9 Exulte de toutes
tes forces, fille de Sion !
Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem !
Voici ton roi qui vient vers toi ;
il est juste et victorieux,
humble et monté sur un âne,
un âne tout jeune. 10 Ce roi fera disparaître
d'Ephraïm les chars de guerre,
et de Jérusalem les chevaux de combat ;
il brisera l'arc de guerre,
et il proclamera la paix aux nations.
Sa domination s'étendra d'une mer à l'autre,
et de l'Euphrate à l'autre bout du pays.
Première remarque : l’expression « fille
de Sion » ou « fille de Jérusalem »
ne désigne pas une personne précise, une certaine
jeune fille ou jeune femme qui serait originaire de Jérusalem
(Sion ou Jérusalem, c’est la même chose).Cette
expression désigne la ville elle-même ; c’est
exactement comme si le prophète disait : « Jérusalem,
réjouis-toi ». Et pourquoi Jérusalem doit-elle
se réjouir ? Cela m’amène à ma
deuxième remarque : justement l’heure n’est
pas à la joie !
Deuxième remarque : le ton général de
ces versets est triomphant ; mais nous savons bien que c’est
toujours signe de période difficile : cette prédication
de Zacharie a certainement été prononcée
en temps de guerre : c’est ce qu’on appelle un
oracle de consolation. Cela explique des phrases telles que
« Ce roi fera disparaître d’Ephraïm
les chars de guerre, et de Jérusalem les chevaux de
combat ; il brisera l’arc de guerre, et il proclamera
la paix aux nations. » On situe généralement
ce texte au début de la domination grecque (donc vers
330) après les conquêtes éclair d’Alexandre
; c’est un moment où, plus que jamais, il faut
se raccrocher à l’espérance d’une
intervention de Dieu.
Je reprends cette annonce de Zacharie :
les termes qu’il emploie sont ceux qui désignaient
habituellement le Messie. On attendait un roi qui apporterait
la justice et la paix pour tous. C’est exactement ce
que promet Zacharie : « Voici ton roi qui vient vers
toi ; il est juste et victorieux... Ce roi fera disparaître
d'Ephraïm les chars de guerre, et de Jérusalem
les chevaux de combat ; il brisera l'arc de guerre... Sa domination
s'étendra d'une mer à l'autre, et de l'Euphrate
à l'autre bout du pays. » Jusqu’ici, il
n’y a rien de particulièrement neuf dans les
paroles de Zacharie ; d’autres paroles prophétiques
ou des psaumes disaient déjà à peu près
la même chose ; par exemple je vous rappelle quelques
versets du psaume 72 (71) : « Dieu confie au roi tes
pouvoirs, à ce fils de roi ta justice. Qu’il
gouverne ton peuple avec justice... Qu’il domine d’une
mer à l’autre, et du Fleuve jusqu’au bout
de la terre. » Ce qui est audacieux dans les paroles
de Zacharie, c’est de proclamer ce message d’espérance
à un moment précisément où on
aurait de bonnes raisons de penser que tout espoir est perdu.
Mais j’ai laissé de côté
jusqu’ici trois affirmations de Zacharie ; la première
n’est pas exactement une nouveauté mais elle
mérite d’être notée : « Il
proclamera la paix aux nations ». C’est seulement
depuis l’Exil à Babylone que le peuple juif a
pris conscience que le projet de Dieu englobait l’humanité
tout entière. Voici la deuxième : « Ce
roi fera disparaître d’Ephraïm les chars
de guerre, et de Jérusalem les chevaux de combat...
». Discrètement, au passage, le texte annonce
la restauration et la réunification de l’antique
royaume de David ; pour l’instant, quand ce texte est
écrit, il n’en reste plus grand chose : le Nord
(Ephraïm) comme le Sud (Jérusalem) qui avaient
perdu depuis bien longtemps leur unité, ont perdu également
toute souveraineté.
Enfin, la troisième affirmation de Zacharie est véritablement
une nouveauté : « (Voici ton roi qui vient vers
toi) humble et monté sur un âne, un âne
tout jeune. » Or l’âne était considéré
comme une monture modeste : les conquérants d’Alexandre
étaient autrement mieux montés. Et à
Jérusalem même, le roi Salomon avait introduit
le cheval comme monture de guerre et aussi de parade ; on
lui a assez reproché ses goûts de grandeur. On
n’avait pas l’habitude de voir un roi sur un âne.
