Au sujet des élections : que voulons-nous
vraiment pour notre société ?
Je m'exprime ici comme citoyen, avec mes convictions personnelles,
en même temps que comme évêque, avec la
conscience de mes responsabilités d'homme d'Église.
Nous nous étions préparés à la
question simple : où en est le rapport des forces politiques
en France ? Et nous sommes devant une question beaucoup plus
radicale : que devient notre société, telle
qu'elle apparaît à travers le choc ou le coup
de tonnerre de ces élections ?
Je voudrais appeler encore à la réflexion et
à l'engagement.
1. On peut dégager la signification
politique de ce premier tour. Pour cela, il faut passer
de la panique à la prise de conscience. Certains ont
joué avec la peur. Il ne faut pas s'étonner
qu'on récolte ainsi la peur, que provoquent des résultats
déséquilibrés et déséquilibrants.
Ces résultats expriment une réaction de défoulement,
notamment dans les milieux populaires, et aussi de rejet des
calculs politiciens, déconnectés des préoccupations
ordinaires des Français.
Mais tout cela manifeste une usure grave de la démocratie,
qui va jusqu'au mépris des hommes et des femmes politiques,
dont tous ne sont pas des malhonnêtes et des corrompus.
2. Ces résultats obligent à
repenser l'action politique et ses buts.
Quels sont ces buts ? Non pas de gagner pour gagner, comme
on gagne une course de chevaux. Car l'action politique n'est
pas un jeu. Elle est un travail et une lutte.
Les hommes et les femmes politiques travaillent sur la société
pour l'améliorer, en affirmant la force du pouvoir
politique, en cherchant à réduire les inégalités,
en fixant des règles à la vie économique,
pour qu'elle n'obéisse pas aux seules lois d'un
marché sans contrôle, et surtout
en empêchant la société de se refermer
sur elle-même.
Je ne peux pas oublier que l'engagement politique de notre
Église de Charente a été marqué
par la journée du samedi 15 décembre, quand
nous avons examiné, avec le président du Secours
catholique, Joël Thoraval, la situation des pauvres et
des étrangers parmi nous, et en donnant la parole à
ces pauvres et à ces étrangers.
3. On peut se demander aujourd'hui :
À quoi faut-il résister ? Pour quoi faut-il
lutter?
Il faut résister à la peur, à la haine
et au mépris. Avec réalisme et avec conviction.
Et il faut lutter pour faire reculer le désarroi chez
ceux qui souffrent de l'absence de solidarité, en leur
donnant des moyens et des raisons de vivre, en faisant progresser
la solidarité et la fraternité, pas seulement
en paroles, mais en actes.
4. Bien entendu, ces combats politiques,
pour nous, s'enracinent dans la tradition et dans la foi chrétiennes.
Nous
sommes appelés à nous interroger de façon
radicale : Que voulons-nous vraiment pour notre société
? Nous savons ce que nous ne voulons pas : nous ne voulons
pas la violence, la corruption, les inégalités,
les injustices et les mensonges.
Mais nous savons mal ce que nous voulons vraiment. À
quel prix voulons-nous que notre société soit
généreuse et fraternelle ? À quel prix
voulons-nous que tout être humain soit respecté
pour lui-même, et ne soit pas manipulé comme
un pion, selon des stratégies imposées par la
politique, la technique ou la finance ?
Il
faut aussi parler de notre identité nationale. En précisant
qu'elle s'enracine dans une mémoire commune. Cette
mémoire passe par Clovis et Jeanne d'Arc et aussi par
Victor Hugo et Jean Jaurès. Et elle inclut le grand
dialogue entre la tradition catholique et la tradition laïque.
Et il faut comprendre cette identité nationale de façon
réaliste. Car les nations, comme les personnes, portent
en elles deux pulsions antagonistes : la libido dominandi,
le désir de dominer, et la libido serviendi , le désir
de servir.
L'Évangile du Christ nous apprend à refuser
le désir de dominer et à choisir le désir
de servir. Ce refus et ce choix traversent l'action politique.
Pas besoin de faire des dessins pour l'expliquer ! À
chacun de voir, de juger et d'agir avec sa conscience, en
laissant l'Évangile façonner sa conscience.
Et puis, le dernier mot de l'Évangile, c'est toujours
Jésus Christ lui-même, et nous croyons "qu'en
sa personne, par sa Croix, il a tué la haine."
(Eph. 2, 16). Voilà aussi notre combat, qui dépasse
tous les calculs politiques, mais qui oblige à des
choix !
Claude Dagens
évêque d'Angoulême
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