Le Parlement a repris le débat sur le "projet
de loi relatif à la bioéthique". Le texte
élaboré après beaucoup d’hésitations
et adopté en première lecture par l’Assemblée
Nationale a été soumis à un examen attentif
par la Commission sénatoriale qui en avait la charge.
La presse a largement rendu compte des auditions publiques
organisées à cette fin, et en a souligné
la qualité.
Le projet de loi porte sur de multiples questions qui témoignent
de la place prise par les innovations biomédicales
dans notre société. A la suite du pape Jean-Paul
II, nous pouvons tous reconnaître en la médecine
et ses innovations, telles que les greffes de tissus et d’organes,
"une forme sublime de service de l’homme"
[1], dans
la mesure où est gardé le souci constant de
l’homme, de sa vie, de sa dignité et de sa liberté.
Il faudrait cependant se demander si aujourd’hui une
place trop grande n’est pas accordée dans notre
pays aux technosciences biomédicales, au détriment
de l’accueil et du soin des malades chroniques, des
personnes très avancées en âge ou d’autres
encore atteintes d’anomalies ou de déficiences
sources de handicaps. La plupart de ces personnes ont besoin
d’autre chose que de traitements médicaux hautement
spécialisés. Or, la grandeur d’une société
peut se mesurer au souci qu’elle a de ses membres les
plus vulnérables.
Au nom de la Conférence des évêques de
France, j’apporte tout mon soutien à la fermeté
des positions inscrites dans le projet de loi et dans la proposition
du Gouvernement à l’encontre de ce qui est couramment
appelé "clonage reproductif". Dans un tel
procédé, il ne s’agit plus de procréation
humaine, où l’enfant qui est conçu est
le fruit de l’union d’un homme et d’une
femme, union dans laquelle sera fondée la relation
de filiation. Le clonage est un mode de reproduction à
l’identique d’une seule personne ; il produit
de plus un véritable brouillage des générations
et réalise une mainmise sur des éléments
essentiels de l’identité d’un futur être
humain. Un tel mode d’appel à l’existence
et une telle prise de pouvoir sur l’identité
d’autrui sont très gravement attentatoires à
la dignité humaine, et témoignent d’un
total manque de respect pour l’enfant qui en serait
issu.
Le projet de loi aborde aussi des questions très délicates
qui concernent le respect dû à l’embryon
humain. En sa forme actuelle, il tend à récuser
toute forme de création d’embryon en vue d’une
utilisation comme matériau de recherche ou source de
cellules à utilité thérapeutique. Comment
ne pas s’en féliciter ? Une telle création
d’embryons, que ce soit par rencontre de cellules sexuelles
ou par "clonage", réduirait en effet totalement
l’embryon humain au rang de chose. Le projet de loi
ne va cependant pas jusqu’au bout de cette logique,
et fait place à la création d’embryons
en vue d’expérimenter de nouvelles méthodes
d’assistance à la procréation. On peut
espérer qu’une telle disposition, si regrettable,
sera rejetée par le Parlement.
En son état actuel, le projet de loi prévoit
que des recherches pourront être menées sur des
embryons qui auraient initialement été constitués
dans le cadre de l’assistance médicale à
la procréation. De telles recherches sont actuellement
envisagées, pour mettre au point des thérapies
nouvelles au bénéfice de personnes atteintes
de maladies aujourd’hui incurables. L’objectif
est pleinement louable. Mais se pose la question des moyens.
Dans la mesure où ces recherches lèsent les
embryons ainsi utilisés au point qu’ils ne pourront
ensuite qu’être rejetés, nous ne pouvons
qu’y voir, là aussi, une réduction de
ces embryons au rang d’objets. Or, l’embryon humain
n’est pas et ne doit pas être traité comme
une chose [2].
Le faire serait une grave transgression. Pour la première
fois, un être humain en gestation serait légalement
chosifié. La porte s’ouvrirait à de graves
dérives car nous savons les pressions économiques
considérables qui s’exercent sur de telles recherches.
Il est essentiel de considérer tout embryon comme appartenant
à l’humanité. Le stade embryonnaire est
le commencement d’une vie dont l’épanouissement,
s’il n’est pas entravé, se traduira par
la naissance d’un enfant.
Tout embryon est déjà un être humain.
Il n’est donc pas un objet disponible pour l’homme.
Il n’est pas possible de décider d’un seuil
au delà duquel l’embryon serait humain et en
deçà duquel il ne le serait pas. Nul n’a
le pouvoir de "fixer les seuils d’humanité
d’une existence singulière"[3].
Si la loi fixait d’une manière ou d’une
autre un seuil d’humanité au commencement de
la vie, comment cela ne conduirait-il pas à récuser
l’humanité de ceux qui, à l’autre
terme de la vie, auraient perdu certaines des qualités
prétendument nécessaires à la reconnaissance
de l’humain ?
Les bénéfices que l’on peut raisonnablement
attendre des recherches envisagées sur l’embryon
humain demeurent aléatoires. D’autres voies de
recherche pourraient d’ailleurs être plus explorées
qu’elles ne le sont actuellement. Mais, surtout, porter
atteinte à l’être humain au tout début
de son existence risquerait d’amener à avoir
la même attitude envers les personnes qui, en raison
de leur état de santé ou des déficiences
entraînées par la maladie ou le vieillissement,
pourraient être considérées comme ne vivant
pas une "vie vraiment humaine". Ce serait une brèche
dans la reconnaissance du respect inconditionnel dû
à l’humanité.
A Paris, le lundi 27 janvier 2003
+ Jean-Pierre Ricard
Archevêque de Bordeaux
Président de la Conférence des évêques
de France
--------------------------------------------------------------------------------------------------------
1. JEAN-PAUL II, Le médecin au service
de la personne, Discours du 3 octobre 1982.[retour]
2 . Cf. la déclaration du Conseil
permanent de la Conférence des Évêques
de France du 25 juin 2001, "L’embryon
humain n’est pas une chose." [retour]
3. JEAN-PAUL II, Les aspects légaux
et éthiques du Projet Génome humain, Discours
du 20 novembre 1993.[retour]
|
|