Isaïe, c’est vrai, avait déjà entrevu
un Messie humble : il annonçait un Serviteur de Dieu,
humble et fidèle, qui accomplira l’oeuvre de
Dieu et n’hésitera pas à affronter la
persécution ; il la subira, mais c’est dans sa
souffrance même que son peuple trouvera le chemin de
la paix et de la réconciliation avec Dieu. (C’était
dans les chants du Serviteur : Is 50, 6 ; 53,7) ;
Il faut noter que ce Serviteur d’Isaïe ne porte
absolument pas le titre de roi, mais il est néanmoins
présenté comme un Messie, en ce sens, d’une
part, qu’il accomplit bien l’oeuvre du Messie
attendu et, d’autre part, qu’il est rempli de
l’Esprit de Dieu comme doit l’être le Messie.
Au contraire, le Messie de Zacharie est d’emblée
présenté comme un Roi : il représente
donc l’attente traditionnelle du Messie-Roi ; mais la
nouveauté du texte de Zacharie, c’est qu’il
combine cette attente traditionnelle du Messie-Roi avec celle
de l’humilité du Serviteur décrit par
Isaïe : puisque son roi est humble : finis les rêves
de grandeur, de guerre, de puissance ; une seule chose compte
à ses yeux : instaurer la paix pour son peuple.
Les quatre récits de l’entrée triomphale
de Jésus à Jérusalem ressemblent très
fort à la venue de ce roi monté sur un âne.
Matthieu (Mt 21, 5) et Jean (Jn 12, 15) citent même
expressément ce passage. Peut-être Jésus
lui-même a-t-il cité ce texte aux disciples d’Emmaüs
? Puisque Luc nous dit qu’il a relu avec eux dans les
Ecritures tout ce qui le concernait (Lc 24, 27). Or, de toute
évidence, ce texte concerne bien le Messie, mais d’une
manière nouvelle pour son époque.
Pourquoi les évangiles s’intéressent-ils
tant à ce texte de Zacharie ? Parce que, dans un premier
temps après la mort et la Résurrection de Jésus,
les apôtres ont été confrontés
à un mystère inexplicable : pour eux, qui étaient
témoins de la Résurrection de Jésus,
il ne faisait pas de doute que celui-ci était le Messie
; mais il était doux, humble et pacifique, c’est-à-dire
bien différent du roi triomphant qu’ils imaginaient
spontanément. C’est alors que ce texte de Zacharie
(tout comme les chants du Serviteur d’Isaïe) leur
est apparu comme un chemin pour entrer dans « l’intelligence
des Ecritures ».
PSAUME 144 ( 145 ), 1-2, 8-9, 10-11, 13c-14
1 Je t'exalterai, mon
Dieu, mon roi,
je bénirai ton nom toujours et à jamais ! 2 Chaque jour je te bénirai,
je louerai ton nom toujours et à jamais.
8 Le Seigneur est tendresse
et pitié,
lent à la colère et plein d'amour : 9 la bonté du
Seigneur est pour tous,
sa tendresse pour toutes ses oeuvres.
10 Que tes oeuvres,
Seigneur, te rendent grâce
et que tes fidèles te bénissent ! 11 Ils diront la gloire
de ton règne,
ils parleront de tes exploits.
13 Le Seigneur est vrai
en tout ce qu'il dit,
fidèle en tout ce qu'il fait. 14 Le Seigneur soutient
ceux qui tombent,
il redresse tous les accablés.
On
sait bien que le psautier tout entier en hébreu s’appelle
« louanges » ; mais ce psaume précis est
l’unique du psautier à être intitulé
« louange » : ce qui explique le vocabulaire et
le ton émerveillé des versets que nous venons
d’entendre ; et le motif particulier de la louange,
c’est la royauté du Dieu de l’Alliance
; à l’occasion d’une célébration
de renouvellement de l’Alliance, Israël contemple
le roi qui lui a accordé sa protection, gratuitement,
sans mérite de sa part. On ne s’étonne
donc pas de l’importance du vocabulaire royal : «
Je t’exalterai, mon Dieu, mon Roi »... et encore
« tes fidèles diront la gloire de ton règne,
ils parleront de tes exploits ».
