La paix n'est que le fruit de la justice
Devant l'effroyable tragédie qui vient de frapper
des milliers de personnes nous ne pouvons que nous élever
contre le terrorisme quel qu'il soit dans son mépris
de la vie humaine. Notre planète est encore et toujours
déchirée par des conflits où l'on accepte
de sacrifier des personnes par milliers, voire par millions,
pour satisfaire des intérêts matériels,
des points d'honneur ou de vieilles rancunes. C'est totalement
inacceptable ! Qu'elle soit africaine, asiatique, européenne
ou américaine, une personne humaine est sacrée.
Nous éprouvons une vive compassion pour toutes les
victimes de ce terrorisme aveugle et toutes les familles
éprouvées.
Devant l'horreur, on est souvent à la recherche
d'explications "finales": dans le cas présent,
certains ont parlé de lutte cosmique entre "le
Bien et le Mal", la "Civilisation et la Barbarie",
"l'Humanité et la Sauvagerie", "l'Occident
et l'Islam". Il nous faudrait croire à l'inéluctable
confrontation entre religions, entre civilisations. Les
commentateurs se multiplient qui tentent de donner une explication
religieuse aux attentats comme si, en définitive,
les religions et les théologies étaient les
vrais responsables du malheur des hommes. Chrétiens
depuis longtemps en relation avec des musulmans, nous savons
bien que l'homme a souvent tendance à faire de la
Parole de Dieu la lecture qui lui semble le mieux convenir
à sa situation : le riche oubliera facilement les
Béatitudes, le déshérité sera
plus sensible aux promesses de la Justice divine.
Conscients des distorsions que nos vues humaines peuvent
apporter au message divin, nous ne pouvons confondre l'Islam
avec l'interprétation que peuvent en faire certaines
personnes dévorées par la soif de vengeance.
Beaucoup de musulmans, d'ailleurs, ont exprimé leur
refus d'une telle déformation de leur religion en
condamnant ces attentats au nom même de leur foi.
La vraie question qui doit se poser à chacun de
nous est celle de savoir pourquoi, comment, notre monde
actuel a pu jeter tant de nos frères et surs
dans un tel désespoir qu'ils sont prêts à
se tuer et à en tuer d'autres pour faire entendre
leur souffrance !
Depuis plusieurs décennies, l'écart s'est
creusé entre pays riches et pays pauvres. Des conflits
locaux ou régionaux ont été négligés
sans qu'un espoir de paix juste ne luise à l'horizon.
Au contraire, les médiateurs possibles ont recherché
plutôt leurs propres intérêts économiques
et stratégiques. Au nom des lois du marché,
des nations entières se sentent menacées par
une mondialisation qui ébranle leurs économies
fragiles. C'est cette situation, et non une réflexion
religieuse préalable, qui suscite l'hostilité
et l'indignation de millions d'êtres humains.
Les cibles frappées à New York et Washington
l'expriment clairement : ce ne sont pas des symboles religieux
mais les centres de la puissance militaire et commerciale
des États-Unis. C'est à ce niveau que doit
porter le questionnement de chacun d'entre nous. Comment
utilisons-nous notre puissance économique ou militaire
? Comment répondons-nous à l'attente des peuples
? Il faut éradiquer les réseaux terroristes.
Mais cela ne fera pas disparaître les problèmes
de tant de personnes dans le monde ni leur soif de dignité
et de progrès. La paix n'est que le fruit de la justice.
Nous pensons que le rôle de tous les croyants sincères
n'est pas de faire oublier aux hommes leurs misères
ni de les lancer à l'assaut les uns des autres. Il
est de rappeler que Dieu nous enveloppe d'un unique amour
et nous appelle à bâtir un monde fraternel
où personne ne devrait être réduit au
désespoir.
Paris, 24 septembre 2001
+ Bernard PANAFIEU
Archevêque de Marseille
Président du Secrétariat pour les relations
avec l'islam
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