L' hospitalité eucharistique avec les
chrétiens des Églises
issues de la Réforme en France |
Note de la Commission épiscopale pour
l'Unité des chrétiens aux prêtres
et aux fidèles catholiques, 14 mars 1983
Depuis quelques années, les cas d'hospitalité eucharistique
entre catholiques et chrétiens des Églises
issues de la Réforme en France tendent à devenir
plus nombreux. Le désir légitime
de l'avancée oecuménique ne peut
cependant faire oublier qu'ils posent à la
conviction de l'Église catholique des problèmes
non seulement disciplinaires, mais encore de l'ordre
de la foi. C'est pourquoi la Commission épiscopale
pour l'unité des chrétiens estime
important de répondre à des questions
souvent posées à leur sujet par les
réflexions suivantes. |
Pourquoi l'hospitalité eucharistique ne peut-elle
pas être habituelle?
1. Parce que l'eucharistie est le repas du Seigneur,
et qu'elle ne nous appartient pas. Le Nouveau Testament
nous montre qu'elle est partagée par ceux qui
ont reçu le même baptême et vivent
dans la communion visible de la même foi (Ac 2,
42-47). De même, Paul rappelle vigoureusement
aux Corinthiens (1 Co 11, 17-34) le lien nécessaire
entre la communion vécue dans l'assemblée
ecclésiale et la fraction du pain. Le "
discernement du corps du Seigneur " concerne à
la fois son corps eucharistique et son corps ecclésial.
Pour sa part, la tradition de l'Église indivise
a toujours fait de la communion à la même
foi ecclésiale la condition de la participation
à la même eucharistie.
2. Parce que la communion eucharistique et la communion
ecclésiale sont indissociables : l'Église
fait l'eucharistie et l'eucharistie fait l'Eglise. Le
corps eucharistique du Christ est ordonné à
la construction de son corps ecclésial. La communion
à la même eucharistie engage donc la communion
à la même Église, de même
qu'elle suppose le partage de la même foi.
La question de l'hospitalité eucharistique ne
peut donc être abordée dans la seule perspective
des besoins spirituels individuels ou des liens de fraternité
existant entre des groupes limités. Seule la
réconciliation entre les Églises aujourd'hui
divisées peut rendre normal l'accueil mutuel
à la table de l'eucharistie qu'elles célèbrent.
3. Parce que ce n'est pas seulement la foi en l'eucharistie
qui est engagée à ce propos, mais l'ensemble
de la foi. Or malgré les substantielles avancées
doctrinales actuelles, dont nous nous réjouissons,
des points sérieux de contentieux dans la foi
demeurent; en particulier, certains aspects de la doctrine
eucharistique (présidence par un ministre ordonné;
permanence de la présence sacramentelle) et des
ministères (leur rôle propre dans la structure
de l'Église; l'ordination), la place et le sens
de la sacramentalité dans la vie chrétienne
et plus globalement la compréhension du mystère
de l'Église, signe du salut et don de Dieu aux
hommes Concrètement, nous ne pouvons pas ne pas
constater aussi que certaines décisions et pratiques
récentes de l'Église réformée
de France contredisent l'orientation actuelle des documents
oecuméniques sur la doctrine des ministères.
Des questions pressantes avaient été posées
dans ces domaines par Mgr Le Bourgeois, lors de son
intervention à l'Assemblée du protestantisme
français Elles n'ont pas reçu jusqu'à
ce jour de réponse autorisées.
4. Parce que la multiplication des hospitalités
eucharistiques donnerait à penser que les problèmes
posés pour l'unité de l'Église
sont déjà résolus et que le statu
quo confessionnel actuel est une forme valable de
l'unité telle que le Seigneur la désire.
Une telle multiplication relâcherait les liens
de foi et de solidarité de chaque fidèle
avec sa propre Église. Elle constituerait une
solution de facilité qui ne ferait pas progresser
la marche vers 1'unité.
A quelles conditions cependant certains cas exceptionnels
d'hospitalité eucharistique peuvent-ils être
envisagés?
1. Étant donné ce qui vient d'être
dit, seuls des cas exceptionnels d'hospitalité
eucharistique peuvent être envisagés dans
la situation actuelle de division avec les Eglises de
la Réforme. Pour qu'ils soient vécus dans
la vérité comme des " moyens de grâce
" (Unitatis redintegratio, 8) et pour qu'ils
contribuent à faire l'Église une, plusieurs
conditions sont à respecter, selon le discernement
exercé par le Directoire des questions oecuméniques
et les autres documents qui font autorité dans
toute l'Église catholique.
