Le film " Amen " de Costa Gavras va encore une fois
alimenter la polémique sur Pie XII. Le plus souvent,
au mépris de l'Histoire, on va lui refaire grief de
s'être tu pour de sordides raisons-entre autres, la
défense d'institutions catholiques - sur l'horrible
crime de la Shoah, et d'avoir ainsi laissé libre cours
à la barbarie nazie. Pour l'honneur de Pie XII, par
souci de vérité, il me semble pas inutile de
rappeler ceci :
- Sur Pascaline Lehnert fut au service d'Eugenio Pacelli
(qui devint Pie XII en 1939) pendant quarante an (1918 à
1958). Cette religieuse allemande publia en 1985, avec l'accord
du pape Jean-Paul II : " Pie XII, mon privilège
fut de le servir " (Éditions Tequi). A la page
66 de cet ouvrage, elle nous révèle que le cardinal
Pacelli, alors secrétaire d'État, fut le principal
auteur de l'encyclique " Mit brennender Sorge "
de Pie XI, publiée en 1937 : elle est une condamnation
claire des pratiques antichrétiennes du national-socialisme.
Cela devrait laver celui qui deviendra Pie XII de tout soupçon
de complaisance à l'égard de l'idéologie
nazie et de son chef Hitler.
- En 1945, le grand rabbin de Rome, Israël Zolli et son
épouse, se convertirent au catholicisme. Ils choisirent
comme prénom de baptême Eugénie et Eugénia
en souvenir d'Eugenio Pacelli. Ils en avaient reçu
15 000 francs or réclamés par les nazis pour
la rançon de 300 juifs de la ville.
- L'actuelle nonciature à Rome auprès de la
république italienne est un don du sénateur
juif Lévi à Pie XII, en remerciement pour tout
ce qu'il fit discrètement et efficacement pour héberger
de nombreux juifs dans des séminaires et des monastères
: et jusque dans le palais de Castel Gandolfo, sa propre résidence
d'été de Rome. Et même dans la garde Suisse
du Vatican
- En avril 1945, le congrès des communautés
israélites d'Italie adressa un message de gratitude
à Pie XII.
- En 1956, un orchestre de 94 musiciens juifs vint à
Rome remercier le Saint Père.
- En 1958, à la mort de Pie XII, madame Golda Meir,
alors ministre des affaires étrangères de l'État
d'Israël, déclara que le pape " avait servi
l'idéal le plus noble de la paix et de la compassion
".
Alors oui, il s'est publiquement tu. Sur Lehnert nous
explique pourquoi (p 135) :
" En août 1942, les journaux publièrent
l'horrible nouvelle que la protestation officielle des évêques
hollandais contre la persécution inhumaine des juifs
avait amené Hitler à faire arrêter dans
la nuit 40 000 juifs hollandais et à les faire gazer
On
apporta les journaux du matin au Saint Père, tenant
à la main deux grandes feuilles couvertes d'une écriture
serrée, vint dans la cuisine
et dit : " Je
voudrais brûler ces feuilles : c'est ma protestation
contre l'affreuse persécution des juifs. Elle devait
paraître ce soir dans l'Osservatore Romano. Mais si
la lettre des évêques hollandais a coûté
40 000 vies humaines, ma protestation en coûterait peut-être
200 000. Je ne dois ni ne veux prendre cette responsabilité.
Aussi vaut-il mieux se taire en public et faire en silence,
comme auparavant, tout ce qu'il est possible de faire pour
ces pauvres gens. "
Aussi le 2 janvier 1943, Pie XII déclara aux cardinaux
de la Curie : " Toutes nos déclarations publiques
doivent être pesées et mesurées par nous
dans l'intérêt même des victimes, afin
de pas rendre leur situation plus lourde et insupportable
"
On sait que le désir de Jean-Paul II est d'ouvrir l'ensemble
des archives vaticanes aux historiens. Elles confirmeront
sans doute que la conviction de Pie XII fut très claire
: la moindre parole publique de sa part aurait, à coup
sûr, accéléré la répression
et amplifié le drame. Fallait-il en prendre le risque.
S'il l'avait pris, on l'en accuserait sans doute aujourd'hui.
En conscience, Pie XII a choisi le silence public et l'action
discète la plus efficace possible. Qui peut aujourd'hui
le lui reprocher ?
François Garnier
Archevêque de Cambrai
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