Puisqu’il s’agit d’un psaume d’action
de grâce pour l’Alliance, il est ce qu’on
appelle un psaume « alphabétique » : manière
de dire « toute notre vie, de A à Z, (en hébreu
de Aleph à Tav) baigne dans l’Alliance, dans
la tendresse de Dieu. Deuxième remarque quant à
la forme : le parallélisme d’une ligne à
l’autre de chaque verset est particulièrement
accentué : cela vaudrait la peine de le lire à
deux voix ou deux choeurs alternés.
Comme toujours, ce parallélisme est instructif :
par exemple, la juxtaposition des deux derniers versets que
nous propose la liturgie de ce dimanche est surprenante à
première vue : « Le Seigneur est vrai en tout
ce qu’il dit, fidèle en tout ce qu’il fait
/ Le Seigneur soutient ceux qui tombent, il redresse tous
les accablés. » Un peu plus loin, deux autres
versets offrent exactement ce même parallélisme
: « Le Seigneur est juste en toutes ses voies, fidèle
en tout ce qu’il fait / Il est proche de ceux qui l’invoquent,
de tous ceux qui l’invoquent en vérité.
» Cela veut dire que la justice de Dieu, la vérité,
la fidélité de Dieu ne sont rien d’autre
que sa miséricorde ; cela veut dire encore que la plus
grande justice au monde n’est pas celle de la balance,
elle est celle de l’amour ! Cela veut dire enfin que
si nous vivons « selon l’Esprit de Dieu »
comme nous le recommande Saint Paul, dans la lettre aux Romains
(cf la deuxième lecture de ce dimanche), nous allons
nous engager sur la voie de cette étrange justice qui
est synonyme de miséricorde.
Car le Roi dont il est question ici n’est pas un roi
comme ceux qu’on connaît sur la terre. C’est
un roi à la fois tout-puissant et bon : il ne veut
que notre bonheur... Voilà la découverte qu’Israël
a faite au long de son histoire. Quand on parle de la puissance
de ce roi pas comme les autres, on sait que sa puissance n’est
qu’amour : « Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ».
C’est le meilleur résumé qu’on puisse
donner de toute la révélation biblique : Et
là Israël parle d’expérience : combien
de fois, en particulier pendant l’Exil à Babylone,
n’a-t-il pas invoqué son Dieu et supplié
pour obtenir son pardon et son retour ?... Désormais,
le peuple rassemblé dans le Temple reconstruit, chante
de tout son coeur : « Que tes oeuvres, Seigneur, te
rendent grâce et que tes fidèles te bénissent
!... Je t’exalterai, mon Dieu, mon roi, je bénirai
ton nom toujours et à jamais ! Chaque jour je te bénirai,
je louerai ton nom toujours et à jamais. »
Et sa mission, il le sait, est de le chanter assez fort pour
que tous le sachent : la richesse de pardon, la tendresse
et la pitié du Seigneur, elles sont POUR TOUS ! «
La bonté du Seigneur est pour tous, sa tendresse pour
toutes ses oeuvres ». Cette universalité du projet
de Dieu, les hommes de l’Ancien Testament l’avaient
peu à peu comprise : Dieu aime toute l’humanité
et son projet d’amour, son « dessein bienveillant
» concerne toute l’humanité et toute la
création.
Pour nous Chrétiens, qui avons relu la prophétie
de Zacharie (dans la première lecture de ce dimanche),
le chant de ce psaume est saisissant : Zacharie dessine le
portrait du Messie à venir ; comme la majorité
des Juifs, il le voit comme un roi, descendant de David ;
mais ce roi, au lieu de chercher son propre intérêt
et de satisfaire ses rêves de grandeur et de conquêtes,
se consacrera exclusivement au service de son peuple : il
fera taire définitivement les armes ; en cela, il sera
vraiment le fidèle exécutant des projets de
Dieu. Evidemment, Jésus de Nazareth, le doux et humble
de coeur, répond bien au portrait de Zacharie. Plus
saisissant encore, est le premier verset qui prend un relief
nouveau, si l’on pense à Jésus : «
Je t’exalterai, mon Dieu, mon roi... » Car il
est bien Dieu et roi, notre Messie.
