Editorial : Questionnés par la demande de guérison
Depuis quelques années, le thème de la guérison est fortement inscrit dans la vie et la réflexion des Eglises. Faut-il rappeler, ici, qu’il fut au cœur des échanges de trois importants rassemblements récents : l’Assemblée de la Fédération luthérienne Mondiale (en juillet 2003) ; celle de l’Alliance Réformée mondiale (en août 2004) ; et enfin la conférence sur la mission et l'évangélisation, organisée par le COE en mai 2005 - dont les participants firent leur cette prière : « Viens Esprit-Saint, guéris et réconcilie ! » ? Mais nous pourrions citer d’autres rencontres et la publication de textes officiels ou de nombreux ouvrages, aux approches très diverses.
Dans un monde effrayé par les ravages du VIH-Sida, sans oublier ceux du paludisme et de tant d’autres maladies, un tel appel à la guérison n’est pas étonnant. D’ailleurs, le souci de la santé fut toujours très présent dans l’engagement des Eglises. Dès les premiers siècles, elles ont voulu témoigner de la prédication de Jésus, dont les guérisons étaient le signe de l’avènement du Royaume de Dieu, par des signes de sa présence auprès e ceux qui étaient en proie à la maladie comme par la création de très nombreuses structures sanitaires.
Notre dossier voudrait se faire l’écho de cet engagement et de cette réflexion multiformes. Plus exactement, il voudrait montrer comment les grandes traditions chrétiennes sont questionnées aujourd’hui par la demande de guérison. Après une relecture des récits évangéliques mettant en scène Jésus le Guérisseur, nous rappelons quelques pratiques pastorales des Eglises : de nouvelles expériences en contexte protestant tentent d’intégrer la dimension rituelle, déjà fortement honorée par les traditions catholiques et orthodoxes. Elles témoignent de l’attention à un besoin de guérison qui court sur tous les continents : aussi bien en Occident, où le progrès fait rêver d’une maîtrise absolue de la santé, que dans les pays du Sud où les Eglises apparaissent souvent comme le seul recours face aux structures médicales défaillantes ou trop coûteuses.
Mais précisément, ces demandes ne sont pas sans nous interroger. Après un rappel des questions soulevées lors de la conférence d’Athènes sur la mission, plusieurs articles nous invitent à réfléchir sur les réponses que nos Eglises sont .amenées à apporter. Comment à la fois manifester une Bonne Nouvelle qui concerne l’homme total, corps et esprit, et l’aider à affronter une finitude, une souffrance et une mort que Dieu Lui-même est venu assumer en Jésus-Christ ? Mais notre monde n’est-il pas blessé aussi par des conflits, dans lesquels les Eglises ont parfois leur part de responsabilité à travers leurs divisions et les violences qu’elles ont engendrées ? Alors que nous venons de célébrer l’anniversaire de la levée des anathèmes du XI° siècle par le pape Paul VI et le patriarche Athénagoras de Constantinople, une dernière réflexion nous rappelle enfin l’importance de la guérison des mémoires..
Au terme de cette lecture, d’autres questions surgissent ! Face à une demande de « guérison à tout prix », les Eglises vont-elles en rester à une logique de concurrence, ou chercher à gérer ensemble un défi commun ? La diversité des réponses, en ce domaine aussi, ne divisera-t-elle pas encore les Eglises ? Même si le clivage devait être moins confessionnel que transversal entre deux types de sensibilités : l’appel à un engagement dans la société et un regard critique sur les ambiguïtés des pratiques de guérison, d’une part ; la volonté de manifester notre foi en Jésus qui continue de guérir aujourd’hui, d’autre part ?
En constituant ce dossier nous étions conscient qu’à trop embrasser, un tel thème risque de perdre de sa pertinence. Mais en nous permettant de saisir un aspect très actuel du souci commun des Eglises de répondre aux attentes des hommes, il nous montre aussi comment des contextes mouvants renouvellent l’approche de la tradition : à travers le thème de la guérison, les Eglises ne déclinent-elles pas, au fond, à nouveaux frais le thème du salut ? et les chrétiens n’y prennent-ils pas aussi conscience, à la lumière de leur impuissance à surmonter leurs divisions, qu’avant d’ être les messagers de ce salut, ils sont les premiers bénéficiaires de la guérison de l’humanité par le Christ ?
Exergue : Face à la demande de guérison, les Eglises vont-elles en rester à une logique de concurrence, ou chercher à gérer ensemble un défi commun ?
Fr. M. Mallèvre
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