Parler de la pastorale du mariage et
de la famille en Europe en 10 minutes est une véritable
gageure. Je vais essayer d’en relever le défi
mais pardonnez-moi si mon exposé vous paraît
quelque peu rapide ou allusif.
1 – LES DEFIS
La pastorale du mariage et de la famille qui se développe
aujourd’hui en Europe se veut une réponse
aux profonds bouleversements qui ont marqué l’institution
familiale dans les pays européens depuis une
quarantaine d’années. En effet, la famille
et le mariage sont deux aspects de l’existence
humaine qui ont été grandement fragilisés
par des développements technologiques inédits
et par de profonds changements culturels.
On est ainsi passé du problème du divorce
à celui des "unions de fait", du problème
de l'infertilité de certains couples à
celui de l'embryon humain traité comme matériel
de laboratoire ou sélectionné selon les
attentes ou les désirs des parents, des questions
tournant autour de la pilule contraceptive dite combinée
à la banalisation de la pilule abortive. La légalisation
de l'avortement s'est rapidement étendue à
presque toute l'Europe. On en est arrivé à
mettre en doute le bien de la famille en opposant à
celle-ci d'autres "modèles". On plaide
aujourd’hui pour la reconnaissance de ce que les
sociologues désignent comme « les différents
modèles de nuptialité. » A côté
de ce qui est appelé « la famille traditionnelle
ou bourgeoise, à savoir un homme marié
à une femme et tous les deux ayant des enfants
», on parle de « famille homosexuelle »,
de « famille recomposée » ou de famille
« monoparentale ». Certains courants plaident
très fort pour l’union ou le mariage entre
personnes du même sexe et pour la possibilité
par elles d’adopter des enfants. L’approche
est subjective. On proclame très fortement qu’il
ne doit pas y avoir de discrimination entre les individus.
Chacun a le droit de vivre selon ses inclinations sexuelles.
La législation, pense-t-on, doit le permettre.
Il n’y a plus pour le législateur de normes
objectives, le critère de la moralité
devenant ce que la majorité d’une population
affirme comme devant s’imposer à tous dans
un moment et une société donnés.
Qui ne voit que cette majorité peut changer,
qu’on peut la faire bouger et que dans ce contexte,
elle reste très perméable au travail de
lobbying de certains groupes de pression qui savent
particulièrement bien se servir des médias.
Les résultats de ces évolutions marquent
fortement nos pays d’Europe, en particulier de
l’Europe de l’Ouest. D’où les
constatations qui peuvent être faites :
baisse du nombre de mariages et du taux de nuptialité
augmentation du nombre de jeunes qui cohabitent avant
le mariage, allongement de la durée de la cohabitation
et augmentation du nombre d’enfants nés
hors mariage
fragilité croissante de la stabilité et
de la fidélité des couples
acceptation et quasi-fatalisme devant le divorce
augmentation des « unions de fait » et encadrement
juridique de ces unions par l’Etat, introduit
récemment dans plusieurs pays d’Europe
(« Cohabitation légale », «
PACS », mariages entre personnes du même
sexe)
dissociation entre union sexuelle et procréation
baisse de la natalité avec ses conséquences
démographiques
recherche de la fabrication de l’enfant parfait
Cette évolution s’inscrit dans un processus
de forte sécularisation qui a touché un
certain nombre de pays européens dont la France.
Ce processus s’est traduit par l’éloignement
d’une partie de la population par rapport à
l’appartenance ecclésiale, à la
foi chrétienne. Nos pays ont été
marqués par une grave crise de transmission entre
les générations. Cela a affaibli une référence
aux valeurs chrétiennes et à la culture
religieuse.
2 – LES REALISATIONS
DE LA PASTORALE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE EN EUROPE
La pastorale du mariage de la famille a voulu relever
ces défis avec détermination et espérance,
consciente de la richesse de l’expérience
chrétienne et de la nécessité de
partager à tous les hommes sa vision de la famille
et la Bonne nouvelle dont elle est porteuse.