Pour terminer, si l’on se rapporte au texte complet
de ce psaume, on lui découvre une parenté très
grande avec le Notre Père : par exemple, le Notre Père
s’adresse à Dieu à la fois comme à
un Père ET comme à un roi : un père qui
est le Dieu de tendresse et de pitié dont parle ce
psaume... un roi dont le seul objectif est le bonheur de tous
les hommes. « Notre Père... donne-nous... pardonne-nous...
délivre-nous du mal... »... que ton Règne
vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme
au ciel ... » parce qu’on sait que sa volonté
est, comme dit Saint Paul , « que tous les hommes soient
sauvés et parviennent à la connaissance de la
vérité ». (1 Tm 2,4).
On comprend que ce psaume 144 soit devenu la prière
du matin du peuple qui le premier a appris à parler
à Dieu comme à un père. On ne s’étonne
pas non plus que ce psaume figure dans la prière juive
de chaque matin : pour le juif croyant, le matin (l’aube
du jour neuf) évoque irrésistiblement l’aube
du JOUR définitif, celui du monde à venir, celui
de la création renouvelée... Si nous allons
un peu plus loin dans la spiritualité juive, le Talmud
(l’enseignement des rabbins des premiers siècles
après J.C.), affirme que celui qui récite ce
psaume trois fois par jour, « peut être assuré
d’être un fils du monde à venir ».
DEUXIEME LECTURE - Romains 8, 9. 11-13
6Frères, 9 vous n'êtes pas
sous l'emprise de la chair,
mais sous l'emprise de l'Esprit,
puisque l'Esprit de Dieu habite en vous.
Celui qui n'a pas l'Esprit du Christ ne lui appartient pas. 11 Mais si l'Esprit de
celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts
habite en vous,
celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts
donnera aussi la vie à vos corps mortels
par son Esprit qui habite en vous. 12 Ainsi donc, frères,
nous avons une dette,
mais ce n'est pas envers la chair ;
nous n'avons pas à vivre sous l'emprise de la chair. 13 Car si vous vivez
sous l'emprise de la chair,
vous devez mourir ;
mais si, par l'Esprit,
vous tuez les désordres de l'homme pécheur,
vous vivrez.
COMMENTAIRE
La grosse difficulté
de ce texte est dans le mot « chair » : chez Saint
Paul, il n’a pas le même sens que dans notre français
courant du vingt-et-unième siècle. Nous, nous
sommes tentés d’opposer deux composantes de l’être
humain que nous appelons le corps et l’âme et
nous risquons donc de faire un épouvantable contresens
: quand Paul parle de chair et d’esprit, ce n’est
pas du tout cela qu’il a en vue. Ce que Saint Paul appelle
« chair », ce n’est pas ce que nous appelons
le corps ; ce que Paul appelle l’Esprit, ce n’est
pas ce que nous appelons l’âme. D’ailleurs
Paul précise plusieurs fois qu’il s’agit
de l’Esprit de Dieu, ou encore il dit « l’Esprit
du Christ ». Et encore, si on y regarde de plus près,
il n’oppose pas deux mots « chair » et «
Esprit », mais deux expressions « vivre selon
la chair » et « vivre selon l’Esprit ».
Pour lui, il faut choisir entre deux modes de vie ; ou pour
le dire autrement, il faut choisir nos maîtres, ou notre
ligne de conduite, si vous préférez.
Vivre « selon la chair », pour Saint Paul, c’est
vivre sans Dieu, vivre de nos seules forces, enfermé
dans les limites de l’intelligence et des forces humaines
; évidemment, cela ne va pas loin ! Ou plutôt
si, cela peut aller très loin, mais dans le mauvais
sens. (Nous retrouvons, comme toujours chez Paul, le thème
des deux voies). Car vivre sans Dieu finit toujours par vouloir
dire vivre loin de Dieu, et d’un éloignement
qui ne peut que s’aggraver. C’est ce que Paul
a décrit dans les premiers chapitres de cette lettre
aux Romains. Pour reprendre les images de la Genèse,
vivre selon la chair, c’est vivre comme Adam : il veut
devenir comme Dieu, mais sans l’aide de Dieu : il se
trompe. Nous aussi, à nos heures, qui cherchons notre
bonheur tout seuls, sans lui, ou même contre lui, sans
nous apercevoir que c’est le meilleur moyen de faire
notre malheur.
