Prise de possession de la Trinité
des Monts - 5 janvier 2002
Lectures de la Fête de l'Epiphanie
Homélie du Cardinal Louis-Marie Billé
Le 22 février dernier, le Pape Jean-Paul II disait,
sur la place Saint-Pierre, aux nouveaux cardinaux : "Vous
venez de vingt-sept pays, de quatre continents, et vous parlez
des langues différentes. Cela n'est-il pas aussi un
signe de la capacité qui est celle de l'Église,
répandue désormais en tous lieux de la planète,
de comprendre des peuples avec des traditions et des langues
différentes pour porter à tous l'annonce du
Christ ? En Lui, et seulement en Lui, il est possible de trouver
le Salut... le Christ marche avec nous et guide nos pas"
(Homélie pour le Consistoire ordinaire public, n.
5).
Ce que le Saint-Père disait ce jour-là pourrait
aussi bien faire partie d'une homélie pour la fête
de l'Épiphanie, fête qui nous donne de rappeler
que l'étoile du Messie a "guidé les pas"
des mages et que "des peuples, avec des traditions et
des langues différentes", sont appelés
à connaître le Christ. Même si la date
de cette prise de possession est largement le fruit des circonstances,
je considère comme une grâce qu'elle ait lieu
en cette veille de la fête de l'Epiphanie, dans le mystère
de laquelle je suis invité à enraciner le sens
traditionnellement donné à l'appartenance au
Collège des Cardinaux. C'est dans cet esprit que je
vous invite à relire quelques instants avec moi l'Évangile
que nous venons d'entendre.
***
Tout commence par une étoile, une étoile qui
se lève. Qu'une étoile puisse indiquer la route,
voilà qui ne devrait pas étonner tous ceux et
toutes celles qui, même s'ils ont oublié l'origine
de cette expression, essaient de marcher à l'étoile.
Une étoile indique la route. Encore faut-il être
attentif à la façon dont parle l'Évangile,
attentif à la question que posent les mages : "Où
est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons
vu se lever son étoile..." Non pas seulement une
étoile, mais l'étoile du Messie, l'étoile
du Christ, l'étoile de Bethléem. Nous perdrions
notre temps si nous la cherchions quelque part dans la voie
lactée. L'étoile, ici, c'est au fond le Christ
lui-même. C'est lui qui s'est levé du creux de
notre humanité comme la lumière du monde. C'est
lui qui nous a été donné par Dieu son
Père comme la clarté qui, "en venant dans
le monde, illumine tout homme".
Telle est la lumière qui, en ce jour de l'Épiphanie,
est proposée à notre regard. Devenu homme, l'enfant
de Bethléem posera à ses disciples la question
: "Pour vous, qui suis-je ?" Il nous pose dès
aujourd'hui une question semblable : "Voulez-vous que
je sois la lumière de votre existence, l'étoile
du matin qui se lève dans vos curs ?" L'Évangile
de cette messe nous conduit vers la réponse de la foi
: quand l'étoile s'arrête au-dessus du lieu où
se trouve l'enfant, nous sommes invités à entrer
dans la maison avec les mages, à voir "l'enfant
avec Marie, sa mère", et à nous "prosterner
devant lui". Hérode peut bien se considérer
comme le roi des Juifs, mais le roi véritable, c'est
l'enfant de Bethléem, roi du monde, non parce qu'il
dominera le monde, mais parce qu'il proposera au monde la
parole de vérité, et que c'est la vérité
qui rend libre ; parce qu'il proposera au monde la parole
de l'amour, et que seul l'amour rassemble les hommes dans
l'unité de la paix.
***
Ce n'est pas pour rien que cette fête, qui nous amène
à Bethléem, s'appelle l'Épiphanie, la
manifestation. C'est en effet le mystère d'une double
manifestation qui est proposé à notre réflexion
et à notre prière. Manifestation du Messie d'Israël
aux païens : à travers les mages, c'est à
toutes les nations que Dieu révèle son Salut.
Manifestation aussi, à Israël, de ce que les païens
sont appelés à avoir part à la promesse,
à "être associés au même héritage".
Par l'Alliance avec son peuple, Dieu a montré que son
amour est toujours un amour d'élection, un amour qui
choisit. Mais lorsque les temps sont accomplis, ce même
amour se dévoile comme étant pour tous, amour
qui choisit chacun et qui pourtant n'exclut personne.
Si les mages sont venus, c'est parce que la lumière
du Christ éclairait déjà leur cur.
Mais il leur a fallu demander leur route. Et la fin de leur
itinéraire leur a été indiquée
par le prophète, dont les scribes d'Israël ont
relu les paroles sans lesquelles il n'aurait pas été
possible d'identifier l'enfant dont Dieu, pour emprunter les
mots de saint Paul, "faisait connaître le mystère".
Aujourd'hui encore, pour rencontrer Celui dont la lumière
éclaire secrètement leur cur, les hommes
ont besoin de la Parole de Dieu. Et ils la trouvent dans le
livre de la Parole que l'Église ne cesse d'accueillir,
d'ouvrir, de donner à comprendre.
***
Je voudrais insister, pour finir, sur la démarche
même des mages, telle que l'Évangile peut nous
inviter à l'entrevoir ou à l'imaginer. Ils se
présentent d'abord comme des hommes qui se mettent
en route. Mais ils devront se remettre en route. Ce n'est
pas du premier coup que l'étoile s'est arrêtée
au-dessus du lieu où se trouvait l'enfant. En nos temps
de fidélité difficile, les mages ne sont-ils
pas un beau symbole ? Il n'y a pas de chemins de la vie qui
soient purement linéaires. Il n'y a de chemins que
ceux au long desquels il faut sans cesse repartir. Le Saint-Père
disait, dans son homélie du 22 février à
laquelle j'ai fait allusion tout à l'heure : "Tout
chrétien sait qu'il est appelé à une
fidélité sans compromis, qui peut exiger même
l'ultime sacrifice". De cette fidélité,
la joie fut, pour les mages, le fruit. "Quand ils virent
l'étoile, ils éprouvèrent une très
grande joie".
L'Évangile de ce jour se termine de manière
fort simple. "Ils regagnèrent leur pays par un
autre chemin". Il semble bien que saint Matthieu ne s'intéresse
pas particulièrement à la suite de l'histoire
des mages. C'est comme si le récit se terminait sans
vraiment se terminer. La suite, c'est à l'Église
qu'il a été donné de l'écrire
depuis deux mille ans. La suite, chacun et chacune de nous
a, pour sa part, à l'écrire. Alors que commence
la deuxième année du XXIe siècle, nous
sentons, avec plus de force peut-être qu'il y a un an,
comment l'humanité tout entière se demande à
la lumière de quelle étoile elle va poursuivre
la route.
Nous à qui il est donné d'aller avec les mages
au rendez-vous de Bethléem, nous ne pouvons pas ne
pas en recevoir une responsabilité. De Bethléem,
nous repartons par le chemin de notre propre vie. Mais si
l'étoile s'est levée en notre cur, il
n'est pas possible que nous n'en disions rien à ceux
qui cherchent la route. Il n'est pas possible que nous ne
soyons pas en communion avec cette Église que le Successeur
de Pierre, en particulier en cette fête de l'Épiphanie,
appelle à la rencontre de tous ceux qui sont appelés
à "marcher vers la lumière".
Louis-Marie Cardinal BILLE
Archevêque de Lyon
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