Signes de
contradiction ou signes d’unité
?
« Celui qui veut être
mon disciple, qu’il prenne sa croix et
qu’il me suive… » Ces paroles
du Christ prennent un relief particulier dans
la vie de tant d’hommes et de femmes qui
depuis deux mille ans ont versé leur
sang à la suite de leur Maître.
Figures des tout premiers siècles, auxquelles
toutes les Eglises se réfèrent
à leur manière comme à
des ancêtres dans la foi commune. Mais
aussi personnages plus proches de nous au destin
tragique pris dans les tourments de l’histoire
des nations auxquelles ils appartenaient.
Parmi ces derniers, combien de victimes de la
violence des « fidèles »
d’une autre confession que la leur ou
d’un pouvoir politique avec lequel ces
autres Eglises étaient compromises…
De fait, hélas, bien des martyrs célébrés
par les uns sont considérés comme
le symbole du fanatisme ou de l’erreur
par les autres ! Ainsi, paradoxalement, faire
mémoire des martyrs, ce n’est pas
seulement célébrer la puissance
de la grâce du Christ, c’est aussi
prendre le risque de raviver les plaies des
divisions entre nos Eglises.
Mais au moment où les médias se
plaisent à fustiger les religions comme
facteurs de violence, faire mémoire des
martyrs de nos Eglises peut être aussi
l’occasion d’une salutaire prise
de conscience : plutôt que de les vénérer
parce qu’ils conforteraient notre identité,
au risque de les réduire à n’être
que des instruments d’apologétique
contre les autres confessions, ne peut-on les
regarder comme des témoins de la configuration
au Christ crucifié qui peut s’exprimer
autrement que chez nous ?
Faire mémoire de ces martyrs, c’est
en effet d’abord prendre conscience que
la communion entre les croyants qui leur est
déjà donnée au baptême
n’est pas une vague conviction de foi
mais une réalité manifestée
dans la vie de milliers d’hommes et de
femmes, plongés ensemble dans la mort
avec le Christ. C’est aussi mesurer que
notre marche vers l’unité ne pourra
trouver sa concrétisation que par le
chemin pascal du Christ, où tous renoncent
au rêve de s’imposer à l’autre.
C’est enfin entendre l’ appel des
martyrs à relire ensemble notre histoire
pour ne plus la regarder avec nos « lunettes
confessionnelles » accusant unilatéralement
l’autre, mais avec le regard du Christ
qui est mort pour tous les pécheurs,
pris dans les contradictions de leur temps.
De célébrations d’anniversaires
en célébrations d’anniversaires,
le mouvement œcuménique apparaît
parfois surtout tourné vers son passé,
comme résigné à faire mémoire
avec nostalgie des grandes espérances
déçues. Une telle dénonciation
n’est peut-être pas sans fondements.
Elle ne devrait pas nous détourner pour
autant de l’histoire de la marche des
chrétiens vers leur unité sans
laquelle nous ne mesurerons pas les changements
d’attitude considérables qui ont
été vécus en quelques décennies
ni les progrès des dialogues théologiques
qui ont été réalisés.
Ce numéro voudrait rappeler une autre
dimension de cette histoire en nous invitant
à célébrer ensemble le
fruit de la grâce de Dieu dans l’effusion
du sang d’hommes et de femmes qui devraient
être moins des signes de contradiction
que des symboles d’unité.
En honorant ce devoir de mémoire vis-à-vis
des martyrs, en proposant ces quelques approches,
nous ne prétendons pas bien sûr
être exhaustifs, ni redoubler le travail
fait par des publications comme celles du monastère
de Bose ou de la communauté Sant’Egidio.
Nous savons bien également qu’un
tel dossier , comme d’ailleurs parfois
nos interviews de « grands témoins
»… , pourra raviver des blessures
ou susciter des controverses. Puisse-t-il au
moins nous inviter, en écoutant la souffrance
de l’autre, à regarder ensemble
celui dont nous célébrons cette
année le même jour la mort et la
résurrection !
P. Michel Mallèvre
Exergue : Faire mémoire des
martyrs, ce n’est pas seulement célébrer
la puissance de la grâce du Christ, c’est
aussi prendre le risque de raviver les plaies
des divisions entre nos Eglises. |