Au contraire, vivre « selon l’Esprit
», c’est nous laisser guider par lui, et donc
vivre de la force de Dieu : cela change tout ! Or la grande
nouvelle de ce texte, c’est « L’Esprit de
Dieu habite en vous » donc « vous n’êtes
pas sous l’emprise de la chair, mais sous l’emprise
de l’Esprit ». Le mot « habiter »
revient trois fois dans le texte d’aujourd’hui,
c’est dire l’importance que Paul y attache : or,
celui qui habite la maison, c’est le maître, c’est
lui qui dirige. Nous sommes donc devenus littéralement
des maisons de l’Esprit : c’est lui qui commande
désormais.
Encore faut-il savoir quelle place nous
lui laissons dans notre maison ; car nous sommes libres d’ouvrir
plus ou moins la porte. Dans de nombreux textes, Paul insiste
sur notre liberté : « vous n’êtes
plus sous l’emprise de la chair » signifie que
nous ne sommes plus esclaves des forces du mal, que nous avons
désormais la force de faire triompher les vraies valeurs
: l’amour, la paix, la vérité, la justice.
Nous en avons la force, mais nous n’y sommes pas obligés
non plus : à chaque instant, le choix est à
refaire. Plus nous laisserons de place à l’Esprit
Saint dans notre maison (c’est-à-dire plus nous
ferons ce qu’il nous souffle de faire dans la voie de
l’amour, de la bienveillance, du pardon), plus nous
serons des vivants.
Avant sa conversion, Paul appliquait des
quantités de règles morales et religieuses avec
beaucoup de fidélité mais l’Esprit du
Christ n’habitait pas en lui ; il vivait encore «
sous l’emprise de la chair ». Et cela pouvait
l’amener à la violence et au meurtre, avec la
meilleure foi du monde. Désormais, sa vie tout entière
est inspirée par l’Esprit du Christ, jusqu’à
pouvoir dire : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est
le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20).
Nous aussi, depuis notre Baptême,
nous pouvons laisser l’Esprit prendre possession de
notre maison. Paul en déduit deux conséquences
: premièrement, nous ressusciterons avec le Christ
; c’est une promesse pour le futur : l’Esprit
exercera en nous sa puissance et réalisera en nous
ce qu’il a réalisé en Jésus-Christ
: « Si l’Esprit de Celui qui a ressuscité
Jésus d’entre les morts habite en vous, Celui
qui a ressuscité Jésus d’entre les morts
donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit
qui habite en vous. » Deuxièmement, dès
maintenant, notre vie est transformée, comme l’a
été celle de Paul, car, désormais, nous
sommes « sous l’emprise de l’Esprit ».
« Je mettrai mon esprit en vous et vous vivrez »
annonçait le prophète Ezéchiel ; Paul
parle souvent de cette nouvelle vie spirituelle qui est la
nôtre depuis notre Baptême : tout en demeurant
encore dans notre corps mortel, nous pouvons déjà
vivre de l’Esprit du Christ. C’est ce que Saint
Jean appelle la « vie éternelle ».
Concrètement, on voit bien ce que
cela veut dire, il suffit de remplacer le mot « Esprit
» par le mot « amour » : « vivre selon
l’Esprit » c’est se laisser souffler par
lui des paroles et des gestes d’amour. Quelques chapitres
plus haut, Paul écrivait aux Romains : « L’amour
de Dieu a été répandu dans nos coeurs
par l’Esprit Saint qui nous a été donné.
» (Rm 5, 5). Et dans la lettre aux Galates, il explique
ce que sont les fruits de l’Esprit : « joie, paix,
patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise
de soi », (Ga 5, 22) en un mot l’amour décliné
selon toutes les circonstances concrètes de nos vies.
Paul, en cela, est bien l’héritier de toute la
tradition des prophètes : tous affirment que notre
relation à Dieu se vérifie dans la qualité
de notre relation aux autres ; et dans les chants du Serviteur,
en particulier, Isaïe affirme que vivre selon l’Esprit
de Dieu, c’est aimer et servir nos frères. Comme
dit Saint Jean (1 Jn 3, 14) : « Qui n’aime pas
demeure dans la mort... Nous, nous savons que nous sommes
passés de la mort à la vie (la vraie vie s’entend)
parce que nous aimons nos frères ».
