Chers frères et soeurs en Christ,
Le Dimanche 4 novembre dernier, le Cardinal Louis-Marie Billé
présidait à Lourdes dans la basilique saint
Pie X la célébration eucharistique qui inaugurait
les travaux de notre assemblée plénière.
Il nous invitait à entrer avec lui dans le sacrifice
eucharistique. Ce n'était pas sans émotion ni
question que nous répondions à son appel. Nous
venions d'apprendre la maladie qui l'avait touché.
Lui-même en portait sur son visage et dans son corps
les premiers stigmates. Quelques heures plus tard, il allait
annoncer publiquement sa démission de la présidence
de la Conférence. Une interrogation nous habitait alors,
une question qui est celle de beaucoup aujourd'hui : pourquoi
Seigneur ? Pourquoi notre frère Louis-Marie est-il
atteint ainsi alors que son diocèse a tant besoin de
son pasteur, que son expérience, ses grandes qualités
d'intelligence et de cur sont particulièrement
précieuses non seulement à l'Eglise qui est
en France, mais aussi à l'Eglise universelle ? Notre
cri vers Dieu était à la mesure de l'affection
et de l'estime que nous lui portions.
Le Cardinal Billé était au plus profond de
lui-même un pasteur, un pasteur tout donné à
son peuple, à Laval tout d'abord, à Aix-en-Provence
ensuite puis, depuis près de quatre ans, ici, à
Lyon. Président de la Conférence des évêques,
il voulait accomplir avec soin ce que cette responsabilité
requérait mais -j'ai pu m'en rendre compte- il ne s'attardait
pas à Paris. Le premier train pour rentrer à
Lyon était le bon. Il souhaitait retrouver ses diocésains.
Il regrettait parfois que la lourdeur de sa tâche nationale
ne lui donne pas toujours la disponibilité de temps
et d'esprit pour vivre rencontres et découvertes au
plus près du terrain. Lui-même ressentait fortement
ce que sa maladie, après la mort soudaine du Cardinal
Decourtray et la disparition rapide du Cardinal Balland, pouvait
représenter comme épreuve pour son diocèse.
Dans l'énergie qu'il mettait à vouloir se soigner
et tout faire pour surmonter son mal, il y avait beaucoup
de noblesse humaine et spirituelle mais il y avait aussi le
désir de faire tout ce qui était en son pouvoir
pour épargner, s'il était possible, une nouvelle
épreuve à son peuple.
C'est comme président de la Conférence que
toutes les qualités qui étaient les siennes
ont été mises en pleine lumière. Homme
de communion, il était attentif à chacun. Il
veillait au respect de la diversité des sensibilités
qui traversaient notre assemblée épiscopale
et plus largement des différents courants de notre
vie ecclésiale. Il invitait à rechercher le
consensus non pas par la recherche du plus petit commun dénominateur
ni encore moins par une manipulation des personnes mais par
un exposé clair et précis des enjeux, des questions
ou des difficultés à prendre en compte. Chacun
se sentait associé à la prise de décision.
Lucide sans être pessimiste, homme d'espérance
sans être naïf, il portait le souci d'inscrire
son action dans la logique exprimée par notre Lettre
aux Catholiques de France, celle d'une proposition résolue
et joyeuse de la foi dans notre société. Homme
de conviction et de dialogue, il était disponible pour
le dialogue cuménique et la rencontre avec les
représentants des autres religions. Courageux, il savait
comme l'Apôtre que : " Ce n'est pas un esprit de
peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force,
d'amour et de maîtrise de soi. " (2 Tim 1, 7) Malgré
les difficultés de toutes sortes, il gardait résolument
le cap : tout à la fois, aller au large et avancer
en eau profonde.
Or, voici que cet homme, aimé et estimé de
tous, était invité à prendre avec le
Christ une route singulière. Au cur de cette
Eucharistie que nous célébrions, je pensais
aux paroles de Jésus à Pierre, telles que nous
les relate l'apôtre Jean : " Jésus dit (à
Pierre) : " Pais mes brebis. En vérité,
en vérité, je te le dis, quand tu étais
jeune, tu nouais ta ceinture et tu allais où tu voulais
; lorsque tu seras devenu vieux, tu étendras les mains
et c'est un autre qui nouera ta ceinture et qui te conduira
là où tu ne voudrais pas. " Jésus
parla ainsi pour indiquer de quelle mort Pierre devait glorifier
Dieu ; et sur cette parole, il ajouta : " Suis-moi. "
" (Jn 21, 17-19) " Suis-moi ". Notre frère
Louis-Marie, qui n'était pas pourtant devenu vieux,
a été comme Pierre, appelé à suivre
le Christ, sur une route où lui seul pouvait marcher.
