1. Ils ne sont pas des monstres.
Que cela nous plaise ou non, lorsque nous croisons cinq français
qui ont voté le 21 avril dernier, l'un d'entre eux
a voté pour l'extrême droite. Il n'est sans doute
pas un monstre à diaboliser : il habite près
de nous, il travaille avec nous, il est peut-être notre
ami, il est le plus souvent de condition modeste. Il faudrait
pouvoir l'écouter. Essayer de comprendre ses craintes
et ses déceptions, avant d'essayer de lui dire, avec
respect, que l'extrême droite répond mal, très
mal, aux bonnes questions qu'il se pose, parce qu'elle utilise,
à des fins égoïstes, la "peur originelle
de l'autre" qui peut toujours habiter en chacun, chacune
d'entre nous.
2. Le rétablissement de la peine de mort serait
une honte.
En aucun cas, ce rétablissement ne peut se justifier
dans une société qui jouit d'une "institution
pénale efficiente" (Jean-Paul II, Encyclique sur
"l'Évangile de la Vie" - n° 56), ce qui
est, à l'évidence, la réalité
dans notre pays.
3. La remise en cause de la construction commencée
de l'Europe serait un terrible recul.
Nos pères ont payé cher notre paix. Le mien
en porte encore les blessures. Le Charbon et l'Acier qui faisaient
les armes de la guerre, nos pères les ont transformés
en outils pour la paix. Ils ont compris que les chances de
l'ouverture des frontières l'emportaient largement
sur les risques. A nous de continuer la construction de l'Europe
patiemment, dans le respect de son esprit dont personne ne
peut dire qu'il ne vient pas, largement, de l'Esprit Saint.
4. Le rejet de la mondialisation serait une erreur.
Personne aujourd'hui ne peut l'arrêter. Chacun sait
que la seule voie est de la maîtriser. C'est un bonheur
pour moi de citer ici ce qu'écrivait Monseigneur Jacques
Delaporte, notre ancien archevêque, en avant propos
d'un texte de Justice et Paix France, en février 1999
:
"Si les chrétiens n'ont en aucune manière
l'exclusivité de cette démarche, ils ne sont
pas non plus les plus mal placés : dès la Pentecôte,
ils s'inscrivent dans un universalisme porteur d'unité
à travers les diversités personnelles et collectives.
Les chrétiens sont parmi les plus anciens " mondialistes
" ; ils n'ont aucune raison d'être angoissés
par le nouveau monde qui naît. Ils ont, en revanche,
dans la continuité de leur propre tradition, à
relier l'évolution en cours à leur conception
de l'universalisme, à l'orienter vers l'intérêt
général et spécialement celui des sans-voix,
des pauvres, des marginaux. Ils ont aussi à prendre
en compte les questions éthiques nouvelles qui se posent
à propos de notre responsabilité vis-à-vis
des générations futures dans les domaines de
l'écologie et de la biologie."
J'ajouterai que l'expérience missionnaire qui est
celle de l'Eglise, a toujours converti et fait reculer notre
peur originelle de l'autre, de l'autre différent par
sa couleur, sa peau, ou son appartenance religieuse. Nous
pouvons témoigner que nous sommes accueillis par les
frères les plus lointains et différents de nous,
mieux que nous ne savons les accueillir.
Comme évêque accompagnant la Délégation
Catholique à la Coopération, je rends grâce
à Dieu de voir chaque année plusieurs centaines
de jeunes français partir à l'étranger
pour servir, autant qu'ils le peuvent, un pays en voie de
développement. Tous nous disent à leur retour
qu'ils ont plus reçu que donné, qu'ils ont plus
appris qu'enseigné.
Comme archevêque de Cambrai, je rends grâce pour
tous les catholiques qui multiplient dans les quartiers populaires
"à risques" les lieux de rencontres et de
dialogue ainsi que les fêtes interculturelles où
l'on apprend à se respecter et à ne plus se
faire peur.
J'aime citer la parole de cette petite métisse de Dijon
qui disait au commencement d'une rencontre inter-religieuse
: "Le monde, c'est comme les fleurs, c'est plus joli
avec toutes les couleurs." Les petits enfants ont souvent
raison.
5. Le devoir de voter apparaît clairement
Beaucoup de ceux et celles, en particulier tous les jeunes,
qui n'ont pas voté hier vont peut-être manifester
aujourd'hui, au risque d'être récupérés
par ceux qui crient la haine ou saccagent beaucoup sur leur
passage. Au risque de se tromper deux fois - parce qu'ils
n'ont pas cru devoir voter hier, et parce que toute manifestation
qui dérive vers la violence fait évidemment
le jeu de ceux qui croient pouvoir assurer demain la sécurité
par la seule force - ce qui est toujours une erreur.
La manifestation souhaitable serait la manifestation silencieuse,
digne, et sans banderoles particulières - du type de
celles que l'on a déjà vues après les
attentats meurtriers des séparatistes basques.
La vraie manifestation sera de voter dimanche prochain. En
conscience... En conscience éclairée.
6. Et après le 5 mai
Tout sera à reconstruire. Il est permis d'espérer
que les plus clairvoyants, les plus déterminés
et les plus inattaquables de nos politiciens de la droite
et de la gauche classiques aient le courage de percer des
trous dans les murs qui les ont trop souvent enfermés,
afin qu'ils se rencontrent, s'écoutent et sortent du
petit jeu des intérêts de partis, et qu'ils servent
en premier ceux et celles qui souffrent trop d'injustices
répétées. "Ce que vous avez fait
aux plus petits d'entre les miens, c'est à moi que
vous l'avez fait"... Il est aussi permis d'espérer
que beaucoup de nos concitoyens, secouant leur individualisme,
prendront leur place dans la construction d'une société
plus fraternelle. Il y a des jours où il est nécessaire
de rêver... et de prier
François Garnier,
archevêque de Cambrai
|
|