2.1 Mettre au centre la pastorale
de la famille
Rappelons tout d’abord que si la préoccupation
pastorale pour la famille a toujours marqué l’Eglise,
en particulier en Europe, l’émergence d’une
pastorale spécifique pour répondre aux
défis croissants touchant la famille et la vie
en Europe s’est précisée à
partir du Synode des Evêques qui s’est réuni
en octobre 1980 sur « les devoirs de la famille
chrétienne dans le monde d’aujourd’hui
». Les propositions de ce synode, confiées
par le pape Jean-Paul II au Conseil pontifical pour
la Famille qui venait d’être créé
(9 mai 1981), ont abouti au document postsynodal Familiaris
consortio (22 novembre 1981) C’est cette exhortation
apostolique qui a constitué le document de base
et aussi la charte de la pastorale familiale renouvelée.
Celle-ci a commencé dès lors à
se diffuser dans tous les diocèses d’Europe,
avec la création de multiples comités,
commissions ou services pour la pastorale familiale
établis par les Conférences épiscopales
des différents pays.
Le pape Jean-Paul II est souvent intervenu pour souligner
l’importance de cette pastorale de la famille
et de la vie et la recommander comme un des axes d’une
nouvelle évangélisation. Il écrivait
dans sa lettre apostolique Novo Millenio Ineunte, 6
janvier 2001 n° 47 : « Une attention spéciale
doit être portée à la pastorale
de la famille, d'autant plus nécessaire dans
un moment historique comme le nôtre, où
l'on enregistre une crise diffuse et radicale de cette
institution fondamentale... Il faut... faire en sorte
que, par une éducation évangélique
toujours plus complète, les familles chrétiennes
donnent un exemple convaincant de la possibilité
d'un mariage vécu de manière pleinement
conforme au dessein de Dieu et aux vraies exigences
de la personne humaine. »
Vu les défis qui touchent aujourd’hui
le mariage, la famille et la vie en Europe, il est décisif
de donner une place centrale à la pastorale familiale,
non pas comme une des dimensions particulières
de la pastorale, à côté d’autres,
mais comme un élément fondamental qui
touche tous les autres domaines de la pastorale. Pour
être plus efficace, la pastorale de la famille
doit pouvoir se développer à la façon
d’un réseau de relations, associant à
son travail tous les acteurs des différents domaines
de la pastorale.
On trouve cette centralité de la pastorale de
la famille et de la vie dans différents Directoires
de la Pastorale Familiale, en particulier le Direttorio
di Pastorale Familiare per la Chiesa in Italia publié
par la Conférence épiscopale italienne
en 1993, très complet, le Directoire de Pastorale
Familiale, publié par l’Eglise en Espagne
et les différents textes de la COMECE, en particulier
le document Plaidoyer pour une stratégie européenne
pour la famille (2005) et le document de travail du
secrétariat de la COMECE Une stratégie
familiale pour l’union européenne. Encourager
l’Union à faire de la famille une priorité.
(2004)
2.2 Evangéliser la réalité
familiale et soutenir les familles
La première tâche que doit se fixer une
pastorale du mariage et de la famille est d’aider
les couples et les familles à s’ouvrir
au don de Dieu et accueillir la vision évangélique
du couple et de la vie familiale. Les chrétiens
ont à témoigner de la réalisation
d’une promesse qui donne goût à la
vie. C’est l’expérience d’être
aimés personnellement par Dieu, d’être
pardonnés, d’être soutenus par la
fidélité même de Dieu qui fonde
l’amour conjugal et l’amour familial. Il
faut aider la famille à devenir ce qu’elle
est : une petite Eglise domestique, un lieu où
on apprend à être aimé et à
aimer, à vivre la communion dans la différence,
à s’initier à l’expérience
de foi avec tout ce que cela comporte.
La pastorale familiale dans la plupart des pays européens
a voulu ainsi soutenir le mariage, ceux qui s’y
engagent et ceux qui le vivent. Je pense à tout
ce qui a été fait pour la préparation
au mariage (Centres de préparation au mariage),
l’aide psychologique et spirituelle apportée
aux personnes mariées, le soutien par les mouvements
de spiritualité, les propositions des communautés
nouvelles en direction des couples, le soutien des veuves,
des personnes séparées, des divorcés
qui veulent rester fidèles à leur conjoint,
aux divorcés remariés. On a cherché
à soutenir les femmes confrontées à
une décision d’avortement : soutien matériel,
psychologique et spirituel.
