Entrevue du Figaro Magazine, édition du samedi
16 décembre 2006 avec Mgr
Ricard, président de la Conférence des
Evêques de France
« L'Eglise catholique face aux
élections : la fraternité invite à
l'action politique. »
L'Eglise catholique n'a pas vocation à prendre
parti en faveur de tel ou tel candidat, mais elle tient
à interroger les responsables politiques et l'opinion
publique sur les enjeux électoraux, ainsi qu'à
exprimer un certain nombre de valeurs qui lui paraissent
essentielles dans le débat démocratique à
venir. Certains évêques se sont exprimés.
D'autres prendront le relais. Le Conseil permanent de la
conférence des évêques de France a publié
pour sa part un message : Qu'as-tu fait de ton frère
? Un appel qui se veut comme un cri, car si la fraternité
fait partie de la devise de la République, elle est
devenue beaucoup plus fragile, son absence se faisant fortement
sentir dans notre société. La recherche de
cette fraternité correspond pleinement aux exigences
de notre foi. Nombre de Français, et parmi eux de
catholiques, éprouvent un sentiment de malaise vis-à-vis
de la politique et aspirent à un changement dans
le fonctionnement de l'action publique.
Le rôle de l'Etat est de veiller au bien commun :
c'est donc aux hommes politiques de proposer des projets
novateurs. Mais il ne faut pas non plus tout attendre de
l'Etat. Dans une vie démocratique, chacun doit être
artisan de la fraternité. A quoi sert-il, par exemple,
de dénoncer la constitution de ghettos dans les grands
ensembles si personne ne veut dans son voisinage de familles
en difficultés ou de populations immigrées
? La fraternité n'a pas de frontières. Il
y a un bien commun de l'humanité qu'il s'agit de
promouvoir.
Dans son message, le Conseil permanent a voulu attirer
l'attention sur trois chantiers essentiels.
Le premier concerne la famille. Elle est
le premier lieu où les hommes et les femmes apprennent
la confiance en eux-mêmes et dans les autres. Ce n'est
pas un hasard si la plupart des Français plébiscitent
la famille malgré les fragilités auxquelles
elle est confrontée, au sein d'un monde épris
d'épanouissement individuel et soumis à de
nombreuses sollicitations. Dans Qu'as-tu fait de ton frère
?, la Conférence épiscopale explique que le
message de l'Eglise s'adresse à la conscience de
chacun, en appelant à « bâtir des familles
stables, fondées sur des couples, unissant un homme
et une femme, qui prennent le temps de se préparer
à leurs responsabilités d'époux et
de parents. Soutenir la famille, c'est d'abord garder au
mariage son caractère unique d'union acceptée
librement, ouverte à la procréation et institutionnellement
reconnue ».
Il est donc essentiel que la législation défende
le statut du mariage et que l'Etat soutienne les familles.
On ne peut pas simplement s'aligner sur la pluralité
de fait des situations et faire croire que tout se vaut.
Un enfant a le droit de vivre avec un père et une
mère dans un foyer stable. Il ne s'agit pas, bien
entendu, de condamner les personnes, mais d'attirer l'attention
sur ce que peut être, par exemple, la souffrance des
enfants devant le divorce de leurs parents.
Le deuxième chantier concerne la question
du travail et de l'emploi. Si le lien social se
fragilise dans notre pays, beaucoup pensent que c'est largement
à cause du chômage. Le travail - l'Eglise l'a
souvent exprimé à travers sa doctrine sociale
- est l'un des chemins par lesquels l'homme et la femme
se réalisent et construisent la société.
Toute personne a besoin de gagner sa vie, mais aussi de
se sentir utile. Si la situation de l'emploi est trop souvent
source de difficultés et de souffrance, bien des
efforts doivent être consentis pour en faire une cause
nationale. Efforts personnels demandés aux salariés,
aux chefs d'entreprise, à ceux qui sont à
la recherche d'un emploi ou d'une formation. Mais aussi
efforts collectifs où l'Etat, en lien avec les partenaires
sociaux, doit jouer pleinement son rôle.
Troisième chantier, la question de la mondialisation
et de l'immigration. La France est impliquée
fortement dans le processus de mondialisation. Elle en bénéficie
largement. Si l'on peut se féliciter de certains
aspects, comme le développement des échanges
et la rencontre des cultures, ou se plaindre de conséquences
spécifiques, comme les délocalisations et
la concurrence à outrance, nous avons à nous
interroger sur nos comportements personnels et collectifs
dans cette nouvelle donne. Nous nous habituons à
la libre circulation de l'argent, des marchandises, des
informations, mais sommes beaucoup plus réticents
face à la liberté de circulation des personnes...
C'est dans ce cadre général qu'il faut penser
la question de l'immigration. Le sujet est difficile. Nous
savons l'extrême sensibilité de nos concitoyens
en ce domaine. Mais, pour les chrétiens, l'accueil
des migrants est signe de l'importance attachée à
la fraternité. Si la capacité d'accueil de
notre pays n'est pas sans limite, nous devons y prendre
notre juste part. La présence de ces frères
et soeurs venus d'ailleurs nous amène à poser
la question de l'extraordinaire inégalité
qui règne dans le monde. « Sommes-nous attentifs
aux choix politiques qui favorisent un développement
solidaire ? interroge le Conseil permanent dans son dernier
message. Sommes-nous prêts à modifier notre
mode de vie afin de permettre un réel développement
des pays les plus pauvres, en particulier en Afrique ? Sommes-nous
prêts à partager concrètement pour aider
les pays les moins développés ? N'est-il pas
important de lancer cet appel aux Français ? »
Ces trois chantiers proposés à la réflexion
nous rappellent que la fraternité donne sens à
la vie sociale et invite à l'action politique. N'ayons
pas peur, dans les débats qui vont traverser notre
pays au cours des prochains mois, de proposer la fraternité
et de la mettre en oeuvre !
Tous droits réservés : Le Figaro Magazine
Diff. 467 859 ex. (source OJD 2005)
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