EVANGILE- Matthieu 11, 25 - 30
25 En ce temps-là,
Jésus prit la parole :
« Père, Seigneur du ciel et de la terre,
je proclame ta louange :
ce que tu as caché aux sages et aux savants,
tu l'as révélé aux tout-petits. 26 Oui, Père,
tu l'as voulu ainsi dans ta bonté. 27 Tout m'a été
confié par mon Père ;
personne ne connaît le Fils, sinon le Père,
et personne ne connaît le Père, sinon le Fils
et celui à qui le Fils veut le révéler. 28 Venez à moi,
vous tous qui peinez sous le poids du fardeau,
et moi, je vous procurerai le repos. 29 Prenez sur vous mon
joug,
devenez mes disciples,
car je suis doux et humble de coeur,
et vous trouverez le repos. 30 Oui, mon joug est
facile à porter,
et mon fardeau léger. »
COMMENTAIRE
« Prenez
sur vous mon joug » dit Jésus ; là-bas
on savait bien ce qu’est un joug : une pièce
de bois, très lourde, très solide, qui attache
deux animaux, deux boeufs normalement, pour labourer. Ils
conjuguent leurs forces et le plus puissant des deux imprime
son pas à l’attelage. Au sens figuré,
« Prendre le joug » suggère donc que l’on
s’attache à quelqu’un pour marcher du même
pas, attelés à la même tâche.
Si bien que cette expression était
devenue courante dans l’Ancien Testament et dans le
Judaïsme pour évoquer l’Alliance entre Dieu
et son peuple : lorsqu’on promettait de « Prendre
le joug de la Torah » cela voulait dire s’engager
à suivre la Loi de Dieu, s’atteler à Dieu,
en quelque sorte ; étant entendu que toute la force
de « l’attelage » ainsi composé vient
de Dieu lui-même ! Pour un Juif, le service de la Torah
n’est donc pas un fardeau trop lourd, c’est le
chemin du vrai bonheur ; Ben Sirac le Sage disait : «
Tu trouveras en elle (dans la pratique de la Loi) le repos,
elle se changera pour toi en joie. » (Si 6, 28*). On
parlait même parfois de la « joie du joug ! »
Visiblement c’est bien de cela que Jésus parle,
et il fait lui aussi le lien entre le joug de la Torah et
le repos : « Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples
», c’est-à-dire pratiquez mes commandements
« et vous trouverez le repos ».
Mais on sent bien également dans
ces quelques lignes une pointe polémique : «
Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau léger.
» Manière de dire : Mon joug à moi est
facile à porter, ce n’est pas le cas de tout
le monde. D’ailleurs, Jésus ne se prive pas de
le dire : « Venez à moi, vous tous qui peinez
sous le poids du fardeau ».
Effectivement, certains Pharisiens, à
force de scrupules, avaient transformé la pratique
de la Loi de Dieu en un cortège d’obligations
tâtillonnes ; c’est à leur propos que Jésus
disait aux foules : « Les scribes et les Pharisiens
siègent dans la chaire de Moïse : faites donc
et observez tout ce qu’ils peuvent vous dire, mais ne
vous réglez pas sur leurs actes, car ils disent et
ne font pas. Ils lient de pesants fardeaux et les mettent
sur les épaules des hommes alors qu’eux-mêmes
se refusent à les remuer du doigt. » (Mt 23,
2-4). D’autre part, une majorité du peuple avait
bien du mal à observer la totalité des commandements
que les autorités religieuses leur imposaient et ils
sentaient le mépris dont ils étaient l’objet
Jésus propose donc à ses disciples
de déposer ces fardeaux trop lourds : « Prenez
sur vous mon joug... et vous trouverez le repos. Oui, mon
joug est facile à porter, et mon fardeau léger.
» Son joug à lui, c’est tout simplement
la loi d’aimer, et c’est lui qui nous en donne
la force.
Quant au repos, c’était également
un mot familier aux auditeurs de Jésus ; par exemple,
l’Ancien Testament présentait la Terre Promise
comme le lieu du repos accordé par Dieu à son
peuple. Et, en contrepoint, quand le peuple était infidèle
à la loi, le psaume 94 (95) exprimait la tristesse
de Dieu : « J’ai dit : ce peuple a le coeur égaré,
il n’a pas connu mes chemins... Jamais ils n’entreront
dans mon repos. » Reprenant ce psaume, la lettre aux
Hébreux annonce un nouveau jour où avec le Christ,
nous entrerons avec assurance dans le repos de Dieu : «
Empressez-vous donc d’entrer dans ce repos. »
(He 4, 11).