On assiste depuis quelques années à une
redécouverte du sacrement de mariage et à
une présentation renouvelée de la Bonne
nouvelle évangélique concernant le mariage.
Avec le Christ et l’aide de son Esprit, il est
possible de fonder un couple pour la vie, de tenir dans
la durée, de vivre une réelle fidélité.
Le témoignage des couples eux-mêmes est
dans ce domaine irremplaçable. Cette foi et cette
espérance peuvent être reçues par
tous ceux pour qui tiennent dans nos sociétés
aux valeurs familiales. Ils sont bien plus nombreux
qu’on ne croit. N’oublions pas que la valeur
« Famille » reste au hit parade des valeurs
plébiscitées par les français.
Tous les sondages le révèlent.
Enfin, beaucoup de paroisses constatent que devant
le peu de contacts de beaucoup de fiancés avec
l’Eglise et avec la foi chrétienne (un
des deux fiancés souvent n’est pas catéchisé
et parfois pas baptisé…) la préparation
au mariage peut être alors un lieu de réelle
première évangélisation, un lieu
où peut être proposée une première
initiation ecclésiale. Cela est exigeant. Cela
demande un plus grand investissement que de préparer
simplement une célébration. Mais l’enjeu
apostolique en vaut vraiment la peine. Ceux qui ont
pris ces initiatives apostoliques nouvelles peuvent
en témoigner.
2-3 Promouvoir la place singulière
du mariage et de la famille dans notre société.
Veiller au respect de la vie.
Dans notre promotion du mariage et de la famille nous
ne témoignons pas d’une vision purement
confessionnelle du mariage et de la famille, d’une
vision qui ne s’adresserait qu’aux catholiques.
Nous savons que nous sommes porteurs d’une vision
de la personne, du mariage et de la famille qui s’inscrit
dans le dessein de Dieu sur l’humanité
et concerne tout homme.
Il est du devoir de l’Eglise et des chrétiens
de se mobiliser pour promouvoir et défendre le
vrai bien de l’homme. Voici quelques insistances
soulignées par la pastorale de la famille et
de la vie ces dernières années en Europe.
le respect de la place singulière de l’institution
familiale et du mariage comme cellule première
et fondamentale de la société
le refus de la relativisation de ce modèle par
ceux qui prônent l’équivalence d’autres
modes de nuptialité
l’invitation à réfléchir
sur la stabilité, la fidélité et
les moyens à prendre pour les vivre.
l’attention à la prise en compte du bien
et des droits de l’enfant qui ont droit à
avoir un père et une mère. On parle beaucoup
du droit à l’enfant et beaucoup moins du
droit de l’enfant.
le refus de la réification de l’embryon,
de la banalisation sociale de l’avortement et
de l’ouverture progressive à des pratiques
euthanasiques.
Il y a là, non seulement des interventions publiques
à faire mais aussi toute une longue formation
des consciences à développer, à
travers les âges et les différentes situations
de la vie. La pastorale de la famille doit toujours
avoir une dimension missionnaire. Il ne s’agit
pas de créer entre familles catholiques un réseau
de défense qui se refermerait sur lui-même.
Certes, ces familles ont besoin de tenir, de se soutenir,
dans un environnement peu porteur pour la vie conjugale
et familiale, mais elles doivent témoigner autour
d’elles de la vision de l’homme dont elles
sont porteuses et de l’amour qui les fait vivre.
Dans le livre du Deutéronome Dieu dit à
son peuple par l’intermédiaire de Moïse
: « J’ai mis devant toi la vie et la mort,
la bénédiction et la malédiction.
Choisis donc la vie pour que vous viviez, toi et ta
descendance. » (30, 19) Toute la pastorale de
la famille et de la vie est bien là pour redire
à tous : choisis la vie, la vraie vie, celle
qui ne déçoit pas.
Cardinal Jean-Pierre RICARD
Archevêque de Bordeaux
Président de la Conférence des évêques
de France
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