"Une instrumentalisation qui
relève plus d'une conception néo-païenne
des relations entre l'Etat et la Religion que d'une conception
chrétienne"
Depuis ce dimanche 21 avril, premier tour des élections
présidentielles, notre pays traverse une période
agitée. C'est le moins que l'on puisse dire. Dans ce
contexte, beaucoup de gens s'adressent à l'église
catholique, et en particulier aux évêques, pour
leur demander d'intervenir dans le débat public. À
plusieurs reprises, ces jours-ci, je me suis trouvé
en situation d'intervenir devant des groupes de jeunes, lycéens
ou étudiants, de façon très variée.
J'ai naturellement été pressé de questions
sur les événements politiques que nous vivons.
Suite à ces rencontres, j'ai essayé de résumer
ma réflexion. J'ai aussi rencontré plusieurs
responsables de mouvements de jeunes du diocèse pour
connaître leur réaction devant le texte que voici.
Je les remercie de m'avoir ainsi aidé à mieux
comprendre les sentiments qui les animent et à mieux
préciser ma position.
1° - Il n'est pas surprenant que nous, évêques,
soyons sollicités de bien des manières pour
intervenir dans le débat électoral. En effet,
dans la mesure où le Président du FN utilise
souvent des références aux valeurs religieuses,
il est légitime que l'on nous demande si ces références
correspondent aux valeurs chrétiennes.
Sur ce point, il ne peut pas y avoir d'ambiguïté.
Pour ne prendre qu'un exemple récent : la manière
dont M. Jean-Marie Le Pen a repris une expression célèbre
du pape Jean-Paul II : "n'ayez pas peur... Entrez
dans l'espérance." est bien significative.
C'est la récupération d'une référence
chrétienne à des fins partisanes. Ici, je partage
complètement l'analyse du cardinal Lustiger. Il s'agit
bien d'un détournement de sens. Le pape invitait tous
les catholiques et tous ses auditeurs à entrer dans
l'Espérance et à "ouvrir toutes grandes
les portes au Christ." Son message était donc
universel et nous situait dans l'espérance ouverte
par la Résurrection du Seigneur. On ne peut pas rabattre
cette espérance dans les limites d'une campagne électorale.
En tout cas, si on reprend les paroles du Pape, il faut aussi
reprendre ce qu'il dit, par exemple, et entre autres, sur
la solidarité avec le Tiers-Monde, le respect des immigrés
et le refus de la torture.
Chacun le sait : cette récupération partisane
des grandes figures du christianisme n'est pas nouvelle. On
connaît la manière dont on utilise Jeanne d'Arc.
Mais il ne faut pas oublier qu'une tentative analogue vis-à-vis
de Clovis a échoué, à Reims, en 1996.
Dans tous ces exemples, il s'agit d'une instrumentalisation
qui relève bien plutôt d'une conception néo-païenne
des relations entre l'Etat et la Religion que d'une conception
chrétienne. La Foi chrétienne se doit de respecter
la distinction ouverte par Jésus de Nazareth : "rendez
à César ce qui est à César et
à Dieu ce qui est à Dieu" Elle appelle
aussi, et c'est le sens de la parabole du bon Samaritain,
au respect non pas seulement de ceux qui nous sont naturellement
proches, mais aussi de ceux qui ont besoin de notre compassion,
et dont nous avons à nous rendre proches, en
traversant la frontière de nos routines ou de nos préjugés.
Le christianisme appelle au respect de chaque personne, quelles
que soient ses origines. Il appelle en même temps à
l'ouverture à tout le genre humain, car tous les hommes
sont créés par Dieu. Ils sont donc appelés
à se respecter mutuellement. Nous ne pouvons pas idolâtrer
notre groupe de naissance, ni même notre Nation, puisque
chaque nation est une médiation qui doit vivre dans
le respect et la solidarité au milieu des autres nations,
pour le bien commun de toute l'humanité.
Pour ma part, j'ai essayé, hors de tout contexte électoral,
d'appeler au discernement sur ce qui me paraît relever
d'une forme de paganisme dans les discours et les écrits
de certains dirigeants de l'extrême droite. Je pense
donc que tout le monde m'accordera que je ne suis suspect
d'aucune complaisance pour les perspectives religieuses et
politiques de ce courant. Même si, parfois, les mots
et les expressions sont les mêmes, notre manière
de lire les Evangiles, nos valeurs et nos références
ne sont pas les mêmes. Nous n'avons pas la même
conception, entre autres, de la solidarité, de la fraternité,
de l'Etat, de la liberté religieuse, de la Nation et
de l'Europe [1]
2° -.Parmi les jeunes que j'ai rencontrés, beaucoup
m'ont demandé de publier un communiqué donnant
des consignes explicites et nominales de vote. Je leur ai
répondu qu'il ne me semble pas nécessaire de
le faire.
En effet, ce qui précède me rend assez libre
pour dire que ce discernement sur les valeurs me paraît
suffisant. Tout lecteur qui voudra bien se donner la peine
de réfléchir, pourra, à partir de là,
éclairer sa conscience. Et si je limite ainsi mon intervention
au domaine des valeurs religieuses et à leur implication
dans la vie en société, c'est précisément
pour respecter le suffrage universel et la démocratie
à laquelle nous sommes tous attachés. Je fais
donc pleinement mien le communiqué du Président
de la conférence des évêques de France,
Mgr Jean-Pierre Ricard et j'invite tous les catholiques de
mon diocèse à le prendre comme base de réflexion
pour le temps qui nous reste avant le second tour. Sans oublier
le temps de la méditation, de la prière et des
échanges. Pour nourrir et éclairer ces derniers,
je renvoie, entre autres, à quelques textes publiés
par notre Conférence, et qui sont toujours d'actualité
: "Pour une pratique chrétienne de la politique"[2]
, voté à Lourdes, en 1972 , et plus près
de nous : "réhabiliter la politique"[3]
Hippolyte Simon,
évêque de Clermon
[1] [retour
au texte] Je me permets de renvoyer les lecteurs à
mon livre : Vers une France païenne ? Cana, février
1999. En particulier au chapitre intitulé : Pour ne
pas se tromper d'alliance, p.159 et suivantes.
[2] [retour
au texte] Politique, Eglise et Foi, Pour une pratique
chrétienne de la politique, Centurion, 1972.
[3] [retour
au texte] Réhabiliter la politique, Bayard-Editions,
Cerf, Centurion, 1999
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