La chose très nouvelle dans ce discours,
c’est que Jésus s’identifie à Dieu
: lui seul peut se permettre de dire « Moi, je vous
procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes
disciples, et vous trouverez le repos. Oui, mon joug est facile
à porter, et mon fardeau léger. » Les
représentants de la religion ne pouvaient qu’être
agacés par ces propos. En revanche, ceux qui «
peinaient sous le poids du fardeau », pour reprendre
l’expression de Jésus, étaient attirés
par son attitude de respect et d’attention à
chacun, lui qui était « doux et humble de coeur
». Ce sont eux qui, spontanément, ont compris
que Dieu était là. On a là une application
de la fameuse béatitude : « Heureux les pauvres
de coeur, le royaume des cieux est à eux ».
Alors Jésus s’émerveille
: ces pauvres de coeur comprennent son message à une
profondeur telle que cela ne peut venir que du Père
: « Ce que tu as caché aux sages et aux savants,
tu l’as révélé aux tout-petits.
Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bonté.
» Jésus tiendra le même langage un peu
plus tard, lorsque Pierre, un homme simple, lui aussi, lui
aura déclaré : « Tu es le Christ, le Fils
du Dieu vivant, Jésus lui dira aussitôt : Heureux
es-tu, Simon, fils de Jonas, car ce n’est pas la chair
et le sang qui t’ont révélé cela,
mais mon Père qui est dans les cieux. » (Mt 16,
17). Une fois de plus, Jésus est bien ici dans la droite
ligne de l’Ancien Testament qui a toujours déclaré
haut et fort que toute vraie sagesse, toute vraie intelligence
ne peuvent venir que de Dieu ; c’est ce qu’exprime
à sa manière la très belle image du livre
de la Genèse : l’arbre de la connaissance de
ce qui rend heureux ou malheureux n’est pas accessible
à l’homme par ses seules forces. Le livre de
Job le dit lui aussi dans un poème admirable consacré
à la Sagesse : « La sagesse, où la trouver
? Où réside l’intelligence ? On en ignore
le prix chez les hommes, et elle ne se trouve pas au pays
des vivants... Dieu en a discerné le chemin, il a su,
lui, où elle réside. » (Jb 28, 12... 23).
Le livre de Ben Sirac, lui, l’affirme dès son
premier verset : « Toute sagesse vient du Seigneur »
(Si 1, 1).
Chaque fois que Jésus est mis devant
l’évidence de la foi, il manifeste sa joie et
sa reconnaissance au Père ; l’évangile
nous révèle ainsi ce qu’est la véritable
prière d’action de grâce : bonheur filial
émerveillé devant l’initiative de Dieu
se révélant aux hommes. Ce dont Jésus
s’émerveille aussi, c’est de l’intimité
que lui offre son Père : il contemple la communion
inouïe qui les unit : « Tout m’a été
confié par mon Père ; personne ne connaît
le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît
le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils
veut le révéler. » Ici, l’évangile
de Matthieu se rapproche des méditations de l’évangile
de Jean : « Le Père et moi, nous sommes UN...
Qui m’a vu a vu le Père. »
***
Complément
« Doux et humble de coeur » : l’évangéliste,
rapportant cette parole, y entendait certainement un écho
de la prophétie de Zacharie sur le roi doux et humble
monté sur un âne (Za 9, 9-10 ; cf la première
lecture).
*« Tu trouveras en elle le repos,
elle se changera pour toi en joie. Alors ses entraves seront
pour toi une protection puissante et son carcan un vêtement
glorieux. Son joug est une parure d’or, ses liens sont
un ruban de pourpre violette. » (Si 6, 28-30).
Le passage parallèle à celui-ci dans l’évangile
de Luc commence par ces mots : « A l’heure même
(il s’agit du retour de mission des soixante-douze disciples),
il exulta sous l’action de l’Esprit-Saint. »
(Lc 10, 21).
L'intelligence
des écritures, de Marie-Noëlle Thabut
Une présentation simple et claire de tous les textes
du lectionnaire des dimanches et fêtes des trois années.
Un ouvrage pédagogique qui met la bible à la
portée de tous.
La collection complète existe en 6 volumes séparés
ou en coffret, aux éditions
Soceval.