il a été
obtenu.
2. Il est essentiel en effet de considérer tout embryon
comme appartenant à l'humanité. Ce qui définit
le stade embryonnaire est de représenter le commencement
d'une vie dont l'épanouissement, s'il n'est pas entravé,
se traduira par la naissance d'un enfant. Il n'y a pas d'existence
humaine qui n'ait commencé par ce stade.
3. Tout être humain est précédé
: il arrive dans une humanité qui le précède.
Son existence s'y inscrit car il en reçoit la vie.
Tout embryon est un être humain déjà.
Il n'est donc pas un objet disponible pour l'homme. Il n'est
pas à la merci du regard ni de l'option des autres.
Il appartient avec eux à la même et unique communauté
d'existence.
4. Trop nombreux sont ceux qui voudraient que le caractère
humain de l'embryon ou son appartenance à l'humanité
ne soient pleinement reconnus qu'à partir d'un certain
stade de développement. Mais il n'est pas possible
de décider d'un seuil au delà duquel l'embryon
serait humain et en deçà duquel il ne le serait
pas. Nul n'a le pouvoir de fixer les seuils d'humanité
d'une existence singulière. Si la loi fixait d'une
manière ou d'une autre un seuil d'humanité au
commencement de la vie, comment cela ne conduirait-il pas
à récuser l'humanité de ceux qui, à
l'autre terme de la vie, auraient perdu certaines des qualités
prétendument nécessaires à la reconnaissance
de l'humain ?
5. Reconnaître l'exigence de nature morale, qui fait
refuser l'utilisation de " cellules-souches " prélevées
sur des embryons, ne revient pas à accepter passivement
l'actuelle impuissance de la médecine. Au contraire,
cet obstacle invite à inventorier d'autres voies de
recherche, qui risquent aujourd'hui de ne pas être explorées,
du fait de la fascination exercée par les multiples
potentialités de l'embryon. L'existence de " cellules-souches
", notamment, n'est pas propre au stade embryonnaire.
Sur l'enfant et l'adulte, de telles cellules pourraient être
prélevées sans porter atteinte à leur
intégrité.
6. Ce que nous venons de dire touche l'utilisation, pour
la recherche et la mise au point d'éventuelles thérapies,
d'embryons humain constitués dans le cadre de l'assistance
médicale à la procréation. Représenterait
évidemment un pas supplémentaire dans la réduction
au statut de chose le fait de constituer ces embryons dans
le but d'une telle utilisation. L'embryon serait alors créé
purement et simplement pour être utilisé et détruit.
Nous nous réjouissons qu'une telle perspective soit
écartée dans le projet de loi qui vient d'être
présenté en Conseil des Ministres.
Il n'est pas rare d'entendre aujourd'hui qu'il serait possible
d'obtenir des " cellules-souches " embryonnaires
sans créer d'embryons. Il suffirait de faire "
reprogrammer " par des ovules le noyau de cellules prélevées
sur le corps d'enfants ou d'adultes. Une telle pratique consiste
en fait à créer des embryons par clonage. Elle
est inacceptable pour les raisons énoncées ci-dessus.
Il faut aussi être conscient que ce " clonage thérapeutique
" peut ouvrir la voie à ce qui aujourd'hui provoque
la répulsion : le clonage reproductif dont il est déjà
le commencement. Il est prévu dans le projet de loi
d'interdire une telle forme de production d'embryons humains.
C'est, selon notre jugement, faire preuve de sagesse.
* * *
Notre propos n'est pas de suspecter a priori toute recherche.
Mais il s'agit de s'interroger avec une conscience éveillée
sur le danger d'instrumentalisation de ce qui est déjà
humain. Certaines recherches honorent l'humanité. D'autres
pratiques la blessent.
L'histoire montre que l'humanité est constamment menacée
de perdre le sens d'une dignité qui fait de l'homme
un être tout à fait spécifique. Les sciences
biomédicales ne resteront pleinement au service de
l'homme que si elles savent s'incliner devant les exigences
du respect de sa dignité.
Nous connaissons la souffrance des personnes atteintes de
maladies incurables. Mais, parce que nous avons le souci du
respect de toute personne, aussi marquée qu'elle soit
par la maladie ou par divers handicaps, nous nous devons d'appeler
avec force au respect de l'embryon, cet autre maillon faible
de la chaîne humaine.
Paris, le 25 juin 2001
Le Président,
Cardinal Louis-Marie BILLÉ
Le Vice-Président,
Mgr Jean-Pierre RICARD
Cardinal Jean-Marie LUSTIGER
Mgr Bernard-Nicolas AUBERTIN
Mgr Louis DUFAUX
Mgr François FAVREAU
Mgr François GARNIER
Mgr Bernard HOUSSET
Mgr François-Xavier LOIZEAU
Mgr Yves PATENÔTRE
Mgr Albert ROUET
Mgr Guy THOMAZEAU
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