Certes, il n'a pas vécu cette marche en isolé.
Il a apprécié l'attention de ses collaborateurs
et collaboratrices, de ses amis. Il me disait aussi combien
la présence de sa famille était importante pour
lui. Au moment où ce corps, qu'il avait quelque peu
négligé jusque-là, se rappelait à
lui -et de terrible façon- il avait besoin de l'attention,
de la tendresse et de la présence constante des siens.
Il a été particulièrement entouré.
Il en était conscient, et cela l'amenait à porter
plus intensément la préoccupation de la solitude
des prêtres, de ceux dont il disait : "ils n'ont
pas la même chance que moi". Oui, il se sentait
entouré, et pourtant nous sentions bien que lui seul
pouvait donner sa réponse au Christ, que lui seul devait
parcourir le chemin singulier et mystérieux qui était
le sien.
Ce chemin du disciple peut revêtir dans nos vies bien
des formes, bien des aspects. Mais, c'est toujours le chemin
du Christ qui invite ses disciples à monter avec lui
à Jérusalem, à aller jusqu'au bout de
l'amour qui se donne : " Il n'y a pas de plus grand amour
que de donner sa vie pour ceux qu'on aime. " (Jn , 15,
13) C'est le chemin du corps livré, du sang versé.
C'est le chemin du décentrement de soi : " Si
quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il renonce à
lui-même et prenne sa croix, et qu'il me suive. En effet,
qui veut sauver sa vie la perdra ; mais qui perdra sa vie
à cause de moi et de l'Evangile, la sauvera. "
(Mc 8, 34-35) Cette parole du Christ se trouve chez Marc quelques
versets avant la scène de la transfiguration dont nous
venons d'entendre le récit. Je l'avais présente
à l'esprit lors de ma rencontre avec mon frère
Louis-Marie, samedi dernier, à Bordeaux. Je lui demandais
comment il avait vécu les jours précédents.
Avec beaucoup de maîtrise de soi et de retenue, il analysait
les différents aspects de sa situation tout en me disant
qu'il ne pensait pas qu'on puisse autant souffrir. Puis au
bout d'un moment il me dit avec ce ton qui lui était
familier: " Bien. Parlons maintenant des problèmes
de l'Eglise qui est en France". Le serviteur s'effaçait
devant son service. Le pasteur ne prêtait plus attention
à lui mais à cette Eglise qui lui était
confiée. Et je retrouvais celui qui m'avait toujours
impressionné par son discernement des situations et
sa clairvoyance. Oui, sa vie était donnée.
Ce que Louis-Marie Billé me rappelait ainsi c'est
que la fécondité évangélique ne
se confond pas avec la simple efficacité humaine. A
la différence de celle-ci qui renvoie aux seules capacités,
qualités ou initiatives de la personne, la fécondité
spirituelle a sa source dans un autre, dans l'union au Christ,
dans l'accueil de sa Parole, dans la docilité à
l'Esprit. Finalement, elle est un don de Dieu que seul peut
recevoir un cur pauvre et confiant. Louis-Marie, nourri
de la Parole, enraciné dans l'espérance, était
cet homme de confiance. N'avait-il pas pris d'ailleurs pour
devise : " Je sais en qui j'ai mis ma foi. " (2
Tm 1, 12) ?
Frères et surs, ce soir, c'est le Cardinal Billé
qui ouvre pour nous cette page qu'il avait si souvent médité
et commenté, l'évangile de la transfiguration.
Il nous invite à tourner nos regards vers le Christ
et à prendre avec Lui la route qui mène vers
Pâques. Il nous invite à la confiance. Faisant
écho à la voix céleste, c'est notre frère
qui nous dit aujourd'hui : " Celui-ci est le Fils bien-aimé.
Ecoutez-le " Puisse cette parole éclairer nos
curs et habiter maintenant notre prière. Amen.
Jean-Pierre RICARD
Archevêque de Bordeaux
Président de la Conférence des Evêques
de France
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