2. Dans le cas où des prêtres et des fidèles
catholiques accueillent des frères protestants
à la table eucharistique, une hospitalité
authentique suppose de la part de ces derniers un "
réel besoin " ou un désir spirituel
éprouvé des liens de communion fraternelle
profonds et continus avec des catholiques (tels qu'ils
sont vécus dans certains foyers mixtes et dans
quelques groupes oecuméniques durables), une
foi sans ambiguïté quant à la dimension
sacrificielle du mémorial, quant à la
présence réelle et à la relation
entre communion eucharistique et communion ecclésiale,
enfin un engagement actif au service de Ï'unité
que Dieu veut.
3. La décision qui sera prise en conscience
doit avoir été soumise au discernement
de l'évêque, responsable du ministère
de l'unité (ou des prêtres délégués
par lui pour les relations oecuméniques et à
qui il aura confié ce discernement en collaboration
avec lui). Elle doit veiller à ne pas provoquer
le scandale ni même l'étonnement chez ceux
qui en seront normalement les témoins.
4. Au nom de la dynamique oecuménique de réciprocité,
la communion des fidèles catholiques à
la Sainte Cène protestante est aujourd'hui l'objet
de demandes pressantes, en particulier chez les foyers
mixtes. Une telle démarche, redisons-le, ne correspond
pas, pour les catholiques, au lien qu'ils confessent
entre eucharistie et communion ecclésiale. Elle
préjuge aussi de la compréhension commune
du ministère ordonné. De plus, pour l'Église
catholique, la forme plénière du ministère
ecclésial fait défaut au ministre protestant
qui préside.
5. Nous constatons cependant qu'un certain nombre de
catholiques estiment pouvoir communier à la Sainte
Cène protestante, que ces cas ont tendance à
se multiplier et que l'opinion se fait jour de les considérer
comme normaux. Nous ne pouvons pas ne pas rappeler que
cette évolution est objectivement contraire aux
dispositions actuellement en vigueur dans l'Église
catholique, dont le fondement est d'ordre doctrinal.
La multiplication de ces cas fait également grandir
le risque qu'ils soient interprétés par
les communautés protestantes non comme le désir
de participer à une réalité de
grâce qui est le secret de Dieu, mais comme la
reconnaissance de fait de la pleine sacramentalité
de leur célébration.
6. Aux catholiques qui estimeraient toujours en conscience
pouvoir communier à la Sainte Cène, nous
disons donc ce que les évêques allemands
ont dit à leurs fidèles sur ce même
point : " Le Synode ne peut pas actuellement approuver
la participation d'un catholique à la Sainte
Cène. Il ne peut être exclu qu'un catholique
- suivant sa propre conscience - puisse trouver, dans
la situation particulière qui est la sienne,
des raisons qui lui font apparaître sa participation
à la Sainte Cène comme spirituellement
nécessaire. Il devrait alors penser qu'une telle
participation ne correspond pas au lien entre Eucharistie
et communion ecclésiale, particulièrement
pour ce qui concerne la compréhension du ministère.
S'agissant de la décision qu'il sera amené
à prendre, il ne devra pas mettre en péril
son appartenance à sa propre Église et
sa décision ne devra pas non plus équivaloir
à un reniement de sa propre foi et de sa propre
Église, pas plus qu'elle ne devra apparaître
ainsi aux yeux d'autrui. "
7. Nous sommes conscients que ces orientations pourront
blesser ou choquer. Nous partageons nous-mêmes
la souffrance de ne pouvoir communier ensemble à
l'eucharistie. Mais nous demandons à tous ceux
que cette note concerne de s'interroger eux-mêmes.
Ces orientations prennent en compte les problèmes
de fond tels qu'ils se posent aujourd'hui : elles n'entendent
pas être définitives. Mais l'évolution
que nous espérons de ces positions dépendra
pour une part de la manière dont les Églises
issues de la Réforme recevront les questions
que nous avons rappelées ici. Nous avons à
vivre en ce domaine crucial une émulation spirituelle
qui nous permette de nous ouvrir les uns et les autres,
et les uns par les autres, à toutes les exigences
de l'Évangile.
|