Sur un autre chemin…
L’œcuménisme spirituel est
à la mode. L’expression fait florès,
comme « l’échange de dons
» ! symptôme sans doute de ce que
les chemins de la théologie et de l’action,
empruntés jusqu’à présent
par le mouvement œcuménique deviennent
de plus en plus rudes. Mais une démarche
spirituelle commune serait-elle plus aisée
que le dialogue théologique, embourbé
sans doute moins dans des différences
de doctrine que des manières caricaturales
de les vivre ? Serait-elle plus facile à
mettre en œuvre que le « christianisme
pratique », où s‘expérimentent
de plus en plus des différences de positionnement
éthique jusque-là insoupçonnées
? Il n’en est rien : les expériences
spirituelles sont aussi lieux de divergences,
comme le montrent les pèlerinages dont
on ne songerait pas aisément à
faire un lieu d’expression de l’œcuménisme
spirituel tant le mot même de «
pèlerinage » rebute les uns à
la vue des pratiques des autres.
De fait, si le thème du pèlerinage
est bien biblique, et si nos Eglises professent
toutes que les chrétiens constituent
un « peuple de pèlerins »,
la manière de le vivre dans chacune est
bien différente. Les articles proposés
dans notre riche dossier rappellent d’abord
ces différences. Mais ils nous montrent
aussi que les expériences spirituelles
de chacune de nos confessions ne sont peut-être
pas si éloignées : une fois dépassées
les réactions épidermiques et
les caricatures, il est effectivement possible
pour des chrétiens de cheminer vers un
même lieu et d’y confesser la foi
commune. Et après tout, en un temps où
les randonnées pédestres se multiplient
avec succès, pourquoi les chrétiens
ne parviendraient-ils pas à marcher ensemble
vers un haut lieu spirituel commun, antérieur
aux divisions, pour s’y ressourcer, ou
vers un lieu marqué par des atrocités
pour y guérir leur mémoire ?
Nous découvrons alors que la marche vers
l’unité est bien un pèlerinage.
Lors de la préparation du 3° Rassemblement
œcuménique européen, c’est
avec prudence que l’on avait parlé
d’un « pèlerinage œcuménique
», allant de Rome à Sibiu en passant
par Wittenberg et chacun des pays participants.
L’expression faisait peur ! N’allait-elle
pas ajouter encore à la complexité
du projet ? En Roumanie, les participants ont
mesuré ce qui les sépare encore.
Pourtant, ils ont pu décider de continuer
de faire en route ensemble, non pour un retour
nostalgique vers une unité mythique,
mais pour une marche en avant vers Celui qui
nous appelle à la communion, et donc
à l’unité dans la différence.
Mais voilà que les partenaires du mouvement
œcuménique aperçoivent désormais
d’autres « marcheurs », à
distance sur un autre chemin : ces communautés
pentecôtistes qui ne veulent pas encore
entendre parler de l’unité visible
que le COE a pour vocation de construire. Ce
n’aura pas été le moindre
mérite de Samuel Kobia d’avoir
attiré l’attention sur ces autres
marcheurs. Par son style comme par ses interventions,
le secrétaire général du
COE sur le départ aura rappelé
aux vieux partenaires qu’ils ne sont pas
seuls ! Sans doute peut-on se satisfaire de
la distance qui nous sépare d’eux,
parce qu’on ne se retrouve pas dans leur
pratique ni dans des discours peu gratifiants
pour nos habitudes intellectuelles. Et elles
nous le rendent bien ! Choisir son partenaire
de marche est sans doute plus confortable…
Mais est-on plus sûr de parvenir au bout
du voyage en marchant chacun de son côté
? Est-on vraiment œcuménique quand
on laisse délibérément
de côté des hommes et des femmes
qui font une expérience spirituelle que
l’on disqualifie ? C’est la prise
de conscience de cette contradiction qui nous
a valu récemment le Forum chrétien
mondial, heureuse rencontre de marcheurs dont
les chemins se sont croisés à
Nairobi ! puissent-ils rester ensemble et ne
pas se perdre à nouveau de vue !
Exergue : Faire route
ensemble, non pour un retour nostalgique vers
une unité mythique, mais pour une marche
en avant vers Celui qui nous appelle à
l’unité dans la différence.
P. Michel Mallèvre
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