Frères et Soeurs,
Voici un Evangile polémique. Jésus dénonce
le comportement des scribes et des pharisiens : "Les
scribes et les pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse.
Pratiquez donc et observez tout ce qu’ils peuvent vous
dire. Mais n’agissez pas d’après leurs
actes." Il y a là la trace de conflits que Jésus
a du rencontrer pendant sa vie avec un certain nombre de responsables
religieux. Ne faisons pas pourtant de généralisation
hâtive : tous les pharisiens ne ressemblaient pas à
ceux que Jésus dénonce. Il y a eu parmi eux
de grands spirituels et des témoins d’une réelle
sainteté. De plus, n’affaiblissons pas la pointe
de ce texte en disant que les paroles de Jésus ne nous
concerneraient pas car elles viseraient seulement le comportement
de personnages depuis longtemps disparus. Non, ce texte nous
concerne. Il nous questionne tous aujourd’hui.
Jésus dénonce tout d’abord l’hypocrisie
: "Ils disent mais ne font pas." C’est le
décalage bien connu, pour ne pas dire la contradiction,
entre ce qui est demandé aux autres et ce qu’on
fait soi-même, entre ce qu’on impose aux autres
à cause de l’autorité qu’on a et
ce qu’on s’impose à soi-même. Faire
soi-même ce qu’on dit, c’est là une
exigence de la vérité qui doit habiter tous
ceux qui sont en situation d’autorité ou de responsabilité
: évêques, prêtres, parents, éducateurs…
Mais Jésus n’en reste pas qu’à
ce seul registre. Il dénonce le détournement
de la religion à des fins personnelles. C’est
la tentation de l’homme religieux qui, au lieu de servir
Dieu, de s’effacer devant lui, de le mettre vraiment
au centre de sa vie, se met lui-même au centre, se sert
de Dieu et de la religion pour assouvir sa soif de pouvoir,
asseoir sa respectabilité sociale ou répondre
à son besoin de paraître. "Ils aiment
les places d’honneur dans les repas, les premiers rangs
dans les synagogues, les salutations sur la place publique."
Cet homme assoiffé d’honneurs est littéralement
fasciné par l’image qu’il veut donner de
lui-même et par celle que les autres lui renvoient.
Jésus dans le désert a lui-même été
confronté à cette tentation du détournement
à son profit du service de Dieu. Au tentateur pourtant
il répondra : "Il est écrit : Tu adoreras
le Seigneur ton Dieu et c’est à lui seul que
tu rendras un culte" (Lc 4, 8). Cette tentation
peut nous guetter tous, nous aussi ; elle peut guetter l’Eglise.
Sommes-nous signe ou écran ? Sommes-nous serviteurs
ou gérants établis à notre compte ? Accumulons-nous
les titres d’enseignant, de père et de docteur
(ou de maître) ou bien renvoyons-nous tout cela au seul
qui l’est en plénitude : le Seigneur, Celui dont
nous ne sommes que les serviteurs ? "Qui s’élèvera
sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé."
S’il y a quelqu’un qui a refusé de jouer
au notable, de centrer les regards sur lui, c’est bien
l’apôtre Paul. Certes, Paul a une personnalité
forte avec qui il n’a pas du être facile de vivre
tous les jours. Il sait se défendre quand il est attaqué.
Et pourtant, il ne centre jamais les gens sur sa personne.
Il est attentif à ses interlocuteurs, à ces
auditoires qui l’écoutent, à ces communautés
qu’il a fondées. Il se présente aux chrétiens
de Corinthe comme un père qui les a engendrés
dans la foi (1 Co 4, 15), aux chrétiens de Thessalonique
comme une mère qui nourrit ses enfants et prend soin
d’eux. Mais surtout, il renvoie sans cesse à
un autre, le Christ et il sait que dans l’activité
missionnaire de l’apôtre, c’est un autre
qui agit, c’est le Seigneur. Lui, Paul, n’en est
que le serviteur. Il dira aux Corinthiens : "Moi,
j’ai planté, Apollos a arrosé, mais c’est
Dieu qui faisait croître. Ainsi, celui qui plante n’est
rien, celui qui arrose n’est rien : Dieu seul compte,
lui qui fait croître…Car nous travaillons ensemble
à l’œuvre de Dieu et vous êtes le
champ que Dieu cultive, la maison qu’il construit"
(1 Co 3, 6-7, 9). La grande conviction de Paul, c’est
que Dieu est à l’œuvre, c’est que
sa Parole touche les cœurs, convertit les esprits, change
les vies. Il rappellera aux Thessaloniciens : "Quand
vous avez reçu de notre bouche la parole de Dieu, vous
l’avez accueillie pour ce qu’elle est réellement
: non pas une parole d’hommes, mais la parole de Dieu
qui est à l’œuvre en vous, les croyants."
Aujourd’hui, c’est Paul qui nous invite à
nous exposer à la Parole de Dieu. Il sait qu’elle
porte du fruit chez celui qui l’accueille. Dieu ne dit-il
pas par la bouche du prophète Isaïe : "De
même que la pluie et la neige descendent des cieux et
n’y retournent pas sans avoir arrosé la terre,
sans l’avoir fécondée et l’avoir
fait germer pour fournir la semence au semeur et le pain à
manger, ainsi en est-il de la parole qui sort de ma bouche,
elle ne revient pas vers moi sans effet, sans avoir accompli
ce que j’ai voulu et réalisé l’objet
de sa mission" (Is 55, 10-11). Sommes-nous vraiment
à l’écoute de la Parole de Dieu, attentifs
et disponibles à ses appels ? Notre foi se nourrit-elle
suffisamment de l’Evangile, de la Bible. Celle-ci est
mise aujourd’hui à notre disposition de multiples
manières.
Sachons écouter, lire, méditer l’Ecriture
comme cette Parole que Dieu nous adresse. Elle sera alors
lumière sur le chemin, pain pour la route. Elle établira
nos cœurs dans la paix, dans la confiance, dans la disponibilité
à la volonté de Dieu. Elle nous donnera courage
dans les épreuves, assurance face aux difficultés.
Seigneur, donne-nous faim et soif de ta Parole.
Seigneur, donne à tes serviteurs, les évêques,
les prêtres et les diacres de se nourrir eux-mêmes
de cette Parole et d’en rompre le pain avec tous. Amen.
Jean-Pierre RICARD
Archevêque de Bordeaux
Président de la Conférence des Evêques
de France
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