Editorial : Etrangers, voyageurs…
"De quoi se mêlent-ils ? qu’ils s’occupent plutôt de remplir les églises et les temples !" Ces réactions négatives ont, une nouvelle fois, retenti après la publication de la lettre du Conseil d’Eglises chrétiennes en France au Premier Ministre à l’occasion du débat parlementaire relatif à une nouvelle loi sur l’immigration. La sollicitude fraternelle pour les migrants serait-elle donc si éloignée de l’annonce de l’Evangile ?
Elle occupe pourtant, une place très importante dans la vie des Eglises, non seulement par les aides d’urgence que celles-ci tentent d’apporter à des situations tragiques, mais aussi par des actions à plus long terme : visant à l’intégration des migrants dans nos sociétés tentées par le repli sur soi, ou à affronter les causes d’un phénomène complexe qui a pris ces dernières décennies une ampleur sans précédent.
Cet engagement est bien sûr une exigence pour tout citoyen soucieux des Droits de l’Homme, et donc pour tout chrétien. Mais pour ce dernier, il est bien davantage : il est réponse à l’appel du Christ qui s’est identifié à l’étranger, expression de la conscience d’appartenir à un peuple "migrant", en marche vers son Père.
Avant de donner un écho de l’engagement des Eglises, ce numéro voudrait d’abord nous en rappeler les fondements. Les réactions négatives de fidèles à l’égard des prises de position des Eglises nous rappellent en effet qu’à beaucoup s’investir dans des domaines où le droit, l’économie exigent une grande compétence technique, les Eglises risquent d’oublier de dire pourquoi elles le font. Le nécessaire dialogue avec les politiques et les juristes ne doit pas les détourner de chercher aussi comment convaincre les fidèles inquiets de l’afflux d’étrangers qu’il est précisément essentiel qu’ils s’engagent avec elles en faveur des migrants. Car finalement, l’attitude de rejet de tant de Français face à la question de l’immigration ne serait-elle pas un symptôme, parmi d’autres, de cette déchristianisation en profondeur de notre société ?
En présentant le dossier à l’échelle européenne, ce numéro voudrait aussi élargir notre horizon au-delà de l’hexagone et… des échéances électorales de 2007. Cette prochaine année sera d’ailleurs celle de plusieurs rassemblements de chrétiens européens : Stuttgart II, et surtout Sibiu. Le défi des migrations, inscrit dans la Charte œcuménique européenne, y sera un thème d’échanges et une provocation à un engagement élargi.
Si les migrations sont un défi œcuménique pour les Eglises, ce n’est pas seulement parce que la tâche est si vaste et si complexe qu’elle appelle une action concertée. C’est aussi parce qu’elles contribuent à faire éclater les frontières géographiques des confessions chrétiennes et qu’elles nous invitent à prendre davantage conscience que nous appartenons à un ensemble économique et politique dont la cohésion dépend aussi en partie de l’unité des Eglises.
Mais plus encore, ces Eglises sont confrontées à des transformations internes suscitées par l’irruption de ces fidèles venus d’ailleurs, avec leurs manières diverses de vivre leur foi et souvent leur expérience œcuménique bien différente de celle de la France. Mais ce défi est une chance car leurs membres peuvent y redécouvrir une dimension importante de l’être ecclésial : la catholicité ! Et précisément oecuménisme et catholicité sont liés. Comment en effet pourrions-nous prétendre progresser vers une unité dans la diversité si nous ne sommes pas capables de dialoguer et de faire une place à celui qui vient avec sa différence nous révéler d’autres richesses de l’Evangile ? comment pourrions-nous nous mettre en route ensemble vers l’unité que le Christ veut, si nous ne sommes pas capables d’accueillir le migrant qui vient nous rappeler que nous sommes un peuple de "pèlerins" ?
En écrivant ces lignes au moment où mon mandat vient d’être renouvelé, je ne peux oublier de saluer la mémoire du Père René Girault. A la lecture de ses ouvrages qui m’éveillaient, comme beaucoup d’entre vous, à l’exigence de l’unité des chrétiens, je ne pouvais imaginer que je lui succéderais un jour. Avec les lecteurs de cette revue, dont il fut le directeur de 1980 à 1986, je rends grâce pour tout ce que le Seigneur nous a fait découvrir à travers lui.
Fr. M. Mallèvre
Exergue :
Comment pourrions-nous prétendre progresser vers une unité dans la diversité si nous ne sommes pas capables de faire une place à celui qui vient avec sa différence nous révéler d’autres richesses de l